Les adhésifs amélo-dentinaires sont des biomatériaux d’interfaces. Ils contribuent à former un lien idéalement adhérent et étanche entre les tissus dentaires calcifiés et des biomatériaux de restauration ou d’assemblage. Hormis les ciments verre-ionomères, leurs dérivés et quelques rares colles auto-adhésives, tous les biomatériaux employés en dentisterie restauratrice et en prothèse fixée requièrent leur emploi. Leurs champs d’indication est donc bien établi et leur apport à l’essor de thérapeutiques plus conservatrices, plus esthétiques et plus biocompatibles est tellement évident qu’il ne se discute plus aujourd’hui (Roulet & Degrange 2000). Les problèmes que posent ces produits relèvent de leur efficacité immédiate et dans la durée.
Cette efficacité dépend principalement de leur mise en œuvre, car la technique adhésive s’avère très sensible à la manipulation.
Bien les employer, bien les exploiter requiert au préalable de bien connaître leurs mécanismes d’action.
Les monomères qu’ils contiennent sont susceptibles de pénétrer les microrugosités de l’émail et de la dentine avant de se lier par polymérisation au matériau de restauration (généralement un composite). Leur infiltration nécessite une attaque acide préalable ou simultanée à leur application sur les deux tissus. Après prise, ils contribuent à former une interphase mixte tissus-biomatériaux (Nakabayashi et coll. 1982). La principale composante de cette adhésion est donc d’ordre micromécanique, voire nano-mécanique. En réalité, leur mode de liaison est un phénomène plus complexe qui implique des contributions tant physico-chimiques que chimiques. Sur le plan physico-chimique, ces produits doivent mouiller puis s’infiltrer le plus parfaitement possible les microporosités des substrats. Par ailleurs, une étude récente a montré que les groupements fonctionnels de certains monomères étaient susceptibles de former des liaisons chimiques primaires notamment avec le calcium de l’hydroxyapatite (Yoshida et coll. 2004).
Quelles sont les qualités que l’on demande à un adhésif?
La première d’entre elle est incontournable : c’est une biocompatibilité. Un adhésif ne devrait pas induire de réaction néfaste ni pour son utilisateur, ni pour son destinataire. Idéalement, il ne doit pas être allergisant ni toxique. Il ne doit pas avoir de potentiel mutagène.
Tous les adhésifs actuels possèdent des terminaisons méthacryliques qui sont le siège de leur polymérisation. Les doubles liaisons C=C possèdent un potentiel allergisant non négligeable. L’effet est plus conséquent pour les praticiens que les patients. Une enquête conduite au Danemark a montré que 1,7% des dentistes présentait une allergie aux acryliques (Munskgaard et coll., 1996). À ce titre, les gants en latex, qui sont eux-mêmes sensibilisants, n’offrent qu’une protection très temporaire compte tenu de leur perméabilité à certains monomères (Munskgaard, 1992).
Sur un plan plus local, un adhésif ne doit pas être cytotoxique pour la pulpe. Idéalement, il devrait promouvoir la cicatrisation dentino-pulpaire. Si un certain nombre d’études in vitro ont mis en évidence un potentiel cytotoxique des adhésifs (Camps et coll.. 1997, Bouillaguet et coll.. 1998), leur comportement in vivo apparaît au contraire favorable à la cicatrisation pulpaire, à la double condition qu’ils ne soient pas employés comme matériaux de coiffage direct et qu’ils assurent une interface étanche à la pénétration des fluides buccaux et des bactéries qu’ils contiennent (Demarco et coll.. 2001, Mjör 2002).
Un adhésif doit avant tout coller. Il doit assurer de manière immédiate un joint adhérent suffisamment fort pour s’opposer aux contraintes de polymérisation du composite qu’on applique à sa surface. Par ailleurs, comme la mise en fonction d’une restauration suit directement le traitement, ce joint doit présenter une résistance précoce suffisante particulièrement lorsque la rétention est faible et que l’essentiel de la tenue est assurée par le collage. Il est habituellement admis qu’il doit être étanche à l’échelle du micromètre qui est celle de la bactérie. En fait, c’est à une dimension bien plus faible (celle du nanomètre) que l’interface adhésif - tissus dentaires doit s’établir pour éviter la pénétration de fluides générateurs de sensibilités postopératoires.
Les qualités d’adhérence et d’étanchéité doivent non seulement être immédiates mais durables pour éviter les colorations marginales, les caries récurrentes, les sensibilités, voire la perte de la restauration qui sont autant de phénomène de dégradation limitant la longévité des traitements. Au niveau des marges amélaires, ce critère apparaît bien établi depuis longtemps non pas en raison des qualités intrinsèques des adhésifs, mais par le biais du mordançage avec des solutions d’acide phosphorique. Au niveau de la dentine, plusieurs études récentes mettent en évidence in vitro et in vivo, une détérioration de la zone profonde de la couche hybride dont les mécanismes seront évoqués plus loin (Sano et coll.. 1995, Hashimoto et coll.. 2000)
Dans l’emploi d’un adhésif, tout praticien devrait idéalement pouvoir espérer des résultats thérapeutiques fiables et reproductibles. Ce n’est pas le cas actuellement car la technique adhésive est très sensible à la manipulation. De petits écarts dans la procédure de mise en œuvre sont susceptibles de compromettre la durabilité du collage. Ce problème sera abordé en détail.