3  -  Érysipèle

3 . 1  -  Définition

C’est une dermo-hypodermite bactérienne aiguë non nécrosante liée le plus souvent (85 %) à un streptocoque β-hémolytique du groupe A (plus rarement B, G ou C). Des germes différents sont parfois associés.

C’est une maladie particulière par son caractère toxi-infectieux et la faible densité bactérienne dans les lésions.

3 . 2  -  Épidémiologie

Elle concerne l’adulte après 40 ans (+++) ; elle est rare chez l’enfant.

Son incidence est en augmentation en France avec 10 à 100 nouveaux cas/an/100 000 habitants.

La topographie concerne : les membres inférieurs (+++), la face.

Les facteurs favorisants sont :

  • la porte d’entrée locorégionale (plaie chronique de type ulcère de jambe ou aiguë, piqûre d’insecte, lésion prurigineuse, fissuration interorteil mécanique ou d’origine mycosique, etc.) ;
  • le diabète ;
  • l’immunosuppression ;
  • l’insuffisance veineuse des membres inférieurs ;
  • le lymphœdème ;
  • les irradiations antérieures ;
  • le rôle plus contestable du manque d’hygiène corporelle.

3 . 3  -  Diagnostic

Le diagnostic est clinique (+++) ; le germe est rarement mis en évidence (porte d’entrée ou hémocultures).

3 . 3 . 1  -  Aspects cliniques

Dans la forme habituelle de l’adulte, l’érysipèle siège au membre inférieur où il donne un tableau de « grosse jambe rouge aiguë fébrile » unilatérale.

Le début est brutal, avec une fièvre élevée (39 à 40°C) voire des frissons puis l’apparition d’un placard cutané inflammatoire bien circonscrit et œdémateux, douloureux à la palpation, s’étendant progressivement.

Un bourrelet périphérique est rare sur la jambe mais fréquent au visage.

Des décollements bulleux superficiels, conséquence mécanique de l’œdème dermique ou des lésions purpuriques sont possibles mais n’entraînent pas de nécrose.

Les adénopathies inflammatoires régionales sont fréquentes mais l’association à une traînée de lymphangite reste inconstante.

Il existe fréquemment une porte d’entrée locorégionale.

3 . 3 . 2  -  Examens complémentaires

Aucun examen complémentaire n’est indispensable.L’hyperleucocytose est souvent marquée (>12000/mm3) avec polynucléose neutrophile (>7000/mm3).

Le syndrome inflammatoire biologique est net avec la protéine C réactive (CRP) précocement élevée souvent >150 mg/L (remettre en cause le diagnostic si CRP modérément élevée et pas de polynucléose évidente).

Valeur incertaine de la sérologie des streptocoques (ASLO/ASD/ASK) : c’est un argument indirect s’il existe une élévation franche des taux à 2-3 semaines d’intervalle.

Dans les formes typiques, aucun examen bactériologique n’est nécessaire.

Traiter sans attendre les résultats microbiologiques.

Pas d’écho-doppler systématique.

3 . 4  -  Formes cliniques

3 . 4 . 1  -  Formes cliniques symptomatiques

Ce sont les formes bulleuses, purpuriques, pustuleuses, abcédées (plus fréquentes en cas d’étiologie staphylococcique ?).

L’apparition rare de petites zones de nécrose superficielle est sans grande valeur pronostique.

3 . 4 . 2  -  Formes cliniques topographiques

Sur le visage (5 à 10 % des cas), le placard inflammatoire est souvent unilatéral et très œdémateux avec un bourrelet périphérique marqué.

Il concerne plus rarement le membre supérieur, l’abdomen, le thorax (mammectomie), la région fessière, la région périnéo-génitale (gangrène de Fournier).

Il peut être présent sur les zones irradiées (rare).

3 . 4 . 3  -  Formes cliniques évolutives

Ce sont les formes subaiguës (fièvre et hyperleucocytose modérées, voire absentes), notamment aux membres inférieurs, parfois abâtardies par les anti-inflammatoires et les antibiotiques à l’aveugle à dose insuffisante ou sur les zones irradiées.

3 . 5  -  Diagnostic différentiel

3 . 5 . 1  -  Chez le jeune enfant

Cellulite faciale à Hæmophilus influenzae avec un placard inflammatoire souvent bleu-violacé imposant la recherche d’une atteinte ophtalmologique, ORL (ethmoïdite) ou méningée. Le diagnostic est aisé par hémocultures souvent positives.

3 . 5 . 2  -  Chez l’adulte

Au visage : eczéma aigu ; extension locale d’une folliculite staphylococcique.

Au membre :

  • phlébite, parfois associée ;
  • poussée inflammatoire de lipodermatosclérose d’origine veineuse ;
  • artériopathie avec pseudo-syndrome des loges ;
  • dermo-hypodermites bactériennes aiguës non streptococciques survenant habituellement sur un terrain d’immunodépression ou après inoculation (rouget du porc, pasteurellose) ;
  • maladies micro-occlusives ;
  • syndrome œdémateux aigu des membres inférieurs ;
  • envenimations (mais surinfection possible) ;
  • formes nécrosantes (cf. infra).

3 . 5 . 3  -  Problème majeur

Le problème majeur est le diagnostic différentiel initial ou en cours d’évolution avec une forme nécrosante (dermo-hypodermite=cellulite sans atteinte du fascia ou fasciite nécrosante avec atteinte du fascia).

Les signes d’alarme sont :

  • syndrome septique majeur : fièvre >39°C persistant sous antibiotiques ou hypothermie, collapsus, altération importante de l’état général ;
  • signes locaux : douleur très intense ou au contraire évolution vers une hypoesthésie, une induration diffuse et rapidement extensive, des zones cyaniques et/ou nécrotiques, une crépitation.


Ils imposent une exploration chirurgicale rapide qui confirme le diagnostic, précise l’extension de la nécrose et permet son excision.

3 . 6  -  Évolution

La guérison est obtenue en général en une dizaine de jours sous antibiothérapie, avec une phase de desquamation superficielle terminale.

L’apyrexie est obtenue en 48-72 heures dans 80 % des cas : si elle n’est pas obtenue il faut envisager des explorations bactériologiques et un changement d’antibiotiques.

Les complications sont : systémiques (septicémie) exceptionnelles et locorégionales plus fréquentes (abcès localisés, le plus souvent superficiels plus rarement profonds ; évolution secondaire vers une forme nécrosante ; lymphœdème résiduel favorisant les récidives).

Surtout le risque de récidive (+++) qui est favorisé par un traitement trop court ou absent, un terrain d’insuffisance veineuse ou lymphatique chronique d’entrée, la persistance d’une porte d’entrée (ulcère de jambe, intertrigo interdigito-plantaire).

3 . 7  -  Traitement

Il se fait :

  • à l’hôpital en cas de doute diagnostique, de signes généraux marqués, de complications, de comorbidité significative, de contexte social défavorable, d’absence d’amélioration à 72 heures ou d’affections associées ;
  • à domicile dans 50 % des cas.

3 . 7 . 1  -  Moyens

L’antibiothérapie systémique doit être avant tout antistreptococcique :

  • β-lactamines (+++) :
    • pénicilline G injectable (traitement de référence) : 10 à 20millions d’unités (MU)/j en 4 à 6 perfusions ; attention à l’apport de sel ; en principe en hospitalisation ;
    • pénicilline V orale : 4 à 6MU/j en 3 prises quotidiennes après obtention de l’apyréxie ;
    • pénicilline A orale : amoxicilline (3 à 4,5g/j en 3 prises quotidiennes) en 1re intention en cas de traitement à domicile ou en relais de la pénicilline G après obtention de l’apyréxie.
  • synergistines : pristinamycine : 2 à 3g/j en 3 prises quotidiennes ;
  • clindamycine : 600 à 1200mg/j en 3 à 4 prises (effets indésirables digestifs) ;
  • glycopeptides, tigécycline.

3 . 7 . 2  -  Traitement adjuvant

Repos strict au lit ; arceau ; avec un traitement anticoagulant préventif seulement si il y a un risque patent de maladie thrombo-embolique associée.

Les anti-inflammatoires systémiques sont formellement déconseillés (risque évolutif vers la nécrose plus important ?).

Il faut prescrire :

  • des antalgiques en cas de douleur ;
  • un traitement adapté de la porte d’entrée.

3 . 7 . 3  -  Indications

Si hospitalisation : pénicilline G IV au moins jusqu’à l’apyrexie puis relais per os (pénicilline V, amoxicilline per os). Durée totale : 10 à 20 jours.

Si maintien au domicile : amoxicilline per os (surveillance quotidienne pour dépister une complication imposant hospitalisation) pendant 15 jours environ.

Pristinamycine (ou clindamycine) en cas d’allergie aux β-lactamines ou en 2e intention notamment si une étiologie staphylococcique est suspectée.

3 . 7 . 4  -  Prévention des récidives

Traitement d’une porte d’entrée persistante.

Prise en charge d’une insuffisance veinolymphatique.

Hygiène cutanée soigneuse.

En cas de récidives multiples : discuter une pénicillinothérapie au long cours (Extencilline) 2,4 MU en intramusculaire (IM) toutes les 2 à 3 semaines parfois de façon prolongée.

3/3