1 . 2  -  Biologie

On peut distinguer les examens biologiques permettant de poser le diagnostic de LES et ceux qui permettent d'apprécier l'évolutivité de la maladie (Tableau 4). Les examens complémentaires permettant de déceler les complications viscérales sont propres à chaque atteinte et ne sont pas envisagés ici. Le premier examen biologique qui a permis de caractériser la maladie lupique est la formation in vitro de cellules LE. Bien que cet examen soit aujourd'hui obsolète et remplacé par la détection des anticorps antinucléaires (AAN), les cellules LE reflètent un phénomène physiopathologique probablement à l'origine des poussées de LES. Le phénomène LE représente en effet la phagocytose de cellules en apoptose, qui déclenche la réaction auto-immunitaire aboutissant à la production d'auto-anticorps antinucléaires et aux manifestations cliniques de la maladie.

1 . 2 . 1  -  Les Auto-anticorps AntiNucléaires (AAN)

Les AAN sont les marqueurs sériques les plus caractéristiques du LES. Ce sont des immunoglobulines spécifiques de différents composants nucléaires : acides nucléiques, histones, ribonucléoprotéines. Leur détection globale est réalisée en général par un test d'immunofluorescence indirecte sur un frottis cellules HEp-2, cellules malignes humaines possédant un noyau volumineux et donc particulièrement propices à la détection des AAN. Les résultats sont rendus en titres d'anticorps.

L'interprétation d'une recherche d'AAN peut être difficile: d'une part, la présence d'AAN ne traduit pas toujours une maladie auto-immune. L'auto-immunité ne procède pas du mode « tout ou rien », et certains AAN (surtout lorsqu'ils sont de l'isotype IgM) peuvent être détectés chez des sujets ayant un syndrome inflammatoire non auto-immun. D'autre part, l'interprétation peut être rendue difficile par la faiblesse d'un titre d'anticorps. Un taux bas d'AAN peut n'avoir aucune signification pathologique chez un adulte, surtout s'il a plus de 70 ans. Un faible taux d'AAN peut cependant traduire dans certains cas une maladie débutante et, chez l'enfant, il est rarement dépourvu de signification pathologique. La présence d'AAN dans un sérum doit donc être interprétée en fonction de la clinique car, si des AAN sont détectés chez 99 % des patients ayant une poussée de LES, de nombreuses autres maladies inflammatoires auto-immunes ou non peuvent aussi en comporter. Pour permettre une interprétation du résultat des AAN, la confrontation clinico-biologique doit être doublée d'une détermination des spécificités de ces anticorps. Seules certaines spécificités permettent d'affirmer presque à tout coup le diagnostic de LES : ce sont les anticorps anti-ADN natif (AANn) ou à double brin, et les anticorps anti-Sm.

L'aspect de la fluorescence nucléaire des cellules HEp-2 peut être évocatrice: les anticorps anti-désoxyribonucléoprotéines (notamment anti-histones) confèrent une fluorescence homogène, les anticorps anti-ADNn une fluorescence périphérique et les anticorps anti-ribonucléoprotéines (dont les anticorps anti-Sm) une fluorescence mouchetée. D'autres aspects ont été décrits mais aucun aspect, même typique, ne dispense de la réalisation de tests complémentaires qui, seuls, permettent de caractériser avec certitude la spécificité des anticorps (Tableau 5).

Tableau 5 : Anticorps antinucléiares dans le lupus érythémateux systémique
   Type d’anticorps    Fréquence (%)  
   AAN totaux    99 %
   Ac anti-Acides Nucléiques      Ac anti-ADN natif (IgG)      95 %*
   Ac anti-Histones    70 %
   Ac anti-ECT    Ac anti-Sm    15 %***
   Ac anti-RNP    40 %
   Ac anti-Ro/SS-A    30 %
   Ac anti-La/SS-B    10 %
   * Anticorps caractéristiques de la maladie lupique
   ** 30 à 40 % aux USA

1 . 2 . 1 . 1  -  Les anticorps anti-ADN natif

Leur dosage est indispensable en cas de positivité des AAN car leur présence témoigne généralement que le patient est atteint d'un LES. En effet, 70 % des malades ont au moins une fois des anticorps anti-ADNn au cours de l'évolution de leur maladie. La présence d'anticorps anti-ADNn est en effet exceptionnelle au cours d'autres affections que le LES. Etant donné le caractère capital de leur découverte pour le diagnostic et le pronostic, les anticorps anti-ADNn doivent être détectés par deux techniques reposant sur des principes méthodologiques différents. Les trois méthodes les plus couramment utilisées sont l'immunofluorescence indirecte sur Crithidia luciliae, la radio-immunologie (test de Farr) et les dosages immuno-enzymatiques (ELISA).

Seuls les anticorps anti-ADNn de forte affinité, c'est-à-dire généralement les IgG, sont caractéristiques du LES. Ces seuls anticorps sont détectés sur Crithidia luciliae et par le test de Farr. Les tests ELISA, en revanche, détectent aussi les anticorps IgM de faible affinité non caractéristiques du LES. Il est donc indispensable, lorsque les anticorps anti-ADNn sont recherchés par ELISA, de doser séparément les IgM et les IgG qui, seules, permettent de poser le diagnostic de LES.

On peut en effet rencontrer des IgM anti ADNn au cours d'autres connectivites comme la polyarthrite rhumatoïde ou au cours d'infections virales comme les hépatites. Une forte concentration d'IgM anti-ADNn peut même entraîner, parfois, une faible positivité du test sur Crithidia luciliae.

Contrairement à la détection globale des AAN, la concentration des anticorps anti-ADNn peut apporter des renseignements sur l'évolutivité du LES. Une augmentation rapide du titre des anticorps anti-ADNn traduit généralement l'évolutivité de la maladie et doit faire craindre une atteinte viscérale. Un taux élevé mais stable n'a pas cette valeur indicative. Il faut noter que pour apprécier l'évolutivité, la clinique et le taux du complément sont plus fiables que le titre des anticorps anti-ADNn.

1 . 2 . 1 . 2  -  Les anticorps spécifiques d'antigènes nucléaires solubles

Ces anticorps reconnaissent des épitopes peptidiques constitutifs de molécules ribonucléoprotéiques. Ils sont couramment recherchés par immunoprécipitation en gélose selon la technique d'Ouchterlony ou par contre-immuno-électrophorèse (électrosynérèse) en utilisant un extrait de cellules thymiques de lapin (ECT) comme substrat. La détection par immuno-empreinte (« Western blot ») procure des résultats parfois difficiles à interpréter et n'est donc pas utilisée pour le diagnostic médical. Des techniques immuno-enzymatiques sont en cours de développement. Les auto-antigènes ribonucléoprotéiques reconnus par les anticorps anti-ECT sont constitués de chaînes d'ARN U1, U2, U4, U5 ou U6 liées à des molécules protéiques A, B/B', C, D, E, F, G et à une molécule de 68 kDa.

Les anticorps anti-Sm se lient aux protéines B/B' D, E, F, G communes aux 5 chaînes d'ARN. Les anticorps anti-Sm, exceptionnellement trouvés en dehors du LES, sont aussi caractéristiques de cette maladie que les anticorps anti-ADNn. En revanche, ils sont beaucoup moins souvent positifs (Tableau 4). En outre, contrairement aux anticorps anti-ADNn, leur concentration ne reflète ni un risque d'atteinte viscérale, ni l'évolutivité du LES.

Les anticorps anti-U1 RNP reconnaissent la protéine de 68 kDa et les protéines A et C liées à la chaîne ARN U1. Ces anticorps, initialement décrits dans la connectivite mixte, sont fréquents dans le LES mais n'en sont pas spécifiques. On peut aussi les détecter au cours de la polyarthrite rhumatoïde, la polymyosite, la sclérodermie systémique, et au cours des lupus médicamenteux. Les anticorps anti-Ro/SSA : Parmi les anticorps anti-ribo-nucléoprotéines figurent aussi les anticorps anti Ro/SSA. Comme les antigènes Ro/SSA sont peu représentés dans le thymus de lapin, on utilise généralement la rate humaine comme substrat pour leur détection. Les anticorps anti Ro/SSA reconnaissent soit une protéine de 52 kDa, soit une protéine de 60 kDa fixée sur une chaîne d'ARN, sans que des différences dans la présentation clinique ou les complications soient associées à l'une de ces deux spécificités. Ils sont présents dans 30 % des LES, mais peuvent être observés dans la polyarthrite rhumatoïde et surtout le syndrome de Gougerot-Sjögren où ils ont été décrits.

Chez 1 % des patientes atteints de LES, on ne décèle pas d'AAN par immunofluorescence indirecte. Il semble que le pourcentage ait diminué depuis l'utilisation des cellules HEp-2, mais de telles situations s'observent toujours. Dans ces cas, on trouve généralement des anticorps anti-Ro/SSA par immunoprécipitation. Ils correspondent à des formes subaiguës de LES comportant une atteinte cutanée extensive, parfois généralisée, avec une très grande photosensibilité. La présence d'anticorps anti-Ro/SSA est fréquemment associée à un déficit congénital en fraction C2 ou C4 du complément.

En outre, il est indispensable de rechercher les anticorps anti-Ro/SSA chez toute femme enceinte atteinte d'une connectivite car ces anticorps peuvent, dans 5 % des cas, être pathogènes pour le myocarde fœtal et entraîner un bloc auriculo-ventriculaire congénital. En effet, les myocytes fœtaux expriment à leur surface des molécules de Ro (52 et 60 kDa) sur lesquelles peuvent se fixer des IgG maternelles anti-Ro qui ont franchi la barrière placentaire. Cette fixation peut entraîner un bloc-auriculo-ventriculaire congénital. La présence d'anticorps anti-Ro/SSA chez une femme enceinte rend donc nécessaire une surveillance cardiologique du fœtus et un accouchement dans un milieu obstétrical apte à donner les soins requis à la naissance.

Les anticorps anti-La/SSB reconnaissent une protéine de 47 kD fixée sur une chaîne d'ARN. Ils ne sont présents que dans 10 % des LES et sont toujours associés à un anticorps anti-Ro/SSA, sans que la réciproque soit vraie. Autres anticorps anti-nucléaires : des anticorps anti-PCNA (« Proliferating Cell Nuclear Antigen ») sont détectés chez moins de 10 % des malades atteints de LES. Ils reconnaissent une protéine auxiliaire d'ADN polymérase et caractérisent des formes graves de la maladie, avec atteintes rénale et neurologique fréquentes. De nombreux autres AAN peuvent être détectés au cours du LES, mais leur valeur diagnostique est faible.

1 . 2 . 2  -  Les anticorps anti-phospholipides

Le syndrome des anticorps anti-phospholipides a été initialement décrit par Soulier et Boffa en 1981. Il se caractérise par des avortements à répétition, des thromboses veineuses et artérielles centrales et périphériques.

L'association possible de ce syndrome à un LES, explique en partie les complications obstétricales observées au cours du lupus.

Tableau 6 : Lupus et grossesse
Le LES peut retentir sur le développement fœtal. Inversement, la grossesse peut retentir sur l’évolution du lupus.

1. Pour éviter une poussée de LES pendant une grossesse :
  • Déconseiller absolument la grossesse en cas de LES évolutif. Attendre un an de stabilité. En début de grossesse, arrêter tous les médicaments sauf les corticoïdes.
  • Surveiller les critères d’évolutivité et renforcer éventuellement la corticothérapie en fin de grossesse.
  • Penser qu’une contraception, même mini-dosée peut entraîner une poussée de LES et une thrombose en cas de syndrome des anti-phospholipides associé.

2. Pour éviter un accident obstétrical au cours du LES :
  • En cas de syndrome des anti-phospholipides, associer un traitement par l’aspirine à la corticothérapie.
  • En présence d’un Ac anti-Ro/SS-A surveiller le cœur du fœtus.
  • Surveiller l’existence d’une insuffisance surrénalienne fonctionnelle du nouveau-né.
  • L’accouchement doit avoir lieu dans une maternité où les pathologies de la mère et de l’enfant peuvent être prises en charge.

Cette association explique ce que l'on appelait autrefois la « fausse positivité » de la sérologie syphilitique. Au cours du syndrome des anticorps anti-phospholipides apparaissent en effet des anticorps anti-cardiolipine responsables de la positivité des réactions sérologiques de la syphilis utilisant la cardiolipine comme substrat. Ces anticorps peuvent, en outre, reconnaître d'autres phospholipides comme la phosphatidylsérine (proche de la cardiolipine), la phosphatidyléthanolamine, l'acide phosphatidique et le phosphatidylanositol. Ce sont cependant les anticorps anti-cardiolipine qui sont les plus constamment présents au cours du syndrome des anti-phospholipides, et c'est eux qu'il convient de rechercher à des fins diagnostiques.

Les anticorps anti-phospholipides peuvent, en outre, se fixer sur certaines enzymes de la coagulation et exercer in vitro une activité anticoagulante. L'anticoagulant de type lupique se définit par un allongement du temps de céphaline-kaolin ou du test au venin de vipère dilué, et cet allongement n'est pas corrigé par l'addition de plasma normal. Les phospholipides en phase hexagonale II neutralisent cet anticoagulant. L'expression « anticoagulant du lupus » est d'ailleurs erronée puisqu'in vivo, ces anticorps entraînent au contraire des thromboses. Les anticorps anti-phospholipides peuvent aussi se fixer sur les plaquettes et entraîner une thrombopénie. Ils sont dosés par ELISA en présence d'un cofacteur, la bêta 2-GP1 apportée par le sérum utilisé pour saturer les puits de la plaque de microtitration. En présence de la bêta 2-GP1, la cardiolipine forme un complexe reconnu par des anticorps polyclonaux de spécificité variable. Certains ne reconnaissent que la cardiolipine. Ils ne sont pas spécifiques du syndrome des anticorps anti-phospholipides et peuvent apparaître au cours de syndromes inflammatoires variés comme les infections virales, la cirrhose, la sarcoïdose et certains cancers. En revanche, les anticorps qui reconnaissent un épitope conformationnel du complexe cardiolipine-bêta 2-GP1 sont très spécifiques du syndrome des anticorps anti-phospholipides associé ou non à un LES.

1 . 2 . 3  -  Le complément sérique

Au cours du LES, le CH50 peut être abaissé de façon permanente à cause d'un déficit congénital en C2 ou en C4, ou de façon transitoire à cause d'une consommation de certaines fractions du complément lors des poussées de la maladie.

Un patient sur deux a un déficit hétérozygote en C2 ou en C4. Dans ces cas, le CH50 est constamment abaissé, généralement autour de la limite inférieure de la normale. Ces déficits sont associés aux gènes HLA A1, B8 et DR3. En l'absence d'un déficit congénital, le CH50 est normal en dehors des poussées.

En revanche, le LES est la seule connectivite où le CH50 est abaissé pendant les poussées. L'abaissement du CH50 est dû à une consommation de C3, de C4, et souvent de facteur B, traduisant l'activation du complément par les deux voies directe et alterne.

Lorsque le LES est évolutif, on observe donc simultanément une diminution du taux sérique de CH50, C3, de C4 et de facteur B.

1 . 2 . 4  -  La Vitesse de Sédimentation globulaire (VS)

Elle est accélérée pendant les poussées et revient, en principe, à la normale pendant les phases de rémission. Une accélération de la VS n'est nullement caractéristique du LES, mais peut traduire un syndrome inflammatoire de n'importe quelle origine.

La concentration plasmatique de la « C-Reactive Protein » (CRP), n'est jamais augmentée au cours du LES, même pendant les poussées. Une augmentation de la CRP au cours d'un LES doit faire suspecter une complication infectieuse.

1 . 2 . 5  -  Numération formule sanguine

On constate très souvent une anémie au cours de la maladie. Elle peut avoir plusieurs causes :

  • normochrome, normocytaire et hyposidérémique, l'anémie reflète le syndrome inflammatoire, mais elle peut être aussi, dans ce cas, hypochrome et microcytaire.
  • hypochrome, microcytaire et hyposidérémique, l'anémie peut traduire un saignement d'origine digestive consécutif aux traitements anti-inflammatoires. Elle est généralement modérée. Le diagnostic entre anémie d'origine inflammatoire peut être difficile. Il peut être résolu grâce au dosage de la transferrine (diminuée au cours de l'inflammation, normale ou élevée en cas de carence en fer) et de la ferritine (normale au cours de l'inflammation, basse en cas de carence en fer).
  • normochrome, normocytaire, normosidérémique ou hypersidérémique et associée à une réticulocytose, elle suggère une hémolyse et doit faire prescrire un test de Coombs. En fait, les anémies hémolytiques sont rares au cours du LES, ou alors elles se manifestent d'emblée, dans le cadre d'un syndrome d'Evans. En revanche le test de Coombs direct est positif dans 20 à 25 % des cas, même en l'absence d'hémolyse, révélant la fixation d'IgG autologues et de complément sur les hématies.


Une leucopénie, portant sur les lignées granuleuse et lymphocytaire, est très fréquemment observée. Son origine n'est pas univoque et peut être centrale ou périphérique, liée dans ce dernier cas à la production d'auto-anticorps anti-polynucléaires et anti-lymphocytes. De même, des anticorps anti-plaquettes peuvent expliquer la survenue d'un purpura thrombopénique parfois inaugural.

1 . 2 . 6  -  Protidogramme

Il montre, surtout pendant les poussées, une hypergammaglobulinémie polyclonale qui n'a rien de spécifique du LES.

Tableau 7 : Lupus induit par les médicaments
1. Signes fonctionnels
  • Identique au LES idiopathique mais également répartis entre les deux sexes.
  • Complications viscérales rares. Atteinte rénale généralement bénigne.

2. Signes généraux et physiques
  • Identique au LES.

3. Signes biologiques
  • Présence quasi-constante d’Ac anti-histones (surtout anti-H2A et anti-H2B). IgG et IgM anti-histones en cas de manifestations cliniques. IgM seules en cas de manifestations biologiques isolées. L’absence d’anticorps anti-histone doit suspecter un LES idiopathique.
  • Des AAN, des Ac anti-ADN dénaturé, et même des Ac anti-cardiolipine peuvent être observés au cours du lupus induit par les médicaments.
  • Les taux de CH50, C3, C4 et de facteur B sont en principe normaux.

4. Médicaments les plus fréquemment en cause
  • Bétabloquants
  • Chlorpromazol
  • Hydralazine
  • Procaïnamide
  • Isoniazide
  • Minocycline

Devant l’apparition d’un syndrome lupique, tout médicament pris de façon prolongée doit être suspecté et, si possible, remplacé par une molécule ayant les mêmes propriétés mais appartenant à une autre classe pharmacologique.

1 . 3  -  Physiopathologie

Bien que plus de mille publications soient consacrées chaque année à la recherche sur la physiopathologie du LES, on compte encore dans ce domaine plus d'incertitudes que de connaissances assurées. Il est cependant établi aujourd'hui que la maladie résulte de la rupture de la tolérance naturelle vis-à-vis d'une série d'épitopes présents au sein des nucléosomes. Cette auto-immunisation est favorisée à la fois par le terrain génétique et par la survenue d'une agression capable d'induire la mort des cellules cibles par apoptose, comme des radiations ultra-violettes ou un agent infectieux.

Au cours de la mort cellulaire par apoptose, un des premiers phénomènes observés est la fragmentation de la chromatine qui entraîne la production de nucléosomes constitués de molécules d'histones (H1, H2A, H2B, H3 et H4) entourées d'un double brin de 150 à 180 paires de bases d'ADN enroulé selon deux tours de spire. Très rapidement, les nucléosomes sont exprimés à la surface de la cellule en apoptose. Certains vont être relargués dans le milieu extérieur, d'autres vont être phagocytés avec la cellule apoptotique par des macrophages.

Les macrophages vont traiter les différents auto-antigènes de la cellule phagocytée et présenter à leur surface, par l'intermédiaire de leurs molécules HLA de classe II, des peptides dérivés des histones nucléosomiales. Ces peptides sont reconnus par des lymphocytes T CD4+ auto-réactifs. La phagocytose des cellules en apoptose est en outre suivie d'une forte production d'IL-6 et d'IL-10 par les macrophages. Dans le contexte inflammatoire lié à l'infection ou à l'agression physique, la reconnaissance des auto-antigènes est capable de lever leur anergie et l'environnement cytokinique favorise leur différenciation en lymphocytes TH-2.

D'autre part, les nucléosomes libérés dans le milieu extérieur peuvent être captés par le récepteur d'antigène de certains lymphocytes B (BcR) auto-réactifs, comme par exemple des lymphocytes B reconnaissant l'ADN natif constitutif des nucléosomes. Les lymphocytes B se comportent comme des CPA, endocytent les nucléosomes, les traitent, et exposent des peptides d'histones sur leurs molécules HLA de classe II membranaires. Des lymphocytes TH-2 spécifiques des peptides d'histone les reconnaissent et induisent la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes producteurs d'anticorps. Les anticorps produits sont des auto-anticorps spécifiques de l'antigène reconnu par le BcR, c'est-à-dire de l'ADN natif. C'est ainsi que des nucléosomes produits par des cellules en apoptose engendrent d'une part une réaction auto-immune de type TH-2 dirigée contre des histones (essentiellement H2A et H2B), et d'autre part la production d'anticorps anti-ADN natif par des lymphocytes B stimulés par les lymphocytes TH-2 anti-histones. Les mécanismes de production des autres auto-anticorps est probablement assez semblable car les autres auto-antigènes nucléaires sont aussi exposés à la surface des cellules apoptotiques.

Ni les lymphocytes TH-2 ni les anticorps anti-ADN ne sont directement pathogènes. Ce sont les complexes formés entre les auto-anticorps et les auto-antigènes libérés lors de l'apoptose, qui induisent des phénomènes inflammatoires par l'intermédiaire de l'activation du complément dans les tissus où ils se déposent. Ceci explique la chute du CH50 et la consommation des fractions du complément observées au cours des poussées du LES. Le fréquent déficit hétérozygote en C4 diminue les capacités des malades d'éliminer les complexes immuns et augmente le risque d'inflammation tissulaire.

Lors d'une poussée ultérieure, dont l'élément déclenchant reste à préciser, les auto-anticorps seront prêts à se combiner avec les auto-antigènes fraîchement libérés et à former des complexes délétères pour les tissus. D'autre part, les lymphocytes TH-2 auto-réactifs à mémoire stimuleront de manière accélérée de nouveaux lymphocytes B pour leur faire produire de nouveaux anticorps dont l'ascension pourra être constatée dans le sérum.

Si les phénomènes d'apoptose cellulaire n'entraînent pas la survenue d'un lupus systémique chez tous les individus, c'est que le patrimoine génétique joue un rôle dans le déclenchement des phénomènes d'auto-immunisation. La présentation des auto-antigènes par les molécules HLA des CPA est déterminée qualitativement et quantitativement par l'affinité de ces molécules entre elles. Certaines molécules HLA sont beaucoup plus efficaces que d'autres pour présenter des auto-antigènes, et les sujets qui en sont porteurs sont prédisposés aux maladies auto-immunes. Le lupus systémique peut donc être considéré comme une vascularite systémique provoquée par des complexes immuns. Les constituants auto-antigéniques de ces complexes résultent d'une réaction auto-immunitaire de type TH-2 vis-à-vis de composants nucléosomiaux rendus accessibles lors d'une apoptose cellulaire massive.

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