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La thérapie génique est définie comme la modification du matériel génétique de cellules vivantes par transfert d’acide nucléique, et ceci à des fins thérapeutiques.
Le concept de thérapie génique est déjà ancien, puisqu’il est né au début des années 1970 lorsque des scientifiques (Rogers, puis Friedmann et Roblin) ont évoqué la possibilité d’utiliser de l’ADN exogène pour remplacer un ADN défectueux chez des personnes atteintes de défauts génétiques. Cette idée s’est concrétisée sur le plan expérimental et a conduit à un premier essai clinique de thérapie génique en 1990 dans le cadre d’une maladie du système immunitaire (ADA-SCID, essai mené par l’équipe du Dr. French Anderson aux États-Unis). Mais il a fallu attendre l’an 2000 pour aboutir au premier succès mondial de thérapie génique, toujours pour une maladie immunitaire (X-SCID, essai mené par l’équipe du Pr. Alain Fischer en France).
Ce concept de thérapie génique a été initialement destiné aux maladies génétiques monogéniques, dans lesquelles des mutations causales dans un gène donné sont responsables de la maladie que présente le patient.
Par la suite cette approche a été étendue sur le plan expérimental à d’autres maladies notamment des maladies polyfactorielles (avec des applications envisagées notamment en cancérologie ou pour les maladies infectieuses), mais ceci ne sera pas abordé dans ce chapitre. A ce jour, plus de 1700 essais cliniques ont été répertoriés dans la « Journal of Gene Medecine Trial Database » (http://www.abedia.com/wiley) à travers le monde (surtout des essais de phase I), en majorité dans le domaine de la cancérologie (plus de 60% de la totalité des essais), mais également dans les maladies monogéniques (8% des essais).
Théoriquement, la thérapie génique peut s’envisager selon différentes modalités. Tout d’abord, il faut souligner que la thérapie génique chez l’homme n’est pas envisageable sur des cellules germinales. Effectivement ceci correspondrait à l’introduction d’une modification génétique au niveau de cellules souches embryonnaires ou de cellules germinales, donc l’introduction de modifications transmissibles à la descendance.
Ceci pose tout d’abord des problèmes techniques, mais surtout une problématique importante sur le plan éthique (implication d’une telle approche sur la modification ou l’amélioration de l’espèce, etc.). On peut noter cependant que cette approche est couramment utilisée chez l’animal où elle est appelée transgénèse : le transfert de gènes dans des cellules souches embryonnaires ou des cellules germinales chez l’animal est utilisé notamment pour la création de modèles animaux de pathologie, pour la production de substances pharmacologiques (création de « bio-réacteurs »), ou encore pour des implications agro-alimentaires.
La thérapie génique germinale n’est donc pas envisageable chez l’homme. Par contre, la thérapie génique sur des cellules somatiques a pu être envisagée selon différentes modalités : la thérapie génique in vivo et la thérapie génique ex vivo.
Tout d’abord, la thérapie génique in vivo consiste en un transfert de gènes direct, soit par injection systémique dans la circulation sanguine, soit par injection locale au niveau d’un tissu ou organe. On peut citer comme exemple ici le transfert de gènes direct par injection au niveau de la rétine, dans les approches de thérapie génique de certaines maladies génétiques affectant la vision.
Un autre exemple est celui des dystrophies musculaires d’origine génétique, dans lesquelles l’objectif pourrait être d’effectuer un transfert de gènes dans différents muscles et ceci par injection directe dans le muscle, ou par injection dans la circulation sanguine.
La deuxième modalité de transfert de gènes est la thérapie génique ex vivo. Cette approche comporte d’abord une étape de prélèvement de cellules chez l’individu à traiter. Ces cellules seront mises en culture, et on pourra alors effectuer le transfert de gènes sur les cellules en culture. Les cellules modifiées par le transfert de gènes pourront alors être réimplantées chez l’individu. Cette approche de thérapie génique ex vivo est développée actuellement notamment pour le transfert de gènes dans des cellules souches adultes. L’objectif est alors d’effectuer un transfert de gènes unique sur des cellules souches prélevées chez un individu. Ces cellules souches seront dont modifiées par le transfert de gènes, puis réimplantées dans l’individu. Puisque les cellules souches ont des capacités d’auto-renouvellement cette approche permet théoriquement d’effectuer un transfert de gènes unique et stable. Les cellules matures formées par la différenciation de ces cellules souches porteront la modification génétique introduite, permettant ainsi dans le cadre des maladies monogéniques la correction du défaut génétique. Cette approche a été utilisée avec succès sur le plan expérimental et même dans certains essais cliniques, notamment visant des cellules souches hématopoïétiques dans le cadre de différentes maladies génétiques touchant les constituants du sang (certains déficits immunitaires, hémoglobinopathies).
Toutes les approches de thérapie génique sont basées sur la notion de transfert de gènes, qui consiste à transférer un acide nucléique exogène dans une cellule porteuse d’une anomalie génétique. Au final, ce transfert de gènes a pour objectif de permettre la correction de l’anomalie génétique au niveau de la cellule et ainsi de rétablir une fonction cellulaire normale.
Le transfert de gènes s’effectue grâce à un outil appelé vecteur, qui permettra de transférer dans la cellule une séquence codante (transfert de « transgène »), ou des séquences modifiant l’expression de certains gènes présents au niveau de la cellule.
On distingue les vecteurs de type viral et les systèmes de transfert non-viraux (ou vecteurs non-viraux).
Les différents types de vecteurs viraux ont été développés à partir de virus sauvages rendus non réplicatifs par modification de leur génome. Les virus sauvages naturels ont développé au cours de millions d’années d’évolution des systèmes très efficaces de transfert de gènes, puisque le cycle viral implique le transfert du génome viral dans le génome de la cellule hôte. Ainsi, le principal avantage des vecteurs viraux est l’efficacité du transfert de gène, puisque le mode d’infection propre au virus sauvage est conservé.
Tous les vecteurs viraux posent néanmoins des problèmes de toxicité et/ou d’immunogénicité.
De nombreux types différents de vecteurs viraux ont été développés, chaque type ayant des avantages et inconvénients particuliers, et notamment la spécificité du vecteur pour le transfert de gène dans un type cellulaire donné ; la taille plus ou moins grande de la séquence pouvant être transférée ; la stabilité ou non du transfert de gène en fonction de l’intégration du vecteur dans le génome de la cellule hôte, ou au contraire la perte du vecteur au cours de la réplication cellulaire ; on encore la toxicité spécifique du type de vecteur. A ce jour, les plus fréquemment utilisés sont les vecteurs rétroviraux, les vecteurs lentiviraux, les vecteurs adénoviraux et les vecteurs adénoassociés (« A.A.Vs »).
Les systèmes de transfert de gène non viral sont basés sur des méthodes physicochimiques. De nombreux procédés ont été développés, basés sur le transfert d’acides nucléiques « nus », ou associés à des composés chimiques (surtout lipidiques ou peptidiques) dans le but de stabiliser les acides nucléiques et de faciliter le passage membranaire et le cheminement vers le noyau des cellules cibles. Ces acides nucléiques, « nus » ou associés à des composés chimiques, pourront être délivrés dans l’organisme soit directement par injection (locale ou systémiques), soit couplé à l’utilisation de procédés physiques comme l’électroporation ou l’utilisation de champs magnétiques.
Les méthodes de transfert génique non viral présentent un risque de toxicité réduit, mais aussi une efficacité inférieure par comparaison à un transfert viral.
Les différents types de vecteurs permettent donc le transfert d’acides nucléiques exogènes dans une cellule porteuse d’une anomalie génétique. Dans l’objectif de corriger cette anomalie, les principales stratégies développées sont basées sur l’utilisation d’un transgène, ou sur la modulation de l’expression d’un ou de plusieurs gènes présents au niveau de la cellule.
La première stratégie principale pour la thérapie génique est d’utiliser un transgène, c'est-à-dire une séquence codant un ARNmessager d’intérêt. Ce transgène correspond idéalement à la totalité de la séquence codant la protéine d’intérêt, associée à des séquences régulant l’expression de ce transgène (il s’agira si possible des éléments régulateurs naturels du gène d’intérêt, ou à défaut d’autres séquences régulatrices).
En effet, dans les maladies monogéniques, l’objectif du transfert d’un transgène est de corriger l’anomalie génétique causée par les mutations du gène impliqué. Afin de restaurer l’expression d’une protéine fonctionnelle, des copies normales de la séquence codante du gène impliqué sont transférées dans les cellules cibles porteuses du déficit génétique. Puisque l’expression thérapeutique du transgène doit conduire à la synthèse dans la cellule d’une protéine à des niveaux thérapeutiques, c'est-à-dire ni en trop faible quantité, ni en excès, une régulation précise du niveau d’expression est alors requise : celle-ci doit reproduire le plus fidèlement possible l’expression de la protéine sauvage dans le tissu d’intérêt. Avec les systèmes de transfert disponibles actuellement, cela n’est que partiellement réalisable, notamment en raison de contraintes liées à la taille du transgène, qui est limitée en fonction du vecteur utilisé. Il reste ainsi souvent difficile de recréer les conditions de régulation reproduisant parfaitement les situations physiologiques.
Néanmoins, les éléments régulateurs, en particulier le promoteur du gène, peuvent être choisis de manière à permettre dans la mesure du possible un niveau le plus approprié et spécifique du tissu cible. La spécificité tissulaire du promoteur est particulièrement importante, car une expression ectopique du produit du transgène dans des cellules du système immunitaire capables de présenter les antigènes, ou dans d’autres cellules non cibles, peut s’avérer délétère.
Une deuxième stratégie de transfert de gènes est la modulation de l’expression, approche très développée au cours de ces dernières années. L’objectif est ici d’apporter à la cellule des acides nucléiques qui vont interférer avec certains ARNmessagers exprimés dans la cellule cible, porteuse du déficit génétique à corriger. Cette modulation de l’expression peut être quantitative ou qualitative.
La modulation de l’expression quantitative peut avoir pour objectif de dégrader de manière ciblée certains ARNmessagers, notamment par le phénomène appelé « ARN interference » (par exemple pour dégrader l’ARNm d’une protéine mutée toxique pour la cellule), ou au contraire de stabiliser dans la cellule certains ARNmessagers (par exemple des ARNm rendus instables par une mutation).
La modulation de l’expression peut également être qualitative. Le terme de « chirurgie du gène » est souvent utilisé pour cette stratégie, qui consiste en l’élimination ciblée de mutations au niveau de la cellule. Si une cellule est porteuse de mutations, responsables d’un défaut cellulaire, on peut imaginer que d’enlever ces mutations permettra de conduire au rétablissement d’un bon fonctionnement cellulaire. Il reste encore à ce jour très difficile d’éliminer des mutations directement au niveau génomique (différentes approches notamment de correction par recombinaison homologue ciblée existent, mais sont encore trop peu efficaces). Par contre, des techniques beaucoup plus efficaces ont été mises au point au cours de ces dix dernières années pour éliminer des mutations de manière ciblée au niveau de l’ARNmessager produit à partir d’un gène muté. Les mutations persistent alors au niveau du gène (au niveau génomique), mais l’élimination des mutations au niveau de l’ARNmessager permettra de synthétiser une protéine fonctionnelle. Ces approches ont par ailleurs l’avantage d’agir directement sur un ARNmessager exprimé par la cellule, donc un ARN messager endogène soumis à une régulation précise : théoriquement, les niveaux d’expression protéique après correction de l’anomalie génétiques seront donc proches des niveaux endogènes. Les principales techniques de « chirurgie du gène » sont actuellement le « saut-d’exon » (« exon-skipping ») et le « trans-épissage » (« trans-splicing »).
Principe de la modulation de l'expression par les stratégies du "saut-d'exon" et du "trans-épissage".
Lorsqu’une cellule est porteuse d’une mutation dans un gène, cette mutation va se retrouver après transcription au niveau de l’ARNmessager. Le phénomène de transcription permet d’obtenir en différentes étapes un ARNmessager qui sera ensuite traduit en protéine. La première étape de la transcription permet la synthèse d’un pré-ARNmessager qui comporte à la fois des exons avec l’information génétique codante et des introns qui seront éliminés au cours du phénomène d’épissage.
Il consiste à intervenir sur le phénomène d’épissage pour induire une délétion ciblée d’un exon porteur d’une mutation (cette approche peut également concerner plusieurs exons en fonction du type de mutation), et permettant de maintenir un cadre de lecture ouvert. Suite au saut d’exon, l’ARNmessager mature permettra la synthèse d’une protéine pour laquelle une partie aura été délétée : un prérequis essentiel à ce type d’approche est donc que cette protéine résultante, bien que partiellement tronquée, maintienne une fonctionnalité suffisante. L’intervention sur l’épissage est possible en bloquant des sites essentiels dans ce phénomène (sites d’épissage et de régulation de l’épissage), en utilisant des séquences « antisens » qui vont masquer ces sites. Les séquences antisens peuvent être introduites dans les cellules cibles par un vecteur (viral ou non viral). Il peut s’agir notamment d’oligonucléotides qui peuvent être administrés sous différentes formes biochimiques, avec un effet direct au niveau génétique : donc une approche de thérapie génique, mais basée sur une approche pharmacologique. Plusieurs essais thérapeutiques prometteurs basés sur le « saut d’exon » sont actuellement en cours.
Il consiste à remplacer une séquence mutée par une séquence normale : en agissant sur le phénomène d’épissage, il est ainsi possible de remplacer une partie d’un pré-ARNmessager porteur d’une mutation, par une séquence normale apportée par le transfert de gènes. Ce remplacement de la séquence mutée par une séquence normale au niveau du pré-ARN messager permet donc d’obtenir un ARNmessager mature normal qui sera traduit en protéine. Cette protéine ne comportera plus la mutation et pourra donc être fonctionnelle au niveau de la cellule.
Grâce aux progrès importants dans la connaissance des mécanismes physiopathologiques de nombreuses maladies monogéniques, des approches thérapeutiques ciblées sont actuellement en développement. Le contexte des maladies monogéniques se confronte à des obstacles particuliers, dont le nombre souvent réduit d’effectifs de patients pour les essais cliniques, et le faible intérêt que peut porter l’industrie pharmaceutique au développement de « médicaments » dont le marché éventuel est restreint. Pour favoriser le développement d’approches thérapeutiques prometteuses pour les maladies rares, le statut de « médicament orphelin » a été crée au niveau européen, ce qui permets de solliciter des aides spécifiques (subventions, frais réduits d’enregistrement, avantages d’exploitation, etc.).
Les résultats prometteurs se multiplient aussi bien pour des approches pharmacologiques, que pour des approches de thérapie cellulaire et/ou génique, et qu’il s’agisse de preuves de principe sur des modèles cellulaires ou animaux, ou d’essais cliniques. Mais suite à des premiers succès pour une maladie donnée, la persévérance des chercheurs reste essentielle pour le chemin qui reste à parcourir jusqu’à une éventuelle autorisation de mise sur le marché.
Quelques exemples marquants de progrès dans les approches thérapeutiques des maladies monogéniques
Liens utiles :
www.orpha.net
www.afssaps.fr
www.clinicaltrials.gov
www.afm-france.org
www.abedia.com/wiley