Une femme de 42 ans, ayant un diabète insulinodépendant depuis 4 ans, est adressée par son médecin traitant pour une asthénie intense. Lors de la prise en charge par le SMUR, la température est à 38 °C, la fréquence cardiaque à 125/min, la pression artérielle à 70/40 mmHg. Depuis plusieurs jours, la patiente présente une polydipsie. Son traitement habituel comportait 18 U d’insuline retard matin et soir et il est précisé qu’elle ne surveillait plus ses glycémies depuis 6 mois environ. Dans ses antécédents, outre deux grossesses menées à terme sans problème, on note une appendicectomie compliquée d’une suppuration de paroi ayant entraîné la découverte du diabète et une pneumonie atypique il y a un an. À l’arrivée dans la salle d’urgence du service de réanimation, un flacon de 500 mL d’un soluté macromoléculaire est pratiquement terminé. La pression artérielle est à 110/60 mmHg, la fréquence cardiaque est à 135/min. Il persiste des marbrures au niveau des membres inférieurs. La fréquence respiratoire est à 30/min avec une odeur acétonique de l’haleine. L’auscultation du thorax ne révèle aucune anomalie. La peau garde le pli, la face interne des joues est sèche. Le reste de l’examen clinique est sans anomalie, en particulier sur le plan neurologique. L’analyse d’urine après sondage montre une glycosurie et une cétonurie massives. Le prélèvement sanguin artériel réalisé aux urgences donne les résultats suivants : pH = 7,03 ; PaCO2 = 9,8 mmHg ; PaO2 = 132 mmHg sans apport d’oxygène ; bicarbonates = 2,4 mmol/L ; SaO2 = 97 % ; glucose = 42 mmol/L ; urée = 10,3 mmol/L ; créatinine = 213 µmol/L ; Na = 132 mmol/L ; Cl = 94 mmol/L ; K = 5 mmol/L ; protéines = 79 g/L ; hématocrite = 51 % ; acide lactique = 4,2 mmol/L. L’ECG et la radiographie du thorax sont normaux.
Question 1
Quel est votre diagnostic ? (Renvois au livre : Chapitre 18, p193-196 : Acidocétose diabétique)
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Il s’agit d’une acidocétose diabétique. Ce diagnostic est fortement évoqué par le terrain (diabétique insulinodépendante) et par la clinique (dyspnée d’acidose, déshydratation globale, odeur acétonique de l’haleine). Il est confirmé par les examens biologiques : glycosurie et cétonurie massives, hyperglycémie (> 20 mmol/L), acidose métabolique (pH < 7,20). Le facteur déclenchant n’est pas évident : au premier abord, on évoque une négligence dans la surveillance des glycémies et un défaut d’adaptation de l’insulinothérapie aux besoins. On recherchera systématiquement chez cette femme une infection urinaire ou une grossesse.
Question 2
Quel est la définition et l’explication du désordre acido-basique ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
C’est une acidose métabolique, avec une augmentation du trou anionique (TA = 41 mmol/L au lieu de 18), qui n’est pas entièrement comblé par les lactates (4,2 mmol/L). L’augmentation du TA est due essentiellement à l’accumulation de corps cétoniques (acide bêtahydroxybutyrique et acide acétoacétique), qui se comportent comme des acides forts, et très partiellement à la rétention d’autres acides organiques liée à l’insuffisance rénale modérée, qui est a priori fonctionnelle.
Question 3
Pourquoi la PaO2 est-elle au-dessus de la normale ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
L’acidose métabolique entraîne une hyperventilation alvéolaire avec hypocapnie. En FiO2 à 21%, l’équation des gaz alvéolaires [PAO2 = 20 – (PACO2/R) (en Kpa), où R est le quotient respiratoire normalement inférieur à 1] explique que toute diminution de PACO2 induit une élévation de PAO2 et ainsi de PaO2. L’augmentation de PaO2 traduit la normalité du poumon.
Question 4
Quel est le trouble de l’hydratation observé et quel en est son mécanisme ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Dans l’acidocétose diabétique, l’hyperglycémie entraîne une hyperosmolarité extracellulaire et une polyurie osmotique responsable d’une déshydratation globale et d’une hypovolémie. Les pertes d’eau peuvent aussi être dues à des troubles digestifs, qui ne sont pas signalés dans cette observation, à la fièvre qui est ici présente (les acidocétoses non compliquées sont plutôt hypothermes), et enfin à la polypnée. Dans cette observation, on retrouve des signes de déshydratation extracellulaire : la peau garde le pli, le pouls est rapide, la tension artérielle était initialement basse, la protidémie et l’hématocrite sont élevés. Il existe également des signes en faveur d’une déshydratation intracellulaire : la soif, la sécheresse des muqueuses, ici la face interne des joues. L’hyponatrémie est habituellement responsable d’une hyperhydratation intracellulaire ; toutefois dans cette observation, l’hyponatrémie n’a pas de conséquence sur l’hydratation intracellulaire du fait de l’augmentation nette de l’osmolarité extracellulaire. L’hyponatrémie s’explique en partie par l’appel d’eau lié à l’hyperglycémie (formule de la natrémie corrigée en fonction de la glycémie), par la perte de sodium liée à la diurèse osmotique des jours précédents, et par l’apport hydrique sans apport sodé lié à la polydipsie.
Question 5
Quelles prescriptions préconisez-vous en urgence et pourquoi ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Réhydratation par un soluté de NaCl à 9 g/1 000, 0,5 L/h pendant les 6 premières heures. La prescription de solutés macromoléculaires est inutile, car c’est le déficit hyrosodé qui est responsable des troubles hémodynamiques et de l’insuffisance rénale. L’insulinothérapie intraveineuse à la seringue électrique (7 unités/h) est nécessaire pour compenser la carence en insuline, qui est responsable de l’hyperglycémie, de l’élévation des corps cétoniques, de la déshydratation et de l’acidose. À partir de la troisième heure, il faut administrer du KCl (12 g/24 h), la correction de l’acidose démasquant le déficit en potassium qui peut atteindre le tiers du stock total. L’apport de phosphate dipotassique permet de compenser simultanément le déficit en phosphore. Les solutés de bicarbonates de sodium ne sont pas indiqués, ceux-ci pouvant avoir des effets délétères et l’insuline corrigeant l’acidose. En revanche, il faut administrer des solutés glucosés dès que la glycémie atteint une valeur = 12,5 mmol/L et que la cétonurie persiste. Une antibiothérapie systématique n’est pas justifiée.
Question 6
Quelle surveillance mettez-vous en place ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Surveillance clinique horaire de l’état de conscience, du pouls, de la TA, de la fréquence respiratoire, des téguments (marbrures) et de la diurèse (par 3 heures). Monitorage cardiaque pour apprécier le retentissement des variations de la kaliémie. Glycémie capillaire toutes les heures, glycosurie et cétonurie toutes les 3 heures. Ionogramme plasmatique (Na, K, urée, créatinine, glycémie), gaz du sang, acide lactique à la 3e heure, puis à moduler en fonction de l’évolution clinique et biologique. Mesure quotidienne du poids.