Pour faire face à ses besoins en fer, l'organisme doit trouver dans son alimentation la quantité de fer nécessaire. Le fer est pré-sent en quantité variable dans de nombreux aliments, mais seule une fraction du fer consommé est réellement absorbée donc les apports « réels » en fer dépendent de la teneur en fer de l'alimentation (donc du contenu en fer des aliments), mais égale-ment de la biodisponibilité de ce fer (c'est-à-dire sa capacité à être absorbé et utilisé) et du statut en fer des individus. La teneur en fer des aliments est très variable d'un aliment à l'autre (tableau 3). Mais plus que la quantité de fer présente dans l'alimentation, c'est la qualité de ce fer qui constitue le facteur déterminant pour la couverture des besoins. En effet, diverses études faites à l'aide d'aliments marqués avec du fer radioactif (55Fe, 59Fe) ont mis en évidence que l'absorption moyenne du fer chez des sujets en bonne santé est très variable d'un aliment à l'autre. Ces différences s'expliquent par la forme du fer contenu dans les aliments : fer héminique ou fer non héminique.
Le fer héminique est présent uniquement dans les aliments d'origine animale où il représente environ 40 % du fer total. Il correspond au fer des hémoprotéines, essentiellement de l'hémoglobine et de la myoglobine. Sa biodisponibilité est d'environ 25 % et n'est pas influencée par les autres constituants des repas. Le fer non héminique existe lui à la fois dans les aliments d'origine animale et dans ceux d'origine végétale.
L'absorption du fer est maximale au niveau du duodénum et du jéjunum, où elle décroît de la partie proximale à la partie distale. Chez l'homme, seules de petites quantités de fer sont absorbées au niveau de l'estomac et exceptionnellement au niveau du côlon. Si le site d'absorption est le même pour le fer héminique et non héminique, le mode d'absorption diffère profondément. Le fer non héminique est libéré des complexes auxquels il est lié dans les aliments par les sécrétions gastriques (sécrétion peptique, acide chorhydrique) ; une fois libéré, il entre dans un pool où il peut être réduit, chélaté ou rendu insoluble. Le fer pénètre dans la cellule muqueuse intestinale en franchissant les microvillosités des cellules intestinales (entérocytes). A l'intérieur de la cellule muqueuse, une partie du fer non héminique est liée à des transporteurs spécifiques et transférée rapidement au pôle séreux où il se fixe à la transferrine plasmatique.
Dans un régime de type occidental, les principales sources de fer sont : les produits d'origine animale (30 à 35 % du fer total), les céréales (20 à 30 %), puis les fruits et légumes, enfin les racines et tubercules amylacés. Pour les pays en voie de développement, la place du fer fourni par les aliments d'origine animale est beaucoup plus faible. Le fer non héminique représente à lui seul 90 à 95 % du fer alimentaire consommé dans les types alimentaires les plus fréquents dans le monde. Sa biodisponibilité est faible (généralement inférieure à 5 %) et peut être influencée par diverses substances contenues dans d'autres aliments.
On peut définir un coefficient d'absorption du fer pour chaque aliment (1 à 2 % pour le riz, 3 à 4 % pour les légumes secs, 16 à 22 % pour les viandes, 50 à 70 % pour le lait maternel…). Mais ces coefficients d'absorption calculés à partir d'aliments consommés isolément n'ont qu'un intérêt théorique, car il existe de nombreuses interactions entre les différents aliments pris au cours d'un même repas : certaines substances présentent dans les aliments agissent en facilitant l'absorption du fer contenu dans la ration, d'autres agissent, au contraire, comme inhibiteurs. Seul le fer non héminique (principale source de fer alimentaire dans les pays en voie de développement) est influencé par la composition du repas.
Le fer héminique (fer de l'hémoglobine et de la myoglobine) possède une grande biodisponibilité intrinsèque et à la différence du fer non héminique, il n'est pas influencé par les autres composants du repas.
⇒ L'acide ascorbique
Il est le plus puissant facilitateur connu de l'absorption du fer non héminique (Cook et Monsen, 1977). Il n'y a pas de limite à son action facilitatrice, même à des concentrations très élevées ; mais au-delà de 100 mg d'acide ascorbique dans un repas, son effet est moins prononcé. L'acide ascorbique facilite l'absorption du fer par formation d'un chélate de fer soluble à pH bas, qui reste soluble au pH de l'intestin grêle. L'absorption du fer d'un repas peut être multipliée par trois lorsqu'il est consommé simultanément avec 100 ml de jus d'orange et par 7 avec un jus de papaye. D'autres acides, tels que l'acide citrique et l'acide malique ont également un effet activateur sur l'absorption du fer non héminique.
⇒ Les tissus animaux
Depuis quelques années, on a mis en évidence l'effet facilateur de la viande et du poisson (Cook et Monsen, 1976) : l'absorption du fer non héminique est multipliée par 2 ou 3 quand on ajoute au repas des protéines d'origine animale (viandes et poissons exclusive¬ment). L'action de 1 gramme de viande est à peu près équivalente à celle de 1 mg d'acide ascorbique. Le mécanisme exact de cet effet activateur est encore mal connu. Certaines études impliquent la cystéine comme étant le facteur facilitateur. Mais cette hypothèse n'a pas été totalement confirmée.
⇒ Les tannins
Disler et al. (1975) ont été les premiers à signaler l'effet inhibiteur pro¬noncé du thé sur l'absorption du fer ; une seule tasse de thé prise au cours d'un repas peut faire chuter l'absorption du fer de 11 % à 2,5 %. L'absorption du chlorure de fer diminue de 22 à 6 % lorsque les comprimés sont pris en même temps que du thé. Dans un petit déjeuner de type occidental, l'absorption du fer non héminique est réduite d'environ 60 % par la prise du thé. Par contre, le thé sans tannin n'a pas d'action sur l'absorption du fer. L'effet inhibiteur des tannins résulte de la formation de précipités insolubles de tannates de fer. Le thé constitue expérimentalement le plus puissant inhibiteur de l'absorption de fer actuellement connu. Les tannins sont également présents dans le café, mais l'effet inhibiteur du café sur l'absorption du fer est bien moindre que celui du thé. Cet effet pourrait être également lié à la présence d'autres composés polyphénoliques. Les tannins sont aussi largement répandus dans les végétaux et leur présence pourrait expliquer la faible absorption du fer contenu dans ce type d'aliments.
⇒ Le rapport calcium/phosphate
Chez l'homme, des études ont mis en évidence la réduction considérable de l'absorption du fer héminique par le jaune d'œuf. Ce fait a été attribué au vitellin, principal complexe phosphorrotéique dans le jaune d'œuf. Les composés phosphatés contenus dans un repas constitueraient des inhibiteurs de l'absorption du fer par la formation de phosphate ferrique insoluble (Peters et al., 1971). Cet effet serait majoré par la présence simultanée de calcium dans le repas ; le fer serait co-précipité par un complexe insoluble calcium-phosphate.
⇒ Les protéines
Il est difficile d'apprécier le rôle direct des protéines sur l'absorption du fer. Ceci s'explique par le fait que la plu-part des études réalisées, notamment chez l'animal, sont basées sur la modification de la part des protéines dans l'apport énergétique, celui-ci étant maintenu constant. Il en résulte une grande difficulté d'interprétation, car il est difficile de déterminer si un phénomène observé est dû à la seule modification de l'apport protéique ou à l'augmentation et/ou à la réduction des autres composants. Bien que les pouvoirs facilitateurs de la viande ont souvent été attribués aux protéines (sans que ceci puisse être réellement démontré), des études récentes ont montré que certaines protéines semi purifiées peuvent inhiber l'absorption du fer. Lorsque l'on double la quantité d'albumine de l'œuf dans un repas, l'absorption du fer chute de 2,3 à 1,4 %. A l'inverse, lorsque l'on soustrait cette protéine, l'absorption du fer augmente de 3,8 à 9,6 % (Monsen et Cook, 1979). Récemment, a été également mis en évidence un effet inhibiteur des protéines de soja sans que le mécanisme en soit connu (Cook et al., 1981a).
⇒ Les phytates
Au début des années1940, Widdowson et McCance (1943) ont observé que l'absorption du fer d'un repas contenant du pain complet était plus faible par rapport à un repas contenant du pain blanc. Des études utilisant des marqueurs radioactifs ont confirmé l'effet inhibiteur du son et de nombreux travaux ont rapporté cet effet à la présence de phytates. Cependant, des études plus récentes chez l'homme et chez l'animal considèrent que les phytates ont peu d'effet sur l'absorption du fer : l'effet inhibiteur du son n'est pas modifié après destruction par hydrolyse enzymatique des phytates (Simpson et al., 1981).
⇒ Les fibres
Le rôle des fibres sur l'absorption du fer n'a pas été suffisamment étudié chez l'homme. Cook et al., testant deux repas qui ne se différencient que par la composition en fibres, ont observé (Cook et al., 1981b) que l'absorption du fer est de 6,1 % pour le repas à faible teneur en fibres (5,1 g). Les mêmes auteurs ont étudié l'effet des fibres sur l'absorption du fer en fonction de leur nature ; ils n'ont pas observé d'effet inhibiteur avec la pectine et la cellulose alors que cet effet était retrouvé avec le son (Cook et Reusser, 1983).
Les recherches futures sur la biodisponibilité du fer alimentaire vont vraisemblable¬ment mettre en évidence de nombreux autres activateurs et inhibiteurs dont la connaissance permettra de mieux estimer la quantité de fer réellement biodisponible à partir d'un type alimentaire. Ceci est particulièrement important, car en fonction de la présence des substances activatrices et inhibitrices, l'absorption du fer alimentaire peut varier de 1 à 40 % chez des individus ayant des réserves en fer semblables. Ceci représente un facteur essentiel à prendre en compte pour la compréhension de la problématique de la carence en fer.
Au total, selon la composition des régimes alimentaires, on peut différencier schématiquement trois niveaux d'absorption :
Il est évident que la majorité des habitants des pays en voie de développement ont une alimentation du premier type contenant du fer peu biodisponible. Ceci aide à comprendre pourquoi, dans ces pays, les populations ont un risque accru de carence en fer.
De nombreux travaux ont montré que la quantité de fer alimentaire absorbée ne dépend pas seulement de la teneur en fer des aliments, du type de fer et de la composition du repas, mais également de l'état des réserves en fer de l'organisme. L'absorption du fer non héminique est augmentée en cas de diminution du stock de fer de l'organisme et réciproquement diminuée en cas de surcharge en fer. Une forte corrélation négative existe entre le cœfficient d'absorption du fer et l'importance des réserves en fer de l'organisme et ce quelles que soient les méthodes utilisées pour apprécier ces réserves (biopsie de mœlle osseuse, dosage de la ferritine sérique ou méthodes de phlébotomies). Dans le même sens, on peut rapprocher, chez les femmes enceintes, l'augmentation de l'absorption du fer au fur et à mesure du déroulement de la grossesse parallèlement à l'épuisement graduel des réserves.