Introduction

Les traitements immunosuppresseurs sont appliqués dans les allogreffes d'organes et de Cellules Souches Hématopoïétiques (CSH) et comme traitement de fond dans un ensemble de maladies auto-immunes et de maladies inflammatoires chroniques. Attention : les mêmes médicaments peuvent être utilisés pour d'autres objectifs thérapeutiques :

  • chimiothérapie des cancers,
  • traitements corticoïdes à visée anti-inflammatoire.


Ces traitements peuvent entraîner en plus des effets toxiques propres à chaque médicament, un déficit immunitaire iatrogène lorsqu'ils sont intensifs ou très prolongés. Dans les allogreffes, des stratégies différentes sont utilisées pour les greffes de cellules souches hématopoïétiques et les greffes d'organes. Nous présenterons successivement les principaux traitements classés selon leurs mécanismes d'action, puis les stratégies thérapeutiques dans les greffes de CSH, les greffes d'organe, les maladies auto-immunes puis une liste des principaux médicaments sous forme de documents indépendants avec quelques considérations pratiques relatives à leur utilisation.

1  -  Inhibiteurs de TNF et d'IL-1

1 . 1  -  Traitements lymphoablatifs

Ce terme désigne des traitements qui vont entraîner une destruction rapide, plus ou moins importante, du tissu lymphoïde périphérique (et dans certains cas du thymus). Ces traitements peuvent être aussi myéloablatifs c’est-à-dire toxiques pour la lignée myéloïde (neutropénie) et parfois pour les mégacaryocytes (thrombopénie).

Entrent dans cette catégorie :

  • l'irradiation X ou gamma : irradiation corporelle totale, et, à un moindre degré, l'irradiation d'un territoire anatomique – chaîne ganglionnaire ou irradiation de la tête – du fait de la circulation des lymphocytes, ainsi que l'irradiation lymphoïde utilisée dans le traitement des lymphomes de Hodgkin.
  • les médicaments cytotoxiques tels que les agents alkylants (cyclophosphamide), intercalants (mitoxantrone), les anthracyclines (adriamycine…) et de nombreuses autres molécules utilisées dans la chimiothérapie des cancers et des leucémies.
  • les globulines anti-thymocytes (ATG) fraction IgG purifiée de sérums de lapins immunisés avec des thymocytes ou des lignées cellulaires T.
  • les anticorps monoclonaux CD52 (CAMPATH-1H) et, à un moindre degré, l'anticorps monoclonal OKT3 (CD3).
  • certains antimétabolites comme la Fludarabine.


La destruction des lymphocytes peut concerner préférentiellement mais non exclusivement les cellules B (cyclophosphamide, mitoxantrone), ou les cellules T (Fludarabine, ATG, OKT3) ou l'ensemble des cellules T, B et NK (irradiation, CD52). La destruction est suivie d'une reconstitution du tissu lymphoïde rapide (quelques mois) et complète chez l'enfant et l'adulte jeune, lente (plusieurs années) et incomplète chez l'adulte au-delà de 40 ans. Cette reconstitution s'effectue par repeuplement à partir des cellules T produites par le thymus et/ou par prolifération homéostatique des lymphocytes T périphériques résiduels.

1 . 2  -  Antimétaboliques

Ces médicaments bloquent des enzymes indispensables à la synthèse de nucléotides puriques ou pyrimidiques. Lors de l'activation des lymphocytes T, l'expansion clonale est précédée d'une augmentation du pool intracellulaire des pyrimidines (x8) et des purines (x2) par synthèse de novo. Les antimétabolites inhibiteurs de la synthèse des pyrimidines sont le léflunomide et le méthotrexate (inhibiteur de la thymidylate synthase). Le méthotrexate induit aussi la synthèse d'adénosine, médiateur endogène ayant des propriétés anti-inflammatoires. Les inhibiteurs de synthèse des purines sont la 6-mercaptopurine (6-MP, métabolite de l'azathioprine ou Imurel) et l'acide mycophénolique (métabolite du MMF : mycophénolate mofétil).

Ces médicaments ont un effet cytostatique (MMF) ou cytotoxique vis-à-vis des seules cellules en division. Ils inhibent donc l'expansion clonale des cellules T et B au cours de l'induction d'une réponse immunitaire. Ils n'ont pas d'effet sur la synthèse de cytokines et sur l'activité cytotoxique des lymphocytes T et NK. Leur toxicité vis-à-vis des cellules en division peut entraîner une myélotoxicité (neutropénie : MMF, 6-MP, léflunomide) et des troubles digestifs à type de diarrhée (MMF).

1 . 3  -  Glucocorticoïdes

Les glucocorticoïdes sont des médicaments à la fois anti-inflammatoires et immunosuppresseurs, agissant sur de multiples cibles moléculaires. Leurs activités immunosuppressives s'exercent sur les cellules dendritiques (présentation de l'antigène) et les lymphocytes T (inhibition de l'expression de gènes de différentes cytokines). Les corticoïdes n'inhibent pas l'activité cytotoxique des lymphocytes T. À forte dose, ils peuvent induire une leucocytose et une lymphopénie réversibles, en modifiant la circulation des lymphocytes.

L'administration se fait en une seule prise orale le matin ou bien en 2 perfusions matin et soir (6-méthylprednisolone).

L'utilisation des corticoïdes expose à des effets secondaires, particulièrement importants lors des traitements prolongés et à doses élevées. Par leurs effets anti-inflammatoires, les corticoïdes augmentent les risques infectieux et modifient la symptomatologie des infections, rendant leur diagnostic clinique plus difficile.

1 . 4  -  Inhibiteurs de calcineurine et rapamycine

La cyclosporine A (ou ciclosporine – voir Sandimmun, Néoral se lie à un récepteur intracellulaire (la cyclophiline), et le complexe ligand-récepteur inhibe la phosphatase 2B ou calcineurine, enzyme qui induit la translocation nucléaire du facteur de transcription NFAT.

Le FK 506 (tacrolimus, Prograf) se lie à un autre récepteur (FK BP-12) et inhibe aussi la calcineurine.

Ces deux médicaments appelés inhibiteurs de calcineurine ont donc le même mécanisme d'activité immunosuppressive mais leur toxicité est différente car leurs récepteurs n'ont pas la même expression dans les différents tissus.

Ces deux médicaments en bloquant NFAT, diminuent l'expression des gènes de cytokines (IL-2, -4, -5, -13, TNF, GM-CSF) et des ligands de CD40 (activation des cellules B et maturation des cellules dendritiques) et de CD95 (récepteur inducteur d'apoptose).

La pharmacocinétique des inhibiteurs de calcineurine est très complexe. Il est recommandé d'ajuster les posologies individuelles en fonction des taux résiduels 12h après la prise orale, ou 2h après dans le cas de la cyclosporine A. De très nombreux médicaments peuvent modifier le métabolisme de ces inhibiteurs de calcineurine par l'intermédiaire du cytochrome P450 3A4. La rapamycine (RPM ou Sirolimus) est, comme le tacrolimus, un macrolide cyclique qui se lie au même récepteur (FKBP-12). Le complexe RPM-FKBP-12 inhibe des kinases TOR-1 et -2 (targets of rapamycin) qui contrôlent l'entrée en phase S du cycle cellulaire. Bien qu'elle ait le même récepteur que le tacrolimus, la RPM a été utilisée avec succès en association avec cette molécule dans des greffes d'îlots de Langerhans. Par ailleurs la RPM inhiberait la synthèse d'IL-2 induite par le 2e signal de costimulation (CD28), synthèse qui n'est pas bloquée par la cyclosporine A.

1 . 5  -  Anticorps CD25

Deux Acm CD25 (dirigés contre la chaîne a du récepteur de l'IL-2) sont utilisés en transplantation d'organe : un anticorps chimérique, le Simulect (fragment Fv de souris, Ck et Cg1 humains) et un anticorps humanisé par recombinaisons homologues permettant l'insertion des séquences codant le site de liaison à l'antigène (CDR 1, 2 et 3 de VH et VL) à la place des CDR de chaînes Vk et Vg1 humaines, le Zénapax. Ces Acm bloquent la liaison de l'IL-2 à son récepteur, donc la progression des lymphocytes T activés vers la phase S du cycle cellulaire. Ils n'induisent pas de délétion clonale et leur action est donc réversible dès que leur concentration décroît au-dessous d'un certain seuil.

1 . 6  -  Inhibiteurs de TNF et d'IL-1

Le TNF est la principale cytokine pro-inflammatoire. Son action biologique peut être neutralisée par un Acm chimérique (ex : Remicade® ou Infliximab) ou par des protéines hybrides associant le récepteur de TNF à des molécules d'IgG humaines (Etanercept® ou Eubrel). Ces molécules anti-inflammatoires bloquent la liaison du TNF à ses récepteurs. Leur action thérapeutique est démontrée dans la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante et la maladie de Crohn. D'autres indications sont en cours d'évaluation. Des complications infectieuses sont prévisibles du fait du rôle essentiel du TNF dans l'activation des propriétés bactéricides des phagocytes. Ces molécules sont dépourvues d'action favorable dans la sclérose en plaques et le choc septique. L'inhibiteur de l'IL-1 est la molécule naturelle IL-1Ra, antagoniste du récepteur de l'IL-1. Ce produit est en cours de développement.

1 . 7  -  Plasmaphérèse et immunoglobulines intraveineuses

Dans les maladies auto-immunes sévères où l'action pathogène des anticorps est démontrée, on pratique des plasmaphérèses pour épurer les anticorps pathogènes. Le plasma éliminé est remplacé par des solutions d'albumine ou de gammaglobulines. Le plasma congelé est très peu utilisé du fait du risque de transmission d'infection virale.

Les plasmaphérèses sont efficaces dans le traitement des polyradiculonévrites (syndrome de Guillain et Barré), des myasthénies et de certaines vasculites, en éliminant les anticorps pathogènes ainsi que le complément et les protéines de la coagulation. Cette action est de courte durée, l'amélioration est en général suivie par un phénomène de rebond.

Les perfusions intraveineuses d'IgG humaines, préparées à partir de pools de plasma de 5 à 10 000 donneurs, peuvent être utilisées dans certaines maladies auto-immunes (la posologie est de 0,4 g/kg/j pendant 5 jours ou de 2 fois 1 g/kg, ce traitement étant éventuellement repris une fois par mois en fonction de l'évolution des signes cliniques). Notez que les mêmes IgG (ou Ig IV pour immunoglobulines intraveineuses) sont utilisées, à doses plus faibles, pour les traitements substitutifs des déficits en anticorps de classe IgG. Les Ig IV ne sont pas un traitement immunosuppresseur à proprement parler.

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