Introduction

La polypathologieDéfinitionCo-existence de plusieurs maladies chroniques chez le même individu. du patient âgé conduit à un excès de prises de médicaments qui explique l’incidence élevée des effets indésirables à l’origine de 5  à 10 % des hospitalisations après 65 ans et plus de 20 % après  80  ans.  La  polymédicamentiationDéfinitionConsommation chronique de plus de quatre médicaments différents. augmente directement les dépenses phar- maceutiques et indirectement les échecs thérapeutiques et les pathologies iatrogéniques.

La plupart de ces conséquences sont évitables si l’on identifie au préalable les patients, les situations et les médicaments à risque. Pour optimiser les prescriptions il faut évaluer le rapport bénéfice - risque, réévaluer et réactualiser régulièrement les prescriptions au long cours,  hiérarchiser les pathologies selon leur évolutivité et les thérapeutiques selon leur impact symptomatique, étiologique ou préventif. L’indication d’alternatives thérapeutiques non médicamenteuses (soutien psychologique, rééducation,  réadaptation,  renutrition) doit  toujours  être  envisagée.  Une meilleure  coordination  thérapeutique entre prescripteurs généralistes et spécialistes prenant en charge un même malade apparaît indispensable.

1  -  Iatropathogénie et facteurs favorisants

L’incidence  des  effets  indésirables  des médicaments (EIM) est corrélée à l’âge et au nombre de médicaments prescrits. Les pathologies iatrogènes représentent entre 5 et 10 % des motifs d'hospitalisation après  65  ans  et  plus  de  20  %  après  80 ans.

La fréquence des EIM. est favorisée par les facteurs suivants :
• les modifications de la pharmacocinétiqueDéfinitionLa pharmacocinétique, qui suit la phase biopharmaceutique, a pour but d'étudier le devenir d'une substance active contenue dans un médicament dans l'organisme. Elle comprend quatre phases, se déroulant simultanément :absorption ; distribution ; métabolisme ; élimination de la substance active.La pharmacocinétique peut aussi concerner le devenir de substances chimiques quelconques dans le corps. Lorsque ces substances sont toxiques, on utilise alors le terme de toxicocinétique. La détermination des paramètres pharmacocinétiques d'une substance active apporte les informations qui permettent de choisir les voies d'administration et la forme galénique, et d'adapter les posologies pour son utilisation future. et de la pharmacodynamieDéfinitionLa pharmacodynamie (PD) décrit ce que le médicament fait à l'organisme : c'est l'étude détaillée de l'interaction récepteur/substance active. Cette réponse est une composante de l'effet thérapeutique recherché. Lors de cette étape, la substance active quitte le système sanguin pour diffuser jusqu'au site d'action dans l'organe cible et se combine avec un récepteur, une enzyme ou une structure cellulaire quelconque pour provoquer la réponse. des médicaments liées à l’âge,
• la polymédication,
• l’automédication,
• l’intrication de pathologies aiguës et chroniques chez le sujet âgé,
• le manque d’essais thérapeutiques chez le sujet âgé,
• la mauvaise observance thérapeutique.

1 . 1  -  Modifications de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie des médicaments liées à l’âge (tableau 1)

Les modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques  induites  par  le vieillissement expliquent en partie l'incidence plus élevée des EIM chez le sujet âgé.

Les effets du vieillissement sur la pharmacocinétique des médicaments sont appréciés  par  la  comparaison,  entre  sujets jeunes et âgés, des courbes de concentration dans le temps et des paramètres qui en sont dérivés (Tmax, Cmax, aire sous la courbe, demi-vie et clairance plasmatique, volume  apparent  de  distribution).  Les modifications de ces paramètres chez le sujet âgé traduisent les effets du vieillissement sur l'absorption, la distribution, le métabolisme  et  l'excrétion  des  médicaments.

Tableau 1 : Modifications pharmacocinétiques liées à l’âge
Absorption
Diminution de la vidange gastrique
Augmentation du pH gastrique
Diminution de la motilité gastro-intestinale
Diminution du flux sanguin splanchnique
Diminution de l'efficacité de systèmes de transport
actifs
Métabolisme
Diminution du métabolisme hépatique des médica-
ments à forte extraction hépatique
Diminution de la masse hépatique
Diminution du débit sanguin hépatique
Distribution et transport
Diminution du compartiment hydrique
Augmentation de la masse grasse
Diminution de la masse maigre ou musculaire
Diminution de l'albuminémie
Excrétion rénale
Diminution du flux sanguin rénal
Diminution de la filtration glomérulaire
Diminution de la sécrétion tubulaire
Diminution de la réabsorption tubulaire

Modifications  de  l’absorption orale

Elles résultent :
- d’un allongement du temps de la vidange gastrique,
- de l'augmentation du pH gastrique,
- de la diminution de la surface digestive,
- de la diminution de la motilité gastro-intestinale,
- de la diminution du flux sanguin splanchnique,
- de la diminution de l’efficacité de certains  systèmes  de  transport actifs.

En théorie, ces modifications physiologiques pourraient retentir sur la vitesse d’absorption et la quantité de médicament absorbée. En fait, ces modifications ont des effets opposés rendant compte de l'absence de modification de la biodisponibilité de la majorité des drogues chez le sujet âgé.

En pratique, le vieillissement de l’appareil digestif interfère assez peu avec l’absorption des médicaments.

Modifications de la distribution  et du transport

Avec l’âge, on observe :
• une diminution de l’eau totale et de la masse maigre de l’organisme augmentant  le  risque  de  surdosage pour les drogues hydrosolubles
• une  augmentation  de  la  masse grasse augmentant les risques d'accumulation et de relargage prolongé pour les drogues liposolubles.

Les  benzodiazépinesDéfinitionLes benzodiazépines (BZD) sont une classe de médicaments aux propriétés hypnotiques, anxiolytiques, antiépileptiques, amnésiantes et myorelaxantes. Les benzodiazépines sont souvent utilisées pour soulager à court terme l'anxiété, l'insomnie sévère ou incapacitante. L'usage à long terme peut être problématique à cause de l'apparition d'une tolérance et d'une addiction (dépendance). On pense qu'elles agissent sur le GABAA, récepteur des GABA dont l'activation tempère l'activité des neurones. Elles sont apparues dans les années 1960 et 1970.Le GABA est un neurotransmetteur inhibiteur. En se fixant à son récepteur qui est un canal ionique, il ouvre ce canal pour permettre le passage d'ions chlorure. Scientifiquement, on dit que les benzodiazépines sont des modulateurs allostériques positifs de la neurotransmission inhibitrice GABAergique : elles agissent sur un site différent de celui du GABA et augmentent l'affinité de celui ci pour son récepteur. Pour une même quantité de GABA, le canal ionique sera ouvert de manière plus importante, ce qui permettra le passage de plus d'ions chlorures et une inhibition plus forte.,  liposolubles, voient ainsi leur demi-vie s’allonger de 20 à 30 heures chez le sujet jeune à 85 heures chez le sujet âgé pour le flunitrazépam, de 40 heures chez le sujet jeune à 4 à 5 jours chez le sujet âgé pour le clorazépam.
- une diminution du taux d’albumine plasmatique  et  une  réduction  du nombre de ses sites de fixation, responsables d'une augmentation de la fraction libre active avec un risque de toxicité au pic (antivitamines K).

Modifications du métabolisme

Les biotransformations hépatiques des médicaments font intervenir des réactions de phase 1 (oxydation, réduction, déméthylation, hydrolyse) et des réactions de phase 2 (glucurono et sulfoconjugaison, méthylation, acétylation) pour lesquelles les effets du vieillissement ont été moins étudiés.

Au cours du vieillissement on observe une diminution :
• des capacités hépatiques à métaboliser un grand nombre de médicaments. Cette diminution s'applique différemment  d'un  médicament  à l'autre. Elle est soumise à des variations  interindividuelles  (facteurs génétiques, environnementaux, états pathologiques,  polymédication, dénutrition).
• de la masse hépatique d’environ un tiers,
• du flux sanguin hépatique, proportionnellement plus importante que la masse hépatique.

Ces deux derniers facteurs expliquent à eux seuls la diminution de la clairance hépatique d'un grand nombre de médicaments chez les sujets âgés.

Les activités enzymatiques de conjugaison sont quant à elles peu affectées par l'âge  chez  l'animal  et  probablement aussi chez l'homme.

En pratique, la notion de " vieillissement hépatique " ne justifie pas à elle seule de modifications de la posologie des médicaments.

Modifications de l’excrétion rénale

Au cours du vieillissement, on note une diminution :
• du flux sanguin rénal,
• de la filtration glomérulaire,
• de la sécrétion tubulaire,
• de la réabsorption tubulaire.

La diminution de la filtration glomérulaire chez le sujet âgé rend compte des principales  modifications  des  paramètres cinétiques (augmentation de la demi-vie,  diminution  de  la  clairance plasmatique des médicaments à élimination  rénale).  Elle  justifie  d'utiliser, pour  les  médicaments  à  élimination rénale ou dont le métabolite actif est éliminé par le rein (fluoxétine, morphine), des posologies adaptées à la fonction rénale.

Chez le sujet âgé, cette fonction rénale doit être appréciée sur la clairance de la créatinine. Le taux sérique de créatinine n’est pas un bon marqueur de la fonction rénale dans cette population en raison d’une diminution de la production de créatinine, elle-même liée à la diminution de la masse musculaire. En pratique quotidienne, la détermination de la clairance de la créatinine est définie à partir de l’équation de Cock-croft :
• chez la femme
(140 - Age) x Poids (kg) /Créatininémie (µmol/l)
• chez l’homme
(140 - Age) x Poids (kg) x 1,25 / Créatininémie (µmol/l)

Au total, en ce qui concerne les modifications pharmacocinétiques liées au vieillissement :
• les médicaments ne sont pas tous concernés,
• il existe des variations inter-individuelles,
• les données sont incomplètes, parfois contradictoires,
• le  retentissement  clinique  reste incertain sauf en ce qui concerne le rein.

Pharmacodynamie

Les  données  sont  également  incomplètes et les résultats, variables selon les médicaments, peuvent dépendre de variations du nombre de récepteurs ou de variations de l’effet au niveau du récepteur  ou  de  l’effecteur  (réponse post-récepteur).

Certains organes sont particulièrement sensibles :
• le cerveau aux psychotropes,
• la  vessie  aux  anticholinergiquesDéfinitionUn agent anticholinergique est une substance appartenant à une classe pharmacologique de composés qui servent à réduire les effets où l'acétylcholine joue le rôle de médiateur dans le système nerveux central et le système nerveux périphérique. L'ipratropium est l'étalon de cette classe. Il est particulièrement utilisé dans les broncho-pneumopathies chroniques obstructives. Les principaux médicaments sont le bromure d'oxitropium, le bromure d'ipratoprium. Typiquement, les anticholinergiques sont des inhibiteurs compétitifs réversibles de l'un des deux types de récepteurs de l'acétylcholine, et sont classés en fonction des récepteurs atteints :• les agents antimuscariniques agissent sur les récepteurs muscariniques de l'acétylcholine, et• les agents antinicotiniques agents agissent sur les récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine.La majorité des anticholinergiques sont des antimuscariniques. (rétention aiguë),
• le système nerveux autonome dont les  mécanismes  de  contre - régulation  (hypotension  orthostatique, incontinence urinaire...) sont moins performants.

1 . 2  -  Polymédication

La prescription pluri-médicamenteuse est un facteur essentiel de l’EIM. Elle est fréquente chez le sujet âgé : les patients de plus de 70 ans prennent en moyenne 4 à 5 médicaments par jour qu’ils soient à domicile ou en institution (Etudes PAQUID et CREDES).

Elle est favorisée par :
• la polypathologie et la polymorbidité qui caractérisent le sujet âgé. Plus un patient a de maladies, plus il risque de prendre des médicaments nombreux.
• le nomadisme médical avec possibilité de prescripteurs multiples qui s’ignorent (syncope chez un patient prenant un  collyre  ß-bloquant  prescrit  par l’ophtalmologiste  et  d’un  ß-bloquant prescrit par le cardiologue).
• la superposition de traitements symptomatiques sans raisonnement global.
• une demande insistante de médications par la personne âgée pour des raisons parfois physiques (dépendance à certaines classes thérapeutiques : barbituriques  ou  benzodiazépines),  souvent psychiques (l’angoisse face à la dépendance et la mort peut conduire à des plaintes  somatiques  multiples),  et sociales (le médicament et la maladie sont  souvent  au  premier  plan  des conversations et jouent un rôle important sur le plan social).

Cette polymédication :
• majore le risque d’EIM. Leur fréquence augmente linéairement avec le nombre de médicaments administrés : un effet secondaire  survient  chez  4%  des patients prenant 5 médicaments par jour,  chez 10% des patients prenant entre 6 et 10 médicaments par jour, chez 28% des patients prenant 11 à 15 médicaments par jour et chez 54% de ceux prenant plus de 16 médicaments par jour.

Il a été démontré que la diminution raisonnée  du  nombre  de  médicaments administrés réduisait significativement les effets secondaires sans altérer la qualité de vie.

• majore le risque de mauvaise observance à l’origine possible d'une sélection aléatoire des médicaments effectivement consommés par le patient et donc d'échecs thérapeutiques.
• majore le coût économique du fait des dépenses  pharmaceutiques  qu'elle engendre et du coût généré par ses conséquences  (défaut  d'observance, complications, hospitalisation).

1 . 3  -  Automédication

Elle est fréquente chez le sujet âgé et concernerait un tiers des patients selon une étude récente.

Les médicaments les plus souvent impliqués sont l’aspirine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les laxatifs.

Cette automédication doit systématiquement être recherchée et le patient informé des risques auxquels il s’expose. Le médecin doit la prendre en considération lors de toute nouvelle prescription. Ainsi, en cas de découverte d’une HTA chez un patient prenant régulièrement des AINS bien qu’informé des risques, la prescription d'inhibiteurs de l’enzyme de conversion est à éviter.

1/5