- Pré-requis et Objectifs
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Cours
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Contenu
- 1 - Méthodes de recueil des apports alimentaires
- 2 - Exploitation des données
- 3 - Limites des enquêtes alimentaires
- 4 - Résumé et conclusion
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Contenu
- Annexes
Les enquêtes alimentaires sont des méthodes développées pour évaluer les apports alimentaires d'un individu, ou d'un groupe d'individus. L'évaluation des apports alimentaires est utilisée en épidémiologie et en pratique clinique, avec des objectifs un peu différents.
L'objectif principal de l'épidémiologie nutritionnelle est de mettre en relation les modes de consommations alimentaires et le risque de développer certaines pathologies. Les enquêtes permettent ainsi de cerner des nutriments, des aliments ou des profils de consommation plus ou moins bénéfiques ou néfastes à la santé. L'élaboration des apports nutritionnels conseillés pour la population, des doses toxiques maximales tolérables ou encore des guides de recommandations pour l'alimentation repose aussi sur les données des enquêtes alimentaires réalisées à grande échelle.
En clinique, l'évaluation des apports alimentaires fait, entre autre, partie de la prise en charge des maladies « liées à la nutrition » mises en évidence par l'épidémiologie nutritionnelle.
Nous décrirons dans ce chapitre les grandes méthodes de recueil des apports alimentaires, puis nous verrons comment peuvent être exploitées les données recueillies. Enfin, nous mettrons en évidence les limites des enquêtes alimentaires dans le but d'éveiller l'esprit critique du lecteur et de l'aider dans ses choix et réflexions autour de l'évaluation des apports alimentaires.
Thompson F.E., Byers T., Dietary assessment resource manual. J. Nutr., 1994, 124, 2245S-2317S.
Freudenheim J.L., A review of study designs and methods of dietary assessment in nutritional epidemiology of chronic disease. J. Nutr., 1993, 123, 401-405.
Biró G., Hulshof K.F.A.M., Ovesen L., Amorim Cruz J.A., Selection of methodology to assess food intake. Eur. J. Clin. Nutr., 2002, 56 Suppl 2, S25-S32.
Romon M., Évaluation de l'apport alimentaire. In : « Traité de nutrition clinique », A. Basdevant, M. Laville, E. Lerebours. Médecine-Sciences Flammarion, Paris, 2001, 109-120.
Tucker K.L., Assessment of usual dietary intake in population studies of gene-diet interaction. Nutr. Metab. Cardiovasc. Dis., 2007, 17, 74-81.
Cf. [1-5]. Le recueil des apports alimentaires peut être envisagé sous plusieurs angles. Nous décrirons, pour information, les méthodes d'enquêtes alimentaires réalisées au niveau collectif en dernière partie de ce paragraphe, mais l'essentiel de cet exposé portera sur la description des méthodes recueillant les données au niveau de l'individu. Parmi les méthodes d'enquête alimentaire réalisées au niveau individuel, certaines recueillent les consommations sur des jours définis alors que d'autres s'attachent à recueillir des informations sur les consommations habituelles du sujet.
L'enregistrement alimentaire a longtemps été considéré comme la méthode de référence parce qu'il permet d'apporter des informations précises sur les apports alimentaires. Dans ce type d'enquête, on demande au participant de noter sur un carnet le détail de ses consommations d'aliments et de boissons pendant une période déterminée.
Historiquement, l'enregistrement alimentaire était préconisé sur une période de 7 jours, de manière à couvrir les variations d'apports observées au cours d'une semaine. En pratique, il est fréquemment réalisé sur une période de 3 ou 4 jours pour éviter une perte de compliance des sujets liée à un enregistrement trop long. Pour faciliter l'organisation de l'enquête, le recueil se fait en général sur des jours consécutifs comprenant au moins un jour de weekend, mais certains protocoles imposent parfois qu'il soit réalisé sur des jours non consécutifs pour éviter une trop grande corrélation des données.
La forme d'enregistrement la plus simple consiste à reporter les types et horaires de consommation d'aliments et boissons sans détail sur les quantités. Ce type d'enregistrement peut être utile pour déterminer des profils de consommation, mais ne permet pas d'estimer de manière précise les apports.
Plus fréquemment, il est également demandé au sujet de préciser les quantités consommées. Les estimations les plus précises sont obtenues par la pesée directe des aliments à l'aide d'une balance. Cette technique nécessite de la part du répondant une coopération et un investissement très importants qui risquent de renforcer l'apparition de certains biais liés à la méthode d'enregistrement.
Peser les aliments donne au sujet l'opportunité de prendre concrètement conscience de ses apports et risque ainsi d'influencer ses consommations pendant la période d'enregistrement. Les données recueillies ne reflèteront donc pas les consommations habituelles. La méthode d'enregistrement nécessite de savoir lire et écrire et sa lourdeur risque de sélectionner la population la plus motivée.
La quantification en unités ménagères (cuillère, bol, verre…) préalablement calibrées par l'enquêteur, ou la présentation au répondant de modèles de photographies sont d'autres moyens couramment employés pour estimer les quantités consommées. L'influence sur les habitudes alimentaires est potentiellement moins importante qu'avec la méthode par pesée.
Une autre alternative est de demander au répondant de photographier les aliments ou les repas avant de les consommer, la quantification étant alors laissée à l'appréciation de l'enquêteur.
Afin d'obtenir une bonne qualité de données à partir de ce type de recueil, il est nécessaire de former les participants pour la description précise des aliments (noms, préparations, ajout de condiments, prise en compte des snacks, etc.) et l'estimation des quantités. Théoriquement, l'enregistrement est fait en temps réel au moment de la prise alimentaire, mais des dictaphones peuvent être utilisés pour faciliter le recueil, en particulier chez les sujets peu lettrés. Chez les enfants, l'enregistrement peut éventuellement être réalisé par une tierce personne. À la fin de l'enregistrement, un enquêteur entraîné revoit avec le répondant l'ensemble des données afin de les clarifier et de rechercher d'éventuels oublis.
Le rappel des 24 heures est réalisé au cours d'un entretien pendant lequel on demande au sujet de se remémorer et de décrire tous les aliments et boissons consommés pendant les 24 h précédentes. L'entretien peut se faire en face-à-face ou par téléphone, avec des résultats comparables [6, 7].
Tran K.M., Johnson R.K., Soultanakis R.P., Matthews D.E., In-person vs telephone-administered multiple-pass 24-hour recalls in women: validation with doubly labeled water. J. Am. Diet. Assoc., 2000, 100, 777-783.
Fox T.A., Heimendinger J., Block G. , Telephone surveys as a method for obtaining dietary information: a review. J. Am. Diet. Assoc., 1992, 92, 729-732.
Par son interrogatoire, l'enquêteur a pour rôle d'aider le répondant à rapporter ses consommations, tout en évitant de l'influencer dans ses réponses. Sa formation et sa compétence sont donc primordiales.
Le rappel, généralement fait selon l'ordre chronologique des prises alimentaires de la veille, est affecté par les défauts de mémorisation du répondant. Une technique a été développée aux États-Unis pour améliorer la qualité du rappel et limiter la sous-déclaration des répondants [8].
Johnson R.K., Driscoll P., Goran M.I., Comparison of multiple-pass 24-hour recall estimates of energy intake with total energy expenditure determined by the doubly labeled water method in young children. J. Am. Diet. Assoc., 1996, 96, 1140-1144.
Dans cette technique, l'interrogatoire est guidé par une série de questions qui portent spécifiquement sur certains points source d'erreurs ou d'oublis. Ce rappel est dit « à passages multiples », parce qu'il est réalisé en 5 étapes successives :
Contrairement aux méthodes précédentes qui évaluent les apports alimentaires sur une période précise, l'histoire alimentaire cherche à évaluer les habitudes alimentaires typiques du sujet.
La méthode, initialement décrite dans les années 40, comprenait plusieurs étapes dont un enregistrement alimentaire de 3 jours destiné à vérifier les données recueillies lors de l'entretien [9]. En pratique, l'enregistrement alimentaire n'est que très rarement réalisé.
Rutishauser I.H.E., Dietary intake measurements. Public Health Nutr., 2005, 8, 1100-1107.
Pendant l'entretien, l'enquêteur interroge dans le détail le répondant sur la répartition habituelle de son alimentation afin d'apprécier son profil alimentaire. Cependant, les apports alimentaires variant dans le temps, il est difficile de définir un profil alimentaire typique sans définir une période de temps à laquelle il se rapporte. Ainsi, en fonction des objectifs de l'enquête et de la typologie du répondant, l'interrogatoire pourra porter sur une période variable correspondant, par exemple, à une semaine typique, une quinzaine typique, une saison typique voire à une période précise de la vie.
Pour faciliter le rappel, l'histoire alimentaire est souvent retracée en fonction des repas. Mais l'approche basée sur les repas n'est pas la mieux appropriée chez les sujets, de plus en plus nombreux, pour qui les prises alimentaires ne sont plus rythmées par les repas classiques. Elle risque dans ce cas d'entraîner une sous-estimation des apports et une mauvaise évaluation du profil alimentaire en écartant du recueil les consommations interprandiales.
Un rappel des 24 heures bien conduit peut être utile pour débuter l'entretien. Les consommations de la veille pourront ainsi servir de base à l'étude des variations habituelles de consommations (catégories d'aliments, composition des repas et répartition des prises alimentaires).
Concernant l'évaluation des quantités, une auto-appréciation qualitative est souvent suffisante (apports élevés, moyens, faibles), mais des informations plus précises peuvent être obtenues à l'aide d'outils spécifiques (modèles, photographies, unités ménagères).
Une histoire alimentaire demande en général au moins 1 heure d'entretien, et nécessite, comme pour le rappel des 24 h, un enquêteur particulièrement entraîné à orienter le répondant par des questions précises, mais toujours neutres.
Il n'en reste pas moins que, comme pour le rappel des 24 h mais de manière plus marquée avec l'histoire alimentaire, les données obtenues avec ce type d'enquête sont très liées au répondant et aux compétences de l'enquêteur. La comparaison des résultats entre individus peut être plus délicate qu'avec d'autres méthodes.
Cade J., Thompson R., Burley V., Warm D., Development, validation and utilisation of food-frequency questionnaires – a review. Public Health Nutr., 2002, 5, 567-587.
Les questionnaires de fréquence sont utilisés pour évaluer la consommation habituelle de certains aliments. Il s'agit de la méthode d'enquête alimentaire la plus simple d'utilisation, mais aussi probablement celle qui demande le plus gros travail de préparation en amont.
Un questionnaire de fréquence est constitué d'une liste d'aliments auxquels sont associées des catégories de fréquence de consommation (en nombre de fois par jours, par semaine, par mois, etc.). Il est demandé au répondant de cocher, pour chaque aliment de la liste, la fréquence qui s'approche le plus de sa consommation habituelle.
Le choix ou la création d'un questionnaire de fréquence dépend avant tout de la population ciblée et de l'objectif de l'enquête qui peut être d'évaluer la consommation d'aliments, de catégories d'aliments ou de nutriments.
Lorsque le temps et les moyens sont limités, il est possible d'adapter un questionnaire déjà existant, après s'être assuré de la pertinence de son utilisation. Pour cela, il est important de savoir si le questionnaire original a été validé, pour quel objectif, pour quelle population et à quelle époque il a été créé.
Lorsque le temps et les moyens le permettent, la création d'un questionnaire spécifique aux besoins de l'enquête est préférable, mais demande une méthodologie rigoureuse.
La variabilité des choix alimentaires d'un groupe d'individus (aliments, marques, modes de préparation, etc.) est très vaste et ne peut pas être représentée de manière exhaustive dans un questionnaire de fréquence. Le choix des items alimentaires à inclure dans la liste est ainsi crucial pour le succès du questionnaire.
En règle générale, pour qu'un item alimentaire soit informatif au sein d'un questionnaire de fréquence, il doit répondre à 3 critères :
La connaissance préalable des habitudes alimentaires de la population étudiée, soit par la réalisation d'une autre enquête alimentaire, soit par l'exploitation de données existantes récentes est donc indispensable pour choisir avec pertinence les items à inclure dans la liste. La sélection se fait à partir de ces données grâce à des méthodes statistiques de régression pour retenir les aliments qui contribuent le plus aux apports du nutriment étudié et qui permettent de classer les individus en fonction de leur consommation.
Le nombre d'items à retenir est un autre point méthodologique à ne pas négliger. La liste d'aliments peut varier de quelques items à quelques centaines d'items. La tentation serait de construire le questionnaire le plus précis possible pour obtenir un grand nombre d'informations. Or, la coopération du répondant et la précision de ses réponses diminuent avec la longueur du questionnaire [4]. De plus, il a été montré [10] que le gain de précision obtenu par l'accroissement du nombre d'items décroît rapidement avec l'allongement du questionnaire. La longueur de la liste est en fait déterminée par l'objectif du questionnaire. En général, plus l'objectif est spécifique, plus le questionnaire a tendance à être concis. Par exemple, un questionnaire évaluant l'apport en folates [11] ou en phytÅ“strogènes [12] sera plus court qu'un questionnaire évaluant les apports énergétiques totaux.
Hickling S., Knuiman M., Jamrozik K., Hung J., A rapid dietary assessment tool to determine intake of folate was developed and validated. J. Clin. Epidemiol., 2005, 58, 802-808.
French M.R., Thompson L.U., Hawker G.A., Validation of a phytoestrogen food frequency questionnaire with urinary concentrations of isoflavones and lignan metabolites in premenopausal women. J. Am. Coll. Nutr., 2007, 26, 76-82.
Un questionnaire dont le but est d'évaluer de manière absolue le niveau d'apport d'un nutriment donné sera plus long qu'un questionnaire utilisé pour simplement dépister les « grands » ou « petits » mangeurs au sein d'une population. Lorsque l'on cherche à estimer quantitativement les apports, il faut savoir que la longueur de la liste peut influencer les résultats : les listes longues ont tendance à surestimer alors que les listes courtes ont tendance à sous-estimer les apports [4].
Une fois la liste établie, la dernière étape de la création du questionnaire est d'obtenir une mesure de la fréquence de consommation qui peut être complétée d'une information sur la taille des portions (questionnaires semi-quantitatifs). Là encore, le nombre de propositions dépend de l'objectif de l'enquête et de la population étudiée, mais les catégories de fréquence devraient toujours être continues, sans « trous », afin que chaque répondant puisse trouver la catégorie qui correspond le mieux à sa consommation habituelle.
Les bilans de disponibilité alimentaire d'un pays fournissent la quantité d'aliments disponible sur le marché intérieur à une période donnée, exprimée en poids ou volume par habitant et par jour. Ces données sont basées sur les statistiques agricoles nationales et internationales (FAO, OCDE, Eurostat). Elles sont obtenues par la somme de la production nationale et des importations à laquelle sont retranchées les exportations, les pertes (ou déchets) et les utilisations alimentaires animales.
Ces statistiques nationales, calculées sur les mêmes bases année après année, sont intéressantes pour suivre l'évolution des grandes tendances de consommations d'un pays. Cependant, elles restent assez grossières puisque fondées sur les seuls flux économiques. Ramenées au nombre d'habitants, elles sont largement surestimées car les pertes aux différents stades, depuis la production jusqu'à l'assiette du consommateur, ne sont pas évaluées. Par ailleurs, il s'agit de moyennes nationales qui ne tiennent pas compte de différents facteurs liés à l'alimentation comme l'âge, le sexe ou le niveau socioculturel. Ainsi, ces données doivent être prises pour ce qu'elles sont, soit des données de disponibilités alimentaires totales. Elles ne peuvent pas être assimilées aux consommations totales, et encore moins aux consommations individuelles.
En France, l'INSEE et certaines sociétés privées réalisent régulièrement des enquêtes sur les achats alimentaires des ménages. Ces études ont l'avantage de porter sur de larges échantillons, mais présentent plusieurs inconvénients. Premièrement, elles ne sont en général pas représentatives de l'ensemble des consommateurs français car certains panels comportent des critères d'exclusion (exclusion des hommes vivant seuls ou des personnes vivant en collectivité pour le panel SECODIP). Deuxièmement, les consommations hors domicile ne sont habituellement pas prises en compte. Troisièmement, la consommation de chaque membre du ménage n'est pas individualisable, puisque l'unité de base est le ménage.
Enfin, ces données concernent les achats ; or, ce qui est acheté n'est pas forcément consommé, et ce qui est consommé n'est pas forcément acheté.
Les données d'achats et de dépenses alimentaires permettent de mettre en évidence des typologies de « consommateurs » au sens économique du terme, mais là encore ne permettent d'approcher que de manière indirecte les consommations alimentaires des individus.
L'INSEE fournit également tous les ans des statistiques nationales sur la consommation (Annuaire statistique de la France) qui cette fois modulent les données de disponibilité alimentaire et d'achats des ménages en y intégrant des données provenant des professionnels de la distribution, de l'autoproduction, de la consommation dans les institutions et hors domicile. Ces statistiques donnent une moyenne des consommations estimées à partir des disponibilités par habitant, mais ne fournissent toujours pas d'information sur la variabilité individuelle ou régionale.