2 . 2  -  Malformations vasculaires

Classer les malformations vasculaires selon leur hémodynamique est commode. Les modalités évolutives et thérapeutiques sont différentes dans chaque groupe.

Malformations vasculaires inactives, à bas débit

Les malformations vasculaires inactives affectent schématiquement le réseau capillaire, le tissu veineux ou le système lymphatique.

Malformations vasculaires de type capillaire

Les angiomes plans (« taches de vin ») constituent l'archétype des malformations vasculaires, marque indélébile d'un handicap particulier s'ils touchent la face (fig. 11.5). Présent dès la naissance sous la forme d'une nappe plane rouge, l'angiome subsistera toute la vie. Bien plus, avec l’âge, suivant en taille l’évolution de la croissance, l'angiome s’épaissit, s'assombrit. La texture se modifie et à la peau lisse se substitue un revêtement grenu, violacé, porteur de nodules rouges.

La topographie volontiers métamérique de cette malformation (liée au développement des crêtes neurales) la rend d'autant plus facile à identifier. L'atteinte du territoire trigéminée V1 (front et paupière supérieure) doit faire évoquer un syndrome de Sturge-Weber-Krabbe : cette angiomatose encéphalotrigéminée (associant des anomalies méningo-oculo-cutanées) complique 10 % des angiomes plans de territoire V1. La gravité de l’épilepsie qu'elle entraîne est volontiers compliquée d'hémiplégie. La surveillance clinique avec examen oculaire, électroencéphalogramme, scanographie et IRM est nécessaire, et un traitement précoce anticomitial doit être institué. Parallèlement, un dépistage de glaucome doit être entrepris.

Figure 11.5. Malformation capillaire

Malformations veineuses

Elles sont veineuses et capillaroveineuses et correspondent à une malformation infiltrante qui s'aggrave peu à peu. Le sang stagne alors dans des lacs interconnectés, malformés, qui gonflent dès lors que le retour veineux est empêché (manœuvre de Valsava, déclivité). Les lésions cutanées et muqueuses sont bleues, molles, dépressibles, froides. Elles gonflent en position déclive et à l'effort. Elles croissent avec l’âge. Aucun thrill ni souffle n'est retrouvé. Des calcifications intralésionnelles (phlébolithes) sont parfois révélées par la palpation et/ou la radiographie sans préparation. Les malformations veineuses ne présentent aucune topographie élective. Elles infiltrent volontiers les zones temporales et massétérines. Elles déforment la langue, les joues, le voile du palais. Le diagnostic, habituellement clinique, peut être confirmé par l’échographie couleur : les malformations se présentent sous la forme de cavités anéchogènes ou très hypoéchogènes, mal limitées, avec un flux veineux très lent, difficile à mettre en évidence par des manœuvres de chasse musculaire. L'IRM est le meilleur outil de diagnostic, qui montre un hypersignal très évocateur en séquence pondérée T2 ; cette séquence permet également de préciser l'extension en profondeur de la malformation. Scanner et artériographie ont très peu d'indication ici.

Selon la topographie et la taille, le retentissement de la malformation veineuse est différent :

  • la localisation labiale (fig. 11.6), plus ou moins étendue à la langue, au palais et à la joue, est volontiers source d'incompétence labiale ;
  • l'atteinte linguale constitue l'une des causes organiques de macroglossie ;
  • l'atteinte pharyngolaryngée est révélée rapidement par des conséquences fonctionnelles sur la respiration (syndrome d'apnée du sommeil), la phonation et la déglutition ;
  • la localisation orbitaire s’étend volontiers aux tuniques de l’œil (sclérotique, conjonctive) mais, malgré son volume (exophtalmie de décubitus), elle n'occasionne pas de compression du globe ;
  • les malformations cervicales accompagnent parfois une ectasie (cavernome) ;
  • les localisations temporomassétérines sont la forme la plus courante ;
  • l'existence intracrânienne d'anomalies du développement veineux cérébral est observée dans 20 % des cas et ne présente pas de risque neurologique ;
  • des défects osseux sont présents dans 20 % des cas de malformations veineuses de la tête, sans conséquence pathologique.


L’évolution de la maladie est liée à son caractère localisé ou systématisé : il est admis que son développement s'effectue jusqu’à la puberté, ce qui oblige dans les formes graves à intervenir tôt. Au-delà, l’évolution continue de se faire, mais plus lentement. Le retentissement esthétique et fonctionnel est à la mesure de cette extension et de cette évolution.

Figure 11.6 Malformation veineuse labiale inférieure

Malformations lymphatiques

Les malformations lymphatiques se manifestent sous deux formes cliniques essentielles : la forme kystique et la forme tissulaire.

Soixante-dix pour cent des malformations lymphatiques touchent la face et le cou. Le plus souvent présentes dès la naissance (deux cas sur trois), elles peuvent être décelées au cours du diagnostic anténatal : les formes kystiques cervicales graves, de diagnostic échographique, constituent avant tout un facteur de dystocie. Le pronostic vital est parfois lié aux infiltrations muqueuses (langue, larynx) des formes tissulaires, la clé diagnostique de cette atteinte étant l'IRM anténatale.

Cliniquement, ces deux formes différentes, qui peuvent être associées chez un même patient, sont exposées séparément.

  • Malformation lymphatique macrokystique («cystic hygroma» des Anglo-Saxons)

D'apparition précoce (90 % d'entre elles sont révélées avant l’âge de deux ans), elle se présente comme une tuméfaction molle, limitée, transilluminable. Sa consistance à peine rénitente n'est pas influencée par l'effort ou la position du sujet. La peau en regard est le plus souvent normale. La topographie est cervicale, parotidienne ou axillaire le plus fréquemment. L’évolution de ce qu'on appelait le « lymphangiome kystique » est caractéristique mais capricieuse : elle présente soit une involution, très rare, soit une aggravation volontiers rythmée par une hémorragie ou une infection ; à l'issue d'un banal épisode de rhinopharyngite par exemple, la tuméfaction augmente, rouge, chaude, sous tension, douloureuse, majorant ainsi ses conséquences fonctionnelles (troubles oculaires, gêne respiratoire, déformation osseuse).

Le traitement médical (corticothérapie et antibiothérapie) est rapidement indispensable et efficace.

Dans cette forme kystique, le diagnostic est clinique, d'autant plus aisé que la masse est superficielle et volumineuse. Plus petite ou plus profonde, la malformation se présente à l’échographie comme un ensemble de cavités anéchogènes, plus ou moins cloisonnées, sans aucun flux visible. Le scanner ou l'IRM sont réalisés dans les formes étendues pour apprécier l'extension en profondeur ou rechercher des localisations médiastinales.

  • Malformation lymphatique diffuse infiltrante (microkystique)

Associé ou non à la forme macrokystique et partageant la même origine embryologique, le lymphangiome céphalique diffus (et/ou microkystique) infiltre volontiers langue, joue, plancher buccal et muqueuse pharyngolaryngée profonde (fig. 11.7). Le diagnostic néonatal n'est pas toujours évident, notamment dans les formes linguales pures : il peut s'agir d'une macroglossie avec revêtement muqueux superficiel caractéristique constitué de multiples vésicules lymphatiques donnant un aspect framboisé. Mais il peut s'agir d'une lésion muqueuse isolée s’étendant d'autant plus qu'un geste local (coagulation) peut l'attiser. Les vésicules sont claires ou hématiques en fonction des poussées.

L'exacte extension de la malformation s'apprécie grâce à l'endoscopie et à l'IRM.

Le mode évolutif par poussées inflammatoires risque d'avoir un retentissement important, fonctionnel, psychologique et esthétique. Il est difficile d'apprécier le potentiel évolutif propre : les poussées inflammatoires diminuent parfois à l’âge adulte — mais, à cet âge, les conséquences osseuses sont fixées.

Figure 11.7 Malformation lymphatique micro- et macrokystique géante

Malformations vasculaires actives à haut débit : fistules et malformations artérioveineuses

Définies comme un hémodétournement capillaire par shunt artérioveineux, ces malformations (fig. 11.8), heureusement rares, sont très graves. On distingue :

  • la fistule artérioveineuse (FAV), qui est un shunt entre une seule artère et une seule veine ;
  • la malformation artérioveineuse (MAV), qui est faite de shunts multiples, aboutissant à un peloton vasculaire intermédiaire (nidus) se drainant par une ou plusieurs veines.

Cliniquement, ces malformations se traduisent par une tuméfaction cutanée et sous-cutanée rouge, chaude, battante, pulsatile avec, à l'auscultation, un souffle et, à la palpation, un thrill. La peau peut être rosée ou rouge, simulant chez le tout jeune enfant un angiome plan.

L'anomalie peut être visible dès la naissance ou se révéler précocement. Elle apparaît le plus souvent plus tard, au décours de facteurs déclenchants (traumatisme, puberté, grossesse), qui sont dans 20 % des cas des facteurs d’évolution.

On distingue quatre stades évolutifs : dormance, expansion, destruction et destruction avec défaillance cardiaque.

La gravité de la maladie tient pour une part dans le caractère capricieux de cette évolution, que rien ne laisse prévoir et dont les conséquences peuvent être létales. C'est la raison pour laquelle le diagnostic doit être très tôt établi à l'aide des techniques d'imagerie.

À l’échographie-doppler, on retrouve une augmentation de la taille et du nombre des structures vasculaires en regard de la malformation, avec des courbes vélocimétriques artérielles assez voisines de ce qu'on rencontre dans les hémangiomes. L'IRM et le scanner (fig. 11.9) ont l'intérêt de visualiser l'extension et les signes indirects de la malformation (comblement d'espaces graisseux, atteinte osseuse). L'angio-IRM et surtout l’artériographie sont indispensables pour faire la cartographie de la lésion, distinguer les malformations à petit shunt (multitude d'afférences et nidus vermiculaires) au potentiel évolutif grave des malformations à gros shunt (artères élargies, nidus limité) et, le cas échéant, participer au traitement (fig. 11.10).

Le caractère relativement localisé des malformations artérioveineuses (limitation à un organe ou une partie d'organe) constituerait un élément pronostique favorable, si l’évolution de la maladie n’était inexorable, accélérée par le traumatisme ou l'imprégnation hormonale. La tumeur peut entraîner des déformations majeures, des nécroses, des troubles trophiques, des douleurs, des hémorragies, etc. Le retentissement cardiaque par hyperdébit est le fait des malformations volumineuses (2 % des malades). Des thérapeutiques inadaptées ajoutent encore aux complications propres des malformations artérioveineuses.

Deux formes cliniques faciales doivent être individualisées :

  • le syndrome de Bonnet, Dechaume et Blanc ou de Wyburn-Mason : grave, il associe à une malformation artérioveineuse médiofrontale ou jugale, une extension profonde, rétinienne et encéphalique ; le risque hémorragique (épistaxis incoercible) est majeur ;
  • les malformations artérioveineuses intramandibulaires : elles sont source de lyses osseuses diffuses et se compliquent d'hémorragie dentaire spontanée ou, après geste endobuccal, d'hémorragie cataclysmique pouvant aboutir au décès si le patient n'est pas orienté vers un service de radiologie interventionnelle.


Les malformations artérioveineuses ont donc un comportement évolutif particulier. Leur reconnaissance précoce est indispensable pour éviter les erreurs de prise en charge. Nombre d'observations témoignent que des erreurs de traitement génèrent des complications et des impasses thérapeutiques.

Figure 11.8 Malformation artérioveineuse
Figure 11.9 Malformation artérioveineuse
Figure 11.10 Artériographie sélective de la malformation artérioveineuse du patient de la figure 11.8.

Malformations vasculaires complexes et combinées

Systématisée ou non, la malformation vasculaire visible peut être le marqueur d'une lésion profonde au pronostic plus grave.

Malformations vasculaires complexes systématisées

À l’étage cranio-facial ont été cités le syndrome de Sturge-Weber-Krabbe dans la section des angiomes plans et le syndrome de Bonnet-Dechaume-Blanc dans celle des malformations artérioveineuses.

Le syndrome de Protée est un désordre polymalformatif consistant en des nappes de malformations capillaires, des masses lymphangiomateuses et lipomateuses, avec souvent une macrocéphalie, des macromélies asymétriques, « au hasard », et des hamartomes divers. L'IRM est nécessaire pour faire la part entre les masses lipomateuses et les masses vasculaires.

Malformations vasculaires disséminées

On distingue la maladie de Rendu-Osler et le blue-rubber-bleb nevus, ou syndrome de Bean.

La maladie de Rendu-Osler est une forme familiale pouvant atteindre deux cas pour 100 000 naissances ; il s'accompagne d'atteintes muqueuses diffuses avec épistaxis, d'atteintes digestives avec hémorragie digestive, mais également d'hématurie, voire de métrorragie. Des malformations artérioveineuses pulmonaires ou cérébrales peuvent être associées aux télangiectasies.

Le blue-rubber-bleb nevus, ou syndrome de Bean, est une angiomatose diffuse cutanéodigestive avec de multiples nodules veineux compressibles sous une peau claire. Les lésions sont associées à des lésions muqueuses digestives, sources d'hémorragie. Le diagnostic est posé par endoscopie digestive.

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