Les alliages à mémoire de forme (AMF) possèdent une propriété remarquable : après déformation, ils peuvent récupérer intégralement une forme définie par simple chauffage. Ils sont utilisés dans de nombreux domaines très variés, l’industrie automobile, des dispositifs antifeux, l’industrie aéronautique, des dispositifs médicaux et bien entendu dans le domaine dentaire [1 (1) Duerig T, Pelton A, Stöckel D. , An overview of nitinol medical applications. Materials science & engineering, 1999: 273-275, 149-160.].
En ce qui concerne l’odontologie, il existe deux grands axes principaux d’application : l’orthodontie et l’endodontie. Ces alliages peuvent être exploités cliniquement pour leurs propriétés pseudoélastiques remarquables : la superélasticité et la mémoire de forme.
L’origine de la flexibilité importante de ces alliages ne réside pas dans les notions classiques de l’élasticité. Robert Hooke aurait été bien désemparé devant les propriétés de ces alliages. Ce phénomène a été découvert en 1938, par hasard, par des américains sur des alliages or-cadmium. Il faut attendre 1963 pour que l'alliage nickel-titane à 50% en teneur atomique (NiTi) fasse l'objet de recherche intensives et que des applications apparaissent [2 (2) Civjan S, Huguet EF, De Simon LB, Potential applications of certain NiTi alloys. J. Dent. Res., 1975, 54(1) : 89-96.]. W.J. Buhler, ingénieur au Naval Ordonnance Laboratory nomma cet alliage NITINOL [3 (3) Buhler WJ, Wang FE, A summary of recent research on the Nitinol alloys and their potential application in ocean engineering. Ocean Enging.. 1968, 1 : 105-120.]. GF Andreasen fut le pionnier en ce qui concerne les applications orthodontiques, il en décrivit l'utilisation dans les années 1970. Le premier arc orthodontique en nickel-titane fut commercialisé par Unitek Corporation (maintenant 3M Unitek, Monrovia, CA, USA) sous le nom de Nitinol. Les applications endodontiques n'apparaissent que bien plus tard, en 1988 ; H Walia [4 (4) Walia H, Brantley WA, Gerstein H, An initial investigation of the bending and torsionnal properties of nitinol root canal files. J Endod. 1988 ; 14 : 346-51.] fabriqua les premières limes endodontiques à partir de fils orthodontiques.
Les propriétés pseudoélastiques des alliages à mémoire de forme (superélasticité, mémoire de forme) reposent sur l'existence d'une transformation de phase à l'état solide appelée transformation martensitique thermoélastique [5 (5) Patoor E, Berveiller M, Les alliages à mémoire de forme.- Paris : Hermes, 1990.- 63p.].
Historiquement, l’appellation « transformation martensitique » est associée à la transformation de l'austénite des aciers en martensite (découverte par Martens en 1879). Par extension, ce terme a été généralisé pour un certain nombre d'alliages dont les transformations possèdent certaines caractéristiques typiques de la transformation martensitique des aciers : c'est le cas non seulement d'alliages base fer, mais aussi d'alliages ou métaux nobles et d'alliages base titane et même de certains métaux purs (Co, Ti, Na) [6 (6) Guénin G, Alliages à mémoire de forme. Techniques de l’Ingénieur. 1986, 10 : 1-11.,7 (7) Muller J, Alliages à mémoire de forme. Matériaux et Techniques. 1988, 7(8) : 7-16.].
Guénin [voir 6] propose la définition suivante : "la transformation martensitique est une transformation displacive du premier ordre présentant une déformation homogène de réseau cristallographique, constituée principalement par un cisaillement".
La transformation de l’austénite en martensite est caractérisée par un déplacement collectif et coopératif des atomes, inférieur à la distance interatomique (de l'ordre du dixième de la distance interatomique). Chaque atome se déplace vers une nouvelle position grâce au déplacement des atomes voisins. L’absence de phénomène de diffusion permet à la transformation martensitique d’être quasi-instantanée et généralement indépendante de la vitesse de refroidissement de l’alliage.
La transformation présente, au moment de la transition, une discontinuité des grandeurs physiques reliées aux dérivés premières des potentiels thermodynamiques. Pour un état d’avancement donné de la transformation, il y a coexistence des deux phases : austénite et martensite.
Ces deux phases appartenant à deux systèmes cristallins distincts, elles n’ont pas le même volume. Il s'ensuit une déformation du réseau cristallographique (Figure 1), homogène du fait des mouvements atomiques coopératifs, s'effectuant principalement selon un mécanisme de cisaillement. La transformation est homogène car tout le volume transformé a été affecté par ce cisaillement (a). Celui-ci entraîne un changement de forme. À l’échelle microscopique, il faut donc envisager une déformation supplémentaire, s’ajoutant à celle de la déformation homogène. C’est une déformation inhomogène, caractérisée par un micromaclage (b). Celui-ci organise la martensite en micromacles (groupements autoaccommodés) afin de relaxer les contraintes internes. Ces micromacles appelées variantes correspondent à des cisaillements équivalents du point de vue cristallographique mais orientées dans différentes directions (24 variantes pour un monocristal d’austénite cubique). En absence de contrainte, ces variantes sont équiprobables et leurs déformations se compensent, ainsi la forme macroscopique du spécimen est inchangée.
Durant la transformation, il n’y a pas de variation de la composition chimique ni du degré d’ordre atomique. La formation de la martensite n’entraîne alors que des déformations élastiques donc réversibles, on parle de transformation martensitique thermoélastique et ces transformations ont un caractère de réversibilité non seulement au sens chimique mais aussi pour les microstructures.