3  -  Mécanismes d’action des différents systèmes

Après fraisage, les surfaces d’une préparation sont recouvertes d’une couche de boue formée des débris d’usinage. En anglais, elle est appelée « smear layer’ . Cette couche poreuse et hétérogène est un agglomérat d’hydroxyapatite et de protéines. Elle contient également des bactéries. Son épaisseur est variable selon la granularité des instruments rotatifs employés (1 à 3 μm en moyenne). Quel que soit le système adhésif, la procédure de collage commence par un traitement acide pour l’éliminer ou la stabiliser.
Ce traitement acide affecte au-delà de cette couche, la surface de l’émail et de la dentine pour créer des micro-rugosités et des micro-porosités propices à l’infiltration de monomères qui après polymérisation formeront une interphase adhérente et idéalement étanche entre les tissus dentaires et le biomatériau de restauration.
Schématiquement, il s’agit de substituer à l’hydroxyapatite déminéralisée ou éliminée de la résine. La principale composante de l’adhésion aux tissus dentaires est donc principalement micromécanique. Toutefois, des interactions chimiques additionnelles peuvent contribuer également à la liaison lorsque l’adhésif contient certains monomères fonctionnels capables de s’unir notamment à l’hydroxyapatite (Yoshida et coll., 2004). Cette composante chimique dont l’effet à court terme est masquée par la ténacité de l’ancrage micro-mécanique, pourrait jouer un rôle non négligeable dans le potentiel d’adhérence de certains adhésifs auto-mordançants faiblement acides et dans la longévité des joints collés.

3 . 1  -  Les systèmes avec mordançage préalable et rinçage (M&R)

  • Les systèmes M&R III

Ces systèmes regroupent plusieurs produits qui sont appliqués successivement sur les parois cavitaires. D’une manière générale, le traitement se fait en trois séquences:

Le mordançage

- La première consiste à appliquer une solution ou un gel, généralement d’acide phosphorique. Le temps d’application moyen est de 30 secondes au niveau de l’émail et 15 secondes sur la dentine. Ces durées peuvent êtres légèrement variables en fonction du pH et de la concentration de l’acide. Après rinçage, on obtient sur l’émail les classiques faciès propices à l’ancrage micro-mécanique de l’adhésif. Il est souhaitable d’employer des gels d’acide phosphorique dont la concentration est supérieure à 20 % pour contrôler visuellement l’efficacité du mordançage sur l’émail qui présente après rinçage et séchage, un aspect blanc mat crayeux.
Au niveau des surfaces dentinaires, l’attaque acide élimine l’essentiel des boues dentinaires, ouvre les orifices tubulaires, et déminéralise superficiellement les zones péri et inter-tubulaires sur une profondeur de un à quelques μm. Cette zone superficielle de dentine est constituée d’un réseau de fibrilles de collagène entrelacées et dispersées dans l’eau du rinçage. On peut estimer que la zone de dentine traitée est constituée d’un peu plus d’un quart de collagène et de presque trois quarts d’eau. La surface traitée est donc principalement hydrophile ce qui pose un problème pour y infiltrer une quantité suffisante de monomères méthacryliques hydrophobes nécessaires à l’obtention d’une bonne co-polymérisation avec le biomatériau de restauration. En effet, l’évaporation de l’eau du rinçage par séchage entraîne à ce stade une fusion des fibrilles protéiques. La surface collapsée devient compacte et non propice à la pénétration de la résine.

Le primaire

Le primaire (« primer » en anglais) joue un rôle majeur dans le processus d’adhésion à la dentine. C’est un liquide qui permet :
-    Soit de maintenir suffisamment poreux le réseau de collagène
-    Soit de le permettre sa ré-expansion s’il a été collapsé lors du séchage.

L’application d’un primaire s’avère a priori essentielle pour permettre une perméabilité de la dentine déminéralisée après évaporation de l’eau qu’elle contient. Une fois l’eau éliminée, la surface présente un caractère hydrophobe propice à la pénétration de la résine.
Les primaires contiennent de l’eau, des monomères hydrophiles et des solvants organiques. Le monomère le plus couramment employé est l’HEMA (hydroxy-éthyl méthacrylate) qui est le seul composé méthacrylique a être totalement soluble dans l’eau. La présence de solvant contribue à faciliter l’évaporation de l’eau après application du primaire. L’élimination quasi complète de l’eau par séchage s’avère nécessaire à la formation d’une interphase adhérente de qualité. La présence d’eau résiduelle conduit à la formation de lacunes et une réduction du taux de conversion des monomères de résine (Jacobson & Söderholm 1995)

La résine adhésive

La troisième étape du traitement adhésif est tout simplement l’application de la résine adhésive qui doit pénétrer les tubules et s’infiltrer dans les canaux du réseau protéique inter et péri-tubulaire. Dans des conditions optimales, après copolymérisation avec le composite, on aboutit à la formation d’une interphase adhérente et étanche entre le composite et la dentine intacte. Cette interphase est constituée d’une couche hybride inter et péri-tubulaire de brides résineuses intra-tubulaires (tags en anglais).

La couche hybride et les brides de résine

La couche hybride est un entrelacement de deux types de polymères: les fibres de collagène de la matrice dentinaire, polymère d’origine naturelle, d’une part, et les macromolécules  de l’adhésif, polymère de synthèse d’autre part. Cet ancrage micro-mécanique peut être comparé à un « velcro » à l’échelle macromoléculaire. L’imprégnation des protéines dentinaires par la résine rend la couche hybride acido-résistante (Nakabayashi & Takarada 1992). Une zone hybride de bonne qualité non dégradable pourrait une protection de la dentine intacte sous-jacente et se révéler potentiellement cario-résistante. En pratique cet idéal n’existe pas encore. Les processus de dégradation de la couche hybride seront évoqués plus loin.
Les brides résineuses intra- canaliculaires participent  tout autant que la couche hybride à l’adhésion dentinaire sans que l’on puisse dire quel est  des deux phénomènes celui qui est dominant. On peut supposer que ces brides de résine ont un rôle prépondérant notamment pour les cavités profondes, compte tenu de l’augmentation de la densité et du diamètre des tubules au fur et à mesure que l’on se rapproche de la pulpe (Mjör & Nordahl 1996). Mais l’élimination des boues dentinaires conduit à une perfusion continue du fluide dentinaire vers la surface sous l’effet de la pression intra-pulpaire. Ce flux centrifuge est plus important en dentine profonde pour les raisons anatomiques évoquées. L’impossibilité d’éliminer l’eau résiduelle affaiblie nécessairement le joint collé.

  • Les systèmes M&R II

Ce sont les produits présentés en un seul flacon. Schématiquement, ils contiennent à la fois les éléments du primaire et de  la résine adhésive, c’est-à-dire, des monomères hydrophobes, des monomères hydrophiles, des solvants, parfois des charges et bien sûr, des amorceurs de polymérisation. La présentation de ces adhésifs permet de supprimer l’étape intermédiaire de l’application du primaire. Leurs solvants organiques (généralement alcool ou acétone) activent la pénétration du produit appliqué et facilitent l’évaporation de l’eau, lors du séchage Le traitement ne comprend plus que deux séquences. Leur mise en oeuvre est plus simple que celle des M&R III, mais elle est en fait délicate. Le problème de l’élimination des excès d’eau à la surface de la dentine mordancée et rincée, avant application de l’adhésif, devient crucial. En excès, l’eau s’oppose à la formation d’un joint adhésif continu ; c’est le phénomène du «  sur-mouillage » (Tay et coll..1996). À l’inverse, un séchage trop intense entraîne un collapse du collagène avec les conséquences déjà évoquées. La difficulté pour le clinicien est trouver le bon degré d’humidité dentinaire procurant une pénétration optimale de l’adhésif. Malheureusement il est très difficile de maîtriser cet état. Plusieurs techniques ont été proposées à cet effet: séchage à l’air progressif en se rapprochant de la préparation, élimination des excès par simple aspiration avec la canule salivaire, absorption des excès d’eau par tamponnement à l’aide de boulette de coton humide ou de « micro-brosses » ou, à l’inverse, séchage de la cavité à l’air comprimé suivi d’une réhydratation par tamponnement (kanca 1996, de Goes et coll. 1997). Les adhésifs M&R II contenant de l’acétone sont considérés comme plus sensible à l’état d’humidité de la dentine que ceux qui contiennent de l’alcool.

3 . 2  -  Systèmes auto-mordançants (SAM)

Les systèmes auto-mordançants contiennent tous de l’eau. L’eau est nécessaire pour activer le potentiel d’ionisation de leurs monomères fonctionnels acides qu’ils contiennent. Mosner et coll. ont publié récemment une synthèse documentée très complète sur la chimie des monomères auto-mordançants (Mosner et coll., 2005). Comme ils participent à la polymérisation, il n’y a donc pas de rinçage après leur application. Les monomères acides déminéralisent et infiltrent simultanément émail et dentine. Au niveau de la dentine, ils dissolvent en premier la phase minérale de la boue dentinaire avant d’attaquer superficiellement la dentine sous jacente. Les ions calcium et phosphates passent en solution dans l’adhésif liquide. Les groupements carboxyles ou phosphates de certains monomères fonctionnels peuvent former des liaisons chimiques avec les phases d’hydroxyapatite dissoute, contribuant à une meilleure cohésion de la résine infiltrée après polymérisation et, probablement à une meilleure résistance à l’hydrolyse de cette zone (de Munk et coll. 2005). La boue dentinaire n’est donc pas totalement éliminée mais infiltrée. Après polymérisation, les constituants organiques de cette boue sont imprégnés par la résine de l’adhésif, ainsi que les fibres de collagène de la surface dentinaire traitée. La zone hybride contient donc à la fois les protéines de la boue et de la dentine. Comme le pH des monomères se situe dans la fourchette 0,8-2,5, la couche hybride est de faible épaisseur (généralement inférieure à 2 mm) comparée à celle que l’on peut former après attaque à l’acide phosphorique qui est plus acide. Mais il est clairement établi que l’adhérence à la dentine ne dépend pas de l’épaisseur de la couche hybride (Pioch et coll. 1998, Tay & Pashley 2001, Tani & Finger 2002). L’acidité des primaires des SAM peut être conséquente sur leur efficacité au niveau de l’émail et sur la durabilité des joints qu’ils forment. C’est pourquoi Van Meerbeek et coll.. distinguent les primaires et/ou adhésifs à caractère acide fort (pH<1) et ceux qui présentent qui sont plus faiblement acides (pH>2) (Van Meerbeek et coll. 2003).
Il existe donc des systèmes auto-mordançants qui nécessitent l’application successive de 2 produits différents (SAM2) et d’autres qui ne requièrent qu’une seule application (SAM1). 

  • Les systèmes SAM II


Pour le SAM II, on applique en premier un primaire acide. C’est que les anglo-saxons appellent le « self-etching primer ». Ce produit est l’alternative à l’attaque à l’acide phosphorique. Il déminéralise et infiltre simultanément les tissus dentaires calcifiés. Pour que sa diffusion en profondeur soit efficace, il doit agir pendant un temps minimum (20 à 30 secondes selon les produits). Après évaporation de l’eau qu’il contient par séchage, il est recouvert d’une résine dont la majeure partie des composants est hydrophobe. C’est généralement une résine classique très similaire à celle des M&R III. Rappelons que la polymérisation des esters méthacryliques est une réaction hydrophobe qui est inhibée par l’eau et l’oxygène. Cette deuxième couche permet d’obtenir une co-polymérisation efficace avec la matrice des composites. Elle peut également contribuer à dissiper les contraintes du retrait de polymérisation du composite et les contraintes mécaniques subies par la restauration en fonction, réduisant ainsi le risque de rupture des interfaces collées. Elle contribue également à limiter l’incompatibilité du système adhésif avec les composites et les colles chimio-polymérisables ou duales (Cheong et coll. 2003). Ce problème sera évoqué plus en détail plus loin.

  • Les systèmes SAM I

Les SAM1 combinent avec un seul produit les rôles de mordançage, primaire et adhésif. Les anglo-saxons les nomment « all-in-one » soit, tout en un. Leur avantage apparent est de simplifier la procédure clinique du collage. Outre cet aspect ergonomique, la réduction des séquences opératoires limite potentiellement le risque d’erreur de manipulation que l’on peut faire à chaque étape du collage. Toutefois, ces produits associent nécessairement de l’eau, des monomères hydrophiles, des solvants et des monomères hydrophobes. La coexistence de ces constituants dans une solution homogène ne peut se faire que dans des limites critiques de composition. Ils peuvent être sujet à séparation de phase lors de leur procédure d’application surtout si l’évaporation de l’eau qu’ils contiennent n’est pas suffisante (van Landuyt et coll. 2005).

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