4
-
Complications et surveillance
Les complications sont en partie communes à tous les organes transplantés (rejets – infections à germes opportunistes et cancers) et en partie liées à l'organe transplanté. Aussi nous prendrons à type d'exemple celles observées en transplantation rénale, en les individualisant selon trois périodes :
- l'hospitalisation,
- les quatre premiers mois,
- le long terme après le 4e mois.
4
.
1
-
L’hospitalisation
Pendant la phase d'hospitalisation qui tend à diminuer progressivement et qui dure environ 14 jours, cinq types de complications peuvent être observées :
-
chirurgicales : liées à l'acte de greffe hétérotopique (« en dehors du lieu habituel ») des vaisseaux du greffon sur les vaisseaux iliaques externes et à la confection d'une anastomose urétérovésicale. Les complications chirurgicales sont rares. Les plus graves sont les thromboses vasculaires, artérielles ou veineuses qui surviennent dans 1 à 3 % des cas et qui sont favorisées par l'athéromatose des vaisseaux du donneur et/ou du receveur et l'obésité du receveur. Elles se manifestent par une anurie avec absence de vascularisation du greffon au Doppler ou à l'artériographie et généralement imposent une transplantectomie. Les désunions urétérovésicales ou nécroses urétérales sont plus rares et peuvent être prévenues par la mise en place d'une sonde JJ dans les premières semaines de la greffe. Les lymphocèles sont fréquentes mais rarement symptomatiques.
-
immunologiques : Le rejet hyper aigu (cf. chapitre 2) est rare (moins de 1 %) et grave puisque aboutissant à la transplantectomie. Là encore le Doppler ou l'artériographie constatent l'absence de vascularisation du greffon. Le rejet aigu cellulaire (cf. chapitre 2) est plus fréquent mais le plus souvent prévenu par le traitement immunosuppresseur. Cliniquement il est suspecté après le 5e jour devant une augmentation de la créatininémie (de plus de 20 %) par rapport au nadir (meilleur créatininémie observée) ou devant une absence d'amélioration de la fonction rénale. Il existe rarement des signes cliniques francs tels que fièvre ou augmentation de volume du greffon. Il est mis en évidence par l'étude histologique de la biopsie du greffon selon une classification internationale (classification de Banff). Il est traité par des bolus de Solumédrol® (en général pendant 5 jours consécutifs) et par des anticorps anti-lymphocytes T en cas de résistance aux corticoïdes.
-
rénales : la reprise de la fonction rénale est généralement précoce dans les heures qui suivent la transplantation. Néanmoins les lésions d'ischémie-reperfusion du greffon, liées à la réanimation du donneur, au prélèvement, à la conservation et à l'acte de greffe, peuvent entraîner des lésions de nécrose tubulaire pouvant aller jusqu'à l'anurie du greffon. Elles sont facilement différenciées des thromboses vasculaires et du rejet hyper-aigu par le Doppler qui montre une vascularisation de l'ensemble du greffon avec généralement des résistances élevées. Les conséquences en sont un retard de fonctionnement du greffon, défini par la nécessité d'au moins une dialyse dans la première semaine post-greffe, observé dans environ 25 % des cas, ou une reprise lente de la fonction du greffon, définie par une créatininémie non spontanément inférieure à 250 µmol/l pendant la première semaine. L'âge élevé du donneur (supérieur à 60 ans) et une ischémie froide (temps entre la perfusion du greffon par un liquide de conservation à 4°C lors du prélèvement et la sortie du rein du liquide de conservation à 4°C) supérieure à 24 heures sont les principaux facteurs de survenue de nécrose tubulaire.
-
infectieuses : Il s'agit essentiellement d'infections nosocomiales (pneumopathies post-intubation - bactéries ou septicémies sur cathéter - infections urinaires sur sonde JJ) généralement prévenues par une antibioprophylaxie peropératoire et une hygiène rigoureuse.
- cardiaques : La transplantation d'un rein augmente brutalement le débit cardiaque de 25 %. De plus, en cas de retard de fonctionnement du greffon dans les premiers jours il existe une inflation hydrosodée. Aussi la survenue de complications cardiaques et/ou coronariennes n'est pas rare. Elle est prévenue par un bilan pré-greffe précis à la recherche d'une atteinte coronarienne (éventuellement corrigée) ou cardiaque (fraction de raccourcissement inférieure à 30 %).
4
.
2
-
Les quatre premiers mois
Les quatre premiers mois sont marqués essentiellement :
- soit par la survenue d'un épisode de rejet cellulaire aigu,
- soit par la survenue d'une infection à germes opportunistes liée à l'immunodéficit essentiellement T.
- le rejet aigu : (cf. chapitre 5.1.2. et chapitre 2 précédents) présente un pic de fréquence dans le premier mois et s'observe rarement après le 4e mois en dehors d'une non compliance du traitement immunosuppresseur. La fréquence est actuellement rare (moins de 20 % voire moins de 10 % avec certains protocoles immunosuppresseurs). Il est nécessaire de le prévenir dans la mesure du possible car son existence est un des principaux facteurs de survenue du rejet chronique. Son diagnostic impose de fréquents contrôles de la fonction rénale en consultations (1 à 2 fois par semaine).
- les infections opportunistes : Deux types d'infections sont majeures. La première est l'infection à Pneumocystis carini, qui induit une pneumopathie interstitielle hypoxémiante. Elle est actuellement prévenue par l'administration de Bactrim®, 1 comprimé par jour pendant les 4 premiers mois, ce qui a aussi l'avantage de prévenir la survenue d'infection à toxoplasme, à nocardia et la majorité des infections urinaires. La seconde est l'infection à cytomégalovirus (CMV). Le risque de survenue de primo-infection est très important (70 %) lorsque la sérologie du donneur est positive et celle du receveur négative. Le risque de réinfection ou de réactivation est moindre (20 à 30 %) lorsque la sérologie pré-greffe du receveur est positive. La survenue d'une infection sanguine à CMV est recherchée systématiquement par la pratique hebdomadaire d'une antigénémie (marquage par immunofluorescence des leucocytes infectés à l'aide d'un anticorps monoclonal anti pp 65 du CMV) ou d'une PCR, à partir de la 3e semaine jusqu'en général la fin du 4e mois. L'infection à CMV peut prendre 3 formes :
- 1. infection asymptomatique mise en évidence par une antigénémie positive
- 2. syndrome viral à CMV caractérisé par une fièvre supérieure à 38°C pendant au moins deux jours consécutifs et l'association d'au moins un des signes suivants : fatigue, sensation de malaise, augmentation des transaminases (x 2), leucopénie inexpliquée (moins de 3000/mm3), thrombopénie (moins de 100 000/mm3).
- 3. maladie à CMV avec atteinte tissulaire généralement respiratoire sous forme de pneumopathie interstitielle ou digestive sous l'aspect d'une Å“sophagite, d'une gastrite ou d'une colite. Dans ce cas le CMV est mis en évidence au niveau du lavage broncho-alvéolaire ou de la biopsie digestive. Le traitement peut être préventif, préemptif ou curatif. L'attitude adoptée par la plupart des équipes est d'utiliser un traitement préventif chez les patients receveurs séronégatifs d'un donneur séropositif (Donneur+/Receveur–), et dans les autres cas un traitement préemptif lors de la positivation de l'antigénémie, même si l'infection reste asymptomatique. Le traitement préventif est donné per os, faisant appel au gancyclovir (Cymevan® 3 g/j) ou au valacyclovir (Zelitrex® 6 à 8 g/j) La posologie est adaptée à la fonction rénale. Il est administré dès la greffe et poursuivi au moins jusqu'à la fin du quatrième mois. Le traitement préemptif ou curatif repose sur l'administration intraveineuse de Cymevan® en perfusion de 5 mg/kg toutes les 12 heures pendant au moins 14 jours en vérifiant l'efficacité du traitement sur la négativation de l'antigénémie.
4
.
3
-
Le long terme
Le long terme est marqué avant tout par cinq problèmes :
-
immunologiques : la survenue de rejet chronique est la conséquence inéluctable de toute transplantation d'organe en l'absence de tolérance de la voie indirecte (cf chapitre II). Elle est marquée par une dégradation progressive de la fonction rénale associée à une protéinurie et à une hypertension artérielle. Les lésions histologiques, associant fibrose interstitielle et vasculopathie des artères de moyen calibre du greffon avec rétrécissement progressif de la lumière du vaisseau par épaississement des parois et en particulier de l'intima, sont difficiles à différencier de celles entraînées par les immunosuppresseurs néphrotoxiques comme les anti-calcineuriniques. Le traitement, mal codifié, consiste à privilégier l'utilisation d'immunosuppresseurs non néphrotoxiques (Cellcept®) associés à un traitement symptomatique de l'hypertension et de la protéinurie, en particulier par les inhibiteurs de l'enzyme de conversion.
-
infectieux : les infections sont plus fréquentes chez les transplantés rénaux que dans la population générale. Elles sont de deux ordres :
- bactériennes : Dans ce cas il s'agit essentiellement d'infections urinaires récidivantes, avec souvent survenue de pyélonéphrite, faisant rechercher un reflux vésico-urétéral, ou de pneumopathies qui, lorsqu'elles sont récidivantes, font rechercher un déficit en anticorps favorisé par le traitement immunosuppresseur prolongé.
- virales : dans ce cas il ne s'agit pas d'infections à germes viraux habituels (virus de la grippe - rhinovirus) dont la fréquence et la gravité ne semblent pas plus importantes chez les transplantés mais, ou bien de réactivation de virus des hépatites B ou C lorsque les patients étaient porteurs de ce virus (situation de 10 à 15 % des transplantés actuellement en France), ou bien d'infections à papovavirus, soit papillomavirus responsables de verrues qui peuvent être multiples ou de condolymatoses anogénitales qui peuvent être gênantes, soit polyomavirus (infection à virus BK ou JC) qui surviennent dans 1 à 3 % des cas sous forme de néphropathie interstitielle avec dégradation de la fonction rénale.
-
syndromes lymphoprolifératifs et cancers sont les témoins du déficit immunitaire lié à l'immunosuppression chronique.
- les syndromes lymphoprolifératifs surviennent dans 1 % des cas (un peu plus en transplantation cardiaque). Il s'agit généralement d'une prolifération de lymphocytes B liée au virus d'Epstein Barr pouvant toucher le greffon mais aussi les ganglions et d'autres organes (poumon, foie, cerveau…). Le traitement repose sur la diminution, voire l'arrêt du traitement immunosuppresseur, ce qui suffit dans grand nombre de cas à faire disparaître le syndrome lymphoprolifératif, associé éventuellement à la chirurgie, à l'immunothérapie (utilisation d'anticorps monoclonaux anti-lymphocytes B ou anti IL-6 ou réinjection de lymphocytes T cytotoxiques spécifiques de l'EBV générés ex vivo) ou à la chimiothérapie.
- les sarcomes de KAPOSI s'observent aussi avec une fréquence plus grande chez les transplantés rénaux et sont liés au virus HHV8.
- les cancers sont essentiellement viro-induits, en premier lieu les cancers cutanés dont la fréquence progressivement croissante dans la deuxième décennie de la transplantation impose d'une part une prévention solaire rigoureuse mais aussi une surveillance annuelle de la peau et, en cas de récidive d'épithéliomas spinocellulaires, la diminution de l'immunosuppression.
-
les complications cardio-vasculaires sont fréquentes en raison de l'âge souvent élevé des patients transplantés, de l'existence d'une maladie ayant conduit à l'insuffisance rénale, de parfois plusieurs années de dialyse avant la greffe, mais aussi de l'action néfaste de certains médicaments immunosuppresseurs qui favorisent la survenue d'hypertension, de troubles lipidiques (corticoïdes, anticalcineuriniques) et de troubles glucidiques (corticoïdes, Prograf®). Les transplantés doivent être considérés comme des patients à risque cardio-vasculaire élevé et faire l'objet d'un traitement spécifique : sevrage tabagique absolu, contrôle du poids et de l'équilibre glucidique, contrôle de l'hypertension artérielle présente chez environ 80 % d'entre eux, correction des troubles lipidiques en particulier par l'utilisation de statines.
-
récidive de maladie rénale : certaines maladies rénales ayant conduit à l'insuffisance rénale terminale peuvent récidiver sur le greffon et en détériorer la fonction, rarement de façon précoce et aiguë (certaines formes de syndrome hémolytique et urémique, de hyalinose segmentaire et focale ou de cryoglobulinémie) entraînant alors généralement la perte du greffon mais le plus souvent de façon chronique et insidieuse (glomérulopathie membranoproliférative, néphropathie à IgA, glomérulonéphrite extramembraneuse…). Il est à noter que ces affections, dont les récidives sont imprévisibles et d'évolution lente, ne représentant pas des contre-indications à la transplantation. Il en est de même des néphropathies lupiques dont l'évolution, sauf s'il existe au moment de la transplantation des anticorps anticardiolipides qui favorisent la survenue de thrombose vasculaire, n'est pas différente des autres causes d'insuffisance rénale terminale.
4/6