5  -  Pour approfondir

5 . 1  -  Comportement alimentaire et principe d'homéostasie énergétique

Le comportement alimentaire, comme la plupart des processus physiologiques vitaux, obéit au principe général d'homéostasie. L'homéostasie énergétique, qui vise à assurer une situation d'équilibre énergétique, constitue ainsi le principal facteur de régulation du comportement alimentaire. La régulation de la prise alimentaire ne représente qu'un des éléments de la régulation de l'homéostasie énergétique, dont la 2e composante, la régulation de la dépense énergétique, s'opère de façon coordonnée et schématiquement opposée.

Le caractère régulé du niveau des réserves énergétiques et donc du niveau de la masse grasse a été mis en évidence par de nombreuses expériences réalisées chez l'animal comme chez l'homme montrant qu'après une restriction énergétique la réponse normale est d'augmenter l'apport alimentaire. À l'opposé, si la masse grasse est augmentée par une période de suralimentation forcée, une diminution compensatoire de la prise alimentaire survient jusqu'à restauration du niveau antérieur de la masse grasse. Cette régulation diffère toutefois de celle de la plupart des paramètres biologiques comme la température corporelle ou la glycémie, caractérisée par un « set-point » endogène, vers lequel les phénomènes de contrôle et rétrocontrôle ramènent rapidement la variable.

Le niveau des réserves énergétiques est stable sur le long terme pour un individu donné, mais ce niveau est variable suivant les individus entre les individus et, pour un même individu, il peut varier au cours de la vie.

5 . 2  -  Populations neuronales hypothalamiques impliquées dans l'homéostasie énergétique (figure 2)

Un certain nombre de populations neuronales sont impliquées dans la régulation, le NPY/AGRP, POMC/CART, les orexines. Leur régulation et leur rôle précis ne sont pas toujours parfaitement connus, notamment chez l'homme. Seuls sont présentés les circuits les mieux connus.


Le NPY

Le NPY est un neurotransmetteur de 36 acides aminés distribué largement dans le cerveau. Le site hypothalamique principal du NPY est le noyau arqué où 90 % des neurones contiennent également l'AGRP. Le NPY est le plus puissant orexigène connu, il agit également en diminuant la dépense énergétique. La synthèse et la libération du NPY dans l'hypothalamus sont régulées notamment par des facteurs hormonaux: elle est inhibée par l'insuline et la leptine et stimulée par la ghréline et les glucocorticoïdes. La réponse hyperphagique au NPY se fait par différents récepteurs répartis dans l'hypothalamus. Six différents récepteurs ont été identifiés, les isoformes Y1 et Y5 sont les plus impliqués dans l'effet orexigène, alors que d'autres récepteurs comme Y2 et Y4 participeraient à un rétrocontrôle négatif de la libération de NPY.

La présence de NPY n'est toutefois pas indispensable pour la réponse hyperphagique au jeûne, comme l'atteste la réponse normale des souris knock-out pour NPY. Il existe en effet un système de substitution : l'AGRP qui est coexprimé dans la plupart des neurones à NPY est un antagoniste endogène du MC4-R qui médie l'effet anorexigène de l'αMSH, son action complète donc par des voies différentes l'action orexigènes du NPY.


Les mélanocortines et le MC4-R

Les mélanocotines sont une famille de peptides dérivés de la pro-opiomélanocortine (POMC). Le POMC est synthétisé dans le noyau du tractus solitaire et le noyau arqué. La famille des mélanocortines comprend l'ACTH, sécrétée par l'antéhypophyse, et l'α-MSH synthétisée dans la peau et dans les neurones à POMC du noyau arqué (NA) de l'hypothalamus. Ces peptides se lient aux récepteurs des mélanocortines dont il existe 5 sous-types appelés MC1-R à MC5-R. Le récepteur MC2-R est le récepteur de l'ACTH et régule la synthèse et la sécrétion des glucocorticoïdes surrénaliens. Le récepteur MC1-R est exprimé dans la peau et relaye l'action pigmentogène de l'ACTH et de l'α−MSH sur la peau et les poils. La caractérisation du mécanisme physiopathologique responsable de l'obésité génétique des souris yellow a permis de mettre en évidence en 1997 une nouvelle voie hypothalamique de régulation du poids qui met en jeu le récepteur MC4-R des mélanocortines. Les souris yellow ont un pelage jaune-rouge et développent une obésité majeure en raison d'une mutation du gène Agouti. Ce gène code pour une protéine cutanée qui diminue la coloration des poils et de la peau, en se liant au récepteur MC1-R et en antagonisant l'action pigmentogène des mélanocortines. En raison de la mutation du gène Agouti, la production de la protéine Agouti est dérégulée : elle est produite en quantité excessive, et non seulement dans la peau, mais aussi de façon ectopique dans le système nerveux central. L'effet excessif de la protéine Agouti sur les récepteurs MC1-R cutanés explique la couleur pâle, jaune-rouge du pelage des souris yellow. Leur obésité s'explique par l'action antagoniste de la protéine Agouti sur les récepteurs MC4-R exprimés dans l'hypothalamus (NPV et NDM en particulier) et d'autres régions du système nerveux central, et dont la fonction était jusqu'à présent inconnue. Cette découverte a permis d'établir le rôle fonctionnel dans la régulation pondérale du récepteur MC4-R et de deux neuropeptides hypothalamiques qui sont les ligands physiologiques des récepteurs MC4-R dans l'hypothalamus : l'αMSH qui était déjà connue et l'Agouti-related peptide AgRP identifié en 1997. Cette « voie MC4-R » est particulièrement sophistiquée puisqu'elle met en jeu deux populations de neurones du noyau arqué : des neurones synthétisant la pro-opiomélanocortine POMC et son fragment l'α-MSH, et des neurones synthétisant l'Agouti-related peptide AgRP. L'α­MSH, est un ligand agoniste du récepteur MC4-R. En interagissant avec ce récepteur, elle inhibe la prise alimentaire et a donc un effet anorexigène. L'AgRP par contre est un antagoniste naturel du récepteur MC4-R ; il stimule puissamment la prise alimentaire en bloquant l'action anorexigène de l'α-MSH. Les neurones à POMC et à AgRP expriment des récepteurs de la leptine. POMC et AgRP sont régulées de façon opposée par la leptine (elle augmente la transcription du gène de la POMC et diminue celle du gène de l'AgRP). Ces neuropeptides constituent vraisemblablement deux effecteurs supplémentaires des actions inhibitrices de la leptine sur la prise alimentaire. Les deux neuropeptides sont également régulés de façon opposée par le jeûne et la prise alimentaire. Chez la souris, le « knock-out » du gène du récepteur MC4-R ou la surexpression transgénique du gène de l'AgRP provoquent une obésité majeure. Des mutations du récepteur MC4-R ont été décrites chez l'homme et conduisent à une augmentation de la prise alimentaire et au développement d'une obésité massive. Des mutations du gène de la POMC provoquent une insuffisance surrénalienne en raison de l'absence d'ACTH (au niveau hypophysaire), mais aussi une obésité massive vraisemblablement en raison de l'absence d'α−MSH au niveau de l'hypothalamus. Ces données démontrent le rôle physiologique capital de cette voie de régulation chez l'humain comme chez le rongeur. De façon inattendue, l'AgRP et le NPY, dont les effets orexigènes sont comparables mais relayés par des récepteurs différents, sont synthétisés par les mêmes neurones du noyau arqué (figure 2).


Les neurones sensibles au glucose (glucosensing neurons)

Les neurones sensibles au glucose sont des neurones qui utilise le glucose non comme un substrat énergétique, mais comme un signal modifiant la fonction de la cellule et l'activité neuronale. L'importance de ces neurones a été soulignée par la démonstration d'obésité induite par l'aurothioglucose qui détruit sélectivement les neurones glucosensibles de l'hypothalamus ventro-médian. Ces neurones sont disséminés dans les aires hypothalamiques impliquées dans la régulation énergétique et contiennent des récepteurs de leptine et d'insuline, ils sont également sensibles aux autres métabolites circulants comme les acides gras libres. Les neurones NPY et POMC apparaissent comme des prototypes de cette classe de neurones.

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