5  -  Traitement des thyrotoxicoses


Les thyrotoxicoses sont habituellement traitées en ambulatoire, mais il faut identifier les situations urgentes nécessitant une prise en charge immédiate, voire une hospitalisation.

Les situations urgentes sont :

  • une crise aiguë thyrotoxique ;
  • une cardiothyréose chez une personne âgée ou atteinte de maladie cardiaque ;
  • une orbitopathie maligne ;
  • une forme cachectisante du vieillard ;
  • une maladie de Basedow évolutive chez une femme enceinte.

5 . 1  -  Moyens thérapeutiques

1. Non spécifiques

Les moyens non spécifiques sont :

  • le repos, et éventuellement un arrêt de travail ;
  • les sédatifs ;
  • les bêtabloquants, avec respect des contre-indications habituelles : ils agissent rapidement et permettent d’attendre l’effet des traitements spécifiques ; le propranolol (Avlocardyl®) est souvent choisi car il est non cardiosélectif (il réduit la tachycardie mais aussi les tremblements) et inhibe modérément la conversion de T4 en T3 par son action sur la monodéiodase de type 1 : posologie de 60 à 160 mg/24 h ;
  • une contraception efficace chez la femme jeune.


2. Spécifiques


a. Antithyroïdiens de synthèse (ATS)

Ce sont des dérivés des thiourées :

  • carbimazole (NMZ, Néomercazole®) : cp à 5 et 20 mg ;
  • propylthiouracyle (PTU, Proracyl®) : cp à 50 mg ;
  • benzylthiouracile (Basdène®) : cp à 25 mg, Thyrozol® (Methimazole) : cp à 5, 10 et 20 mg.


Ils ont plusieurs modes d’action :

  • ils inhibent la synthèse hormonale par blocage de la thyroperoxydase ; ils n’empêchent pas la sécrétion des hormones thyroïdiennes déjà synthétisées : un délai de 10 à 15 jours est nécessaire à leur action ;
  • en outre, le PTU inhibe la monodéiodase de type 1 et la conversion de T4 en T3 ;
  • ils ont un effet purement suspensif.


Les posologies habituelles sont des doses d’attaque de 30 à 60 mg/j de Néomercazole®ou 300 à 600 mg/j de PTU (10 fois moins actif) pendant 4 à 6 semaines, suivies de doses dégressives, adaptées en fonction de la clinique et de la biologie.

Les effets secondaires sont les suivants :

  • des allergies cutanées ; allergie croisée possible entre les différents ATS ;
  • une élévation des enzymes hépatiques ;
  • une neutropénie ;
  • et surtout une agranulocytose, brutale (immunoallergique), rare (0,1 % de tous les traitements) mais grave.


La surveillance recommandée d’après l’ANAES consiste à :

  • doser la T4 libre (ou la T3 libre en cas d’hyperthyroïdie à T3) à la 4e semaine. Une fois l’euthyroïdie obtenue, effectuer un dosage de la T4 libre et de la TSH tous les 3 à 4 mois. En effet, l’inertie à la normalisation de la TSH peut conduire à des erreurs d’interprétation ;
  • surveiller la NFS tous les 10 jours pendant les 2 premiers mois, et avertir le patient d’arrêter le traitement et de faire une NFS en cas de fièvre élevée.


b. Traitement chirurgical

Thyroïdectomie totale, ou quasi totale, et bilatérale en cas de maladie de Basedow, après une préparation médicale ayant permis d’obtenir l’euthyroïdie (+++) : ATS pendant 2 ou 3 mois pour éviter une crise toxique postopératoire. Le risque de lésion des parathyroïdes et des nerfs récurrents est minime avec un chirurgien entraîné à cette chirurgie, mais n’est pas nul. En avertir le patient.

Thyroïdectomie totale bilatérale en cas de goitre multinodulaire toxique après une préparation médicale courte si nécessaire (pas de risque de crise toxique). Même risque parathyroïdien et récurrentiel.

Lobectomie du côté de la lésion en cas d’adénome toxique, après une préparation médicale courte si nécessaire.

c. Traitement par radio-iode (131I)

Ce traitement a pour but de détruire la thyroïde ou les zones hyperactives par irradiation interne[(cf. note : 1)].

Il s’agit d’un traitement simple (ne nécessitant pas d’hospitalisation en dessous d’une certaine dosimétrie) et sans danger (pas de risque génétique ou de cancérisation secondaire démontré). Un délai de 1 à 2 mois, voire plus, est nécessaire à son action.

Il est contre-indiqué chez la femme enceinte (faire un dosage des hCG avant l’administration). Préconiser une contraception efficace ensuite pendant 6 mois chez la femme jeune.

5 . 2  -  Indications et résultats

Les indications et les résultats seront fonction de l’étiologie.

1. Maladie de Basedow

Aucun traitement de la maladie de Basedow n’est parfait puisqu’aucun n’agit sur la cause de la maladie. Aussi, l’attitude thérapeutique varie-t-elle selon les patients et les habitudes des équipes.

Après ATS, la rechute survient dans 40 à 60 % des cas, surtout dans la première année.

La thyroïdectomie conduit à une hypothyroïdie définitive.

Le radio-iode entraîne une hypothyroïdie dans plus de 50 % des cas, en quelques années. Il existe un risque d’aggravation de l’orbitopathie (par lyse des cellules thyroïdiennes et libération d’antigène) qui peut être prévenu par corticothérapie.

En France, l’attitude habituelle est le plus souvent la suivante, dans les formes non compliquées :

  • un traitement médical pendant 1 à 2 ans : dose d’attaque puis, soit des doses dégressives en fonction des résultats, soit un maintien de fortes doses en ajoutant de la thyroxine pour compenser l’hypothyroïdie iatrogène ;
  • si une rechute survient : proposition de traitement radical, soit par chirurgie en cas de gros goitre, soit par radio-iode, avant tout indiqué chez les personnes âgées ou ayant récidivé après thyroïdectomie, mais de plus en plus utilisé à tout âge sauf contre-indication.


Aux États-Unis, pour des raisons économiques, le radio-iode est souvent utilisé en première intention, quel que soit l’âge du patient.

Dans tous les cas, la surveillance des patients doit être prolongée : des récidives ou une hypothyroïdie peuvent survenir des années après l’épisode initial.


2. Adénome toxique et goitre multinodulaire toxique


Le traitement médical seul ne peut obtenir la guérison (pas de rémission spontanée).

Les traitements possibles sont :

  • la chirurgie ;
  • l’iode 131I, utilisé en France surtout chez les personnes âgées.
  • Le risque d’hypothyroïdie secondaire est moindre que dans la maladie de Basedow.



3. Hyperthyroïdies induites par l’iode


Arrêt du produit responsable après accord du cardiologue en cas de traitement par amiodarone. L’efficacité de cet arrêt sur l’évolution de l’hyperthyroïdie n’a en fait pas été demandée.

Les bêtabloquants et les sédatifs sont toujours utiles.

Le choix du traitement selon le mécanisme (ATS ou corticoïdes) doit être discuté en milieu spécialisé.


4. Thyroïdite subaiguë


Le traitement de la maladie est le traitement anti-inflammatoire (non stéroïdien, ou corticoïde dans les formes importantes : 1 à 2 mg/kg, puis doses dégressives sur 2 à 3 mois). Un traitement trop court expose à une rechute.

Le bref épisode de thyrotoxicose est traité par bêtabloquant.

5 . 3  -  Traitement des formes particulières

1. Cardiothyréose

a. Traitement symptomatique

L’hospitalisation est souhaitable chez les personnes âgées et/ou à l’état cardiaque précaire.

Concernant le trouble du rythme cardiaque sans insuffisance cardiaque, le propranolol est le traitement de choix, mais il existe un risque thromboembolique et les anticoagulants sont nécessaires.

Il n’y a pas de cardioversion tant que l’hyperthyroïdie persiste (risque de récidive).

Dans le cas d’une aggravation d’une insuffisance coronaire, les bêtabloquants constituent une bonne indication.

En cas d’insuffisance cardiaque, on peut proposer :

  • les tonicardiaques, les diurétiques, les vasodilatateurs, qui sont utiles mais souvent insuffisants à eux seuls ;
  • le propranolol, qui constitue une bonne indication car le débit est normal ou élevé, mais il faut surveiller la tolérance myocardique ;
  • les anticoagulants, en cas de trouble du rythme et/ou d’insuffisance cardiaque globale. Prise en charge en collaboration avec le cardiologue.


b. Traitement de la thyrotoxicose

Il est indispensable et se réalise de la façon suivante :

  • utilisation d’antithyroïdiens de synthèse, parfois à forte dose jusqu’à obtention de l’euthyroïdie ;
  • puis traitement définitif, de préférence par radio-iode en raison de la gravité de la complication et du terrain, en attendant sa pleine action sous couvert d’ATS.


2. Crise aiguë thyrotoxique

La crise aiguë thyrotoxique nécessite :

  • une hospitalisation en unité de soins intensifs ;
  • des mesures générales de réanimation (lutte contre l’hyperthermie, la déshydratation) ;
  • un ATS à forte dose par sonde gastrique ;
  • du propranolol par voie veineuse ;
  • des corticoïdes par voie veineuse, voire des échanges plasmatiques ;
  • l’iode à forte dose après 24 h d’ATS.


Tous ces traitements doivent être menés en milieu spécialisé.


3. Orbitopathie


Le traitement antithyroïdien n’a aucun effet direct sur l’orbitopathie qui n’est pas due à la thyrotoxicose, mais l’obtention de l’euthyroïdie en évitant le passage en hypothyroïdie peut améliorer l’état orbitaire. L’iode 131I est susceptible d’aggraver l’orbitopathie (cf. supra).

L’orbitopathie simple nécessite de petits moyens : collyres protecteurs, port de verres teintés, et il est conseillé de dormir avec la tête surélevée ; prismes en cas de diplopie.

L’orbitopathie maligne nécessite une décision thérapeutique en milieu spécialisé. On dispose de :

  • corticothérapie à forte dose (1 à 2 mg/kg) puis dose dégressive : le traitement peut être initié par des bolus de corticoïdes IV ;
  • radiothérapie orbitaire ;
  • chirurgie de décompression ;
  • chirurgie plastique et reconstructive en cas de séquelles importantes et après l’épisode inflammatoire.


Dans tous les cas : arrêt du tabac.


4. Hyperthyroïdie chez la femme enceinte


Elle doit être traitée et surveillée en milieu spécialisé pour trouver un équilibre entre le risque de l’hyperthyroïdie maternelle et celui de l’hypothyroïdie fœtale iatrogène. D’où la nécessité d’évaluer le risque d’hyperthyroïdie fœtale. Suivi obstétrical et endocrinologique rapproché et en alternance.

a. Thyrotoxicose gestationnelle transitoire

Elle nécessite le repos au calme, et éventuellement des bêtabloquants en attendant la régression spontanée.

b. Maladie de Basedow

Les ATS passent la barrière placentaire et la thyroïde fœtale est fonctionnelle à partir de la 20esemaine.

Les formes mineures demandent des moyens adjuvants (repos) en attendant sous surveillance étroite une rémission spontanée, qui se produit souvent en 2e partie de grossesse.

Pour les formes plus importantes, on emploie les ATS à faible dose de façon à maintenir la T4 libre à la limite supérieure de la normale. Le PTU est classiquement préféré au NMZ, car s’il passe autant la barrière placentaire, il n’a jamais été décrit à ce jour de malformation avec ce produit (on note de très rares aplasies du scalp et des malformations œsophagiennes et des choanes avec le NMZ).

L’emploi du propranolol est possible.

Dans les formes graves, la thyroïdectomie est possible à partir du 2etrimestre, après une préparation médicale. Elle est exceptionnellement indiquée.

Dans tous les cas :

  • surveillance rapprochée de la mère (3 semaines) : dosage des hormones, des anticorps ;
  • surveillance rapprochée du fœtus par échographie pour dépister une hyperthyroïdie fœtale (tachycardie, goitre, avance de maturation osseuse) par passage transplacentaire d’anticorps, ou un goitre fœtal par passage transplacentaire d’ATS.


Après l’accouchement :

  • surveillance de la mère : risque de rebond de l’hyperthyroïdie ;
  • surveillance du nouveau-né : thyrotoxicose néonatale ou hypothyroïdie iatrogène.


Les ATS sont sécrétés dans le lait (le PTU moins que le NMZ), mais à faibles doses, l’allaitement est donc possible sans dommage. Son autorisation doit être soumise à un avis spécialisé.

Notes
  1. 1 : La manipulation du radio-iode doit se faire selon un protocole précis en médecine nucléaire : les précautions à prendre vis-à-vis de l’entourage sont codifiées et le patient en est averti.
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