Une femme de 35 ans est amenée au service d’urgence, accompagnée par son mari, pour coma vraisemblablement dû à une intoxication aiguë. Elle a en effet été découverte par son mari rentrant du travail, couchée dans le lit et ne répondant pas. Le mari signale qu’elle était dépressive depuis plusieurs mois et traitée par LexomilR (bromazépam) 2 fois 6 mg/j, ElavilR (amitriptyline) 2 fois 75 mg/j. Par ailleurs, lors d’une conversation téléphonique 4 h plus tôt le mari avait noté qu’elle avait des difficultés pour parler distinctement. La mari signale que depuis 8 j elle prenait du Di-AntalvicR (paracétamol et dextropropoxyphène) pour des lombalgies. A l’examen, vous notez un coma calme sans signes de localisation (score de Glasgow à 8), des pupilles en légère mydriase, réactives à la lumière, des réflexes ostéotendineux vifs, un réflexe cutané plantaire indifférent. La pression artérielle est à 120/85 mmHg, le pouls à 95/min, la fréquence respiratoire à 10 cycles/min. L’examen de l’abdomen est normal, exceptée une voussure sus-pubienne liée probablement à un globe vésical. L’auscultation pulmonaire montre une diminution du murmure vésiculaire à droite.
Question 1
Comment analysez-vous cette situation en fonction des éléments dont vous disposez. Quels sont les critères de gravité existants et potentiels ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
- Il s’agit vraisemblablement d’une intoxication mixte par benzodiazépine et antidépresseur . - Les éléments en faveur d’une intoxication par benzodiazépine (bromazépam) sont le coma calme sans signes de localisation, l’hypoventilation (fréquence respiratoire à 10 cycles/min) - Les signes en faveur d’une intoxication par antidépresseur tricyclique (amitriptyline) sont la présence de réflexes ostéo-tendineux vifs et de signes anticholinergiques (mydriase, tachycardie à 95/min, rétention urinaire). Une intoxication associée par paracétamol et dextropropoxyphène ne peut être exclue bien qu’il n’existe pas, en dehors de l’hypoventilation, d’autre signe spécifique d’une intoxication par opiacé. En effet, le myosis peut manquer en raison de l’effet anticholinergique des antidépresseurs tricycliques. - Les signes de gravité existants sont le coma, la dépression respiratoire et la possibilité d’une atélectasie pulmonaire droite. - Les critères de gravité potentiels sont : - D’une part, les risques cardiovasculaires (choc, troubles du rythme, arrêt circulatoire) dus à l’antidépresseur tricyclique - D’autre part, le risque d’hépatite en cas d’ingestion de doses importantes de paracétamol.
Quels examens complémentaires demandez-vous et quelles éléments informations en attendez-vous ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Les examens à réaliser sont :
- un électrocardiogramme pour rechercher des anomalies liées à l’antidépresseur tricyclique : en particulier des troubles de la conduction intraventriculaire avec élargissement des complexes QRS (> à 0,08 sec), un bloc de branche droit associé à un hémibloc gauche, plus rarement un bloc AV complet et des troubles du rythme.
- un dosage du paracétamol pour apprécier le risque d’hépatite en fonction du nomogramme de Rumack et Matthew. Bien que l’horaire de l’ingestion ne soit pas précisément défini, on peut l’estimer à 4 h minimum en fonction des données fournies par le mari. Chez cette patiente, compte tenu du délai depuis l’ingestion, une paracétamolémie supérieure à 100 mg indiquerait un risque d’hépatite.
- Un bilan sanguin avec gaz du sang et électrolytes, transaminases. Les gaz du sang permettent d’évaluer le retentissement de l’hypoventilation. Les transaminases ne devraient pas être modifiées à ce stade précoce de l’intoxication, mais le dosage servira de valeur de référence lors d’un contrôle ultérieur.
- Un dosage semi-quantitatif (exprimé en croix) des benzodiazépines et des antidépresseurs tricycliques n’est pas nécessaire : il n’apportera d’informations utiles ni au diagnostic ni pour la stratégie thérapeutique.
Question 3
Quelle surveillance préconisez-vous ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
- La surveillance doit se faire en milieu de réanimation en raison des risques majeurs de troubles graves du rythme cardiaque. - La surveillance comporte le monitoring continu des fréquences cardiaque et respiratoire, de la SpO2, de la pression artérielle, la surveillance de l’état neurologique avec mesure répétée du score de Glasgow.
Question 4
Quel traitement mettez-vous en oeuvre ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Le traitement comporte l’intubation et la ventilation mécanique du fait de la dépression respiratoire et de l’existence probable d’une atélectasie droite. Un traitement évacuateur (lavage gastrique ou administration de charbon activé per os) n’est pas indiqué vu le délai depuis l’ingestion (> 1 h). Le traitement antidotique : - L’administration de flumazénil (AnexateR) est contrindiquée en raison de l’ingestion associée d’antidépresseurs tricycliques : elle risque en effet de déclencher des convulsions. De même, l’administration de naloxone (NarcanR) n’est pas indiquée dans cette situation. - La N-acétylcystéine (FluimucilR) est indiquée si la paracétamolémie se situe dans la zone de risque d’hépatite sur le nomogramme. La dose est de 150 mg/kg en 2 h, en perfusion continue, suivie de 150 mg/kg sur 20 h. En cas de survenue de troubles cardiovasculaires dus à l’antidépresseur tricyclique le traitement comportera l’administration de sels de sodium hypertoniques (soluté de bicarbonate de sodium à 8,4 %) en cas de bloc intraventriculaire, et de catécholamines en cas de choc.