5  -  Physiopathologie

5 . 1  -  Histoire naturelle d'une vitamino-déficience

La constitution d'une carence passe par plusieurs étapes :

  • diminution des réserves (diminution progressive du pool de l'organisme, il n'existe pas de signes cliniques ou biologiques) ;
  • apparition de signes biologiques (par exemple diminution d'une activité enzymatique) ;
  • apparition de manifestations cliniques ;
  • apparition de lésions anatomo-cliniques irréversibles.


La durée de la phase infraclinique est variable et dépend largement des possibilités de stockage par rapport aux besoins quotidiens. Vitamine B12 et vitamine A peuvent être stockées abondamment dans le foie, il faudra une carence d'apport prolongée (mois chez le nouveau-né, années chez l'adulte) pour épuiser ces réserves. Dans d'autres cas (vitamine C, thiamine), quelques semaines seront suffisantes.

Certaines carences produisent des tableaux cliniques assez spécifiques ( tableau II ) d'autres non (troubles cutanés communs aux vitamines du groupe B). Malgré leur rôle central dans le métabolisme cellulaire, des carences en certaines vitamines ne s'expriment paradoxalement que par des signes non spécifiques et sans caractère majeur de gravité (par exemple : acide pantothénique).

La recherche de signes biologiques de carence en vitamine peut faire appel à deux types d'approche : mesurer directement le niveau de vitamines ou de métabolites dans un pool représentatif ou mesurer une fonction qui dépend d'une vitamine.

Par exemple l'acide folique et ses dérivés peuvent être mesurés dans le plasma et les érythrocytes, en effet une anémie mégalocytaire n'apparaîtra qu'à un stade de carence beaucoup plus avancé. Inversement, pour la vitamine B1 (thiamine) des mesures fonctionnelles effectuées in vitro et in vivo sont très sensibles. In vivo, il s'agira de la mesure des taux plasmatiques d'acide pyruvique et d'acide lactique (taux qui s'élèvent en cas d'apport de glucose, cf. figure 2 ). In vitro, il s'agit de la mesure de l'activité transcétolase sur sang entier ou érythrocytes. Il est possible de mesurer cette activité avec ou sans addition de thiamine pyrophosphate. En cas de déficience, l'addition de thiamine pyrophosphate exogène entraînera une augmentation importante de cette activité, de plus de 20 %. Ceci montre que le taux de vitamine est bien le facteur limitant.

5 . 2  -  Mécanismes

5 . 2 . 1  -  Réduction de l'apport

Les vitamines sont apportées par l'alimentation. En principe le besoin minimum obligatoire correspond au remplacement des pertes. Par exemple, en supposant que 85 % de l'acide ascorbique est absorbé et en mesurant un turn-over quotidien (mesures isotopiques) de l'ordre de 40 à 50 mg chez l'adulte, on aboutit à une recommandation de l'ordre de 60 mg par jour.

A côté de cette méthode factorielle (apports = pertes x coefficient d'absorption + marge de sécurité), une autre approche pour définir les besoins minimum s'appuie sur des données épidémiologiques. Ces apports conseillés doivent satisfaire les besoins de la très grande majorité (95 % soit + 2 DS par rapport aux besoins moyens qui conviendraient à 50 % de la population). Les méthodes épidémiologiques consistent à étudier, dans une population, les apports qui permettent de normaliser certains critères ou diminuer certaines pathologies. Les critères fonctionnels utilisés seront importants pour définir les besoins : 10 mg d'acide ascorbique permettent d'éviter l'apparition d'un scorbut alors que 60 mg par jour seront nécessaires pour obtenir chez 95 % de la population des taux plasmatiques supérieurs à 4 ou 6 mg/l selon les âges. Ce type de discussion sur les méthodes qui ont permis d'aboutir à des recommandations nutritionnelles adaptées à l'ensemble d'une population se retrouve pour de nombreux éléments. Lors d'une évaluation individuelle, un patient peut ingérer une quantité inférieure à ces recommandations destinées à couvrir la majorité d'une population et ne présenter aucune déficience. Des recommandations ont été établies pour différents pays. Un exemple est indiqué dans le tableau VII .

Tableau VII : Apports recommandés pour la population française
Apports recommandés pour la population française (CNRS – CNERNA, 1992) : apports conseillés pour les femmes adultes (donné à titre d'exemple).

Comme la notion de besoin minimum optimal pour une population dépend du critère utilisé pour estimer son statut, que les études épidémiologiques sont lourdes et longues et enfin qu'une population est faite de groupes hétérogènes, il existe de nombreuses discussions concernant l'intérêt potentiel ou non de certaines supplémentations.

Les principales sources alimentaires sont rassemblées dans le tableau VIII . Il est généralement admis qu'une alimentation diversifiée apporte les vitamines nécessaires. Il peut ne plus en être de même en cas de traitement médicamenteux ou de maladie diminuant l'absorption ou augmentant les besoins. Certains pays comme les États-Unis supplémentent presque systématiquement les aliments courants (vitamines du groupe B pour les farines, vitamine D pour le lait), d'autres comme la France, autorisent dans certains cas, la restauration au niveau du taux présent dans l'aliment de départ, pour compenser les pertes liées à certains procédés technologiques tels que la stérilisation.

Tableau VIII : Vitamines : distribution, stockage

Il est évident que la possibilité de survenues de carence d'apport dépend des paramètres suivants : abondance de la vitamine dans des aliments très variés, capacité de synthèse bactérienne ou à partir d'autres sources, importance du stockage par rapport aux besoins quotidiens.

5 . 2 . 2  -  Malabsorption

Les carences en vitamines sont souvent les conséquences de malabsorptions digestives. Ceci a deux conséquences : en cas de déficience vitaminique (anémie macrocytaire, diminution des facteurs de la coagulation limitée aux facteurs vitamine K-dépendants...) il faudra rechercher une anomalie digestive. Inversement, certaines anomalies digestives devront faire prévoir un risque accru de déficience (tableau III).

5 . 2 . 3  -  Autres mécanismes

Influence des pathologies sur ces besoins, exemples de l'acide folique et de la vitami­ne E.

L'acide folique (acide ptéroylglutamique) n'est que peu stocké. En cas de carence d'apport les stocks seront épuisés après quelques mois. Les précurseurs apportés par l'alimentation sont sous forme de polygluta­mates. Des conjuguases, dont une présente au niveau de la bordure en brosse des entérocytes de l'intestin grêle, permettent son absorption sous forme de monoglutamate. Il existe un système de transport intestinal spécifique, cotransport activé par les gradients d'ion H+. (Ce mécanisme a été bien étudié car il intervient également dans l'absorption de certains médicaments utilisés en chimiothérapie : les antifoliques comme le méthotrexate). Comme de plus il existe un cycle entéro-hépatique, les quantités qui sont absorbées chaque jour sont supérieures aux quantités ingérées. Ainsi même si l'apport quotidien n'est que de 50 µ g, c'est un minimum de 150 µ g qui devra être réabsorbé. Le fait qu'il existe plusieurs étapes mettant en jeu l'entérocyte et l'existence de ce cycle explique qu'une maladie digestive avec lésion du grêle comme la maladie coéliaque entraînera plus rapidement une déficience qu'une simple carence d'apport.

En liaison avec la vitamine B12, l'acide folique intervient dans la synthèse de l'ADN. Certaines conditions caractérisées par un renouvellement cellulaire rapide comme une anémie hémolytique chronique (par exemple drépanocytose homozygote avec destruction accélérée des globules rouges nouvellement formés) augmentent les besoins en acide folique. L'administration d'une supplémentation devient alors habituelle. Une autre circonstance se caractérise par une synthèse cellulaire accrue : la grossesse. Il semble exister des arguments concordants pour penser que l'existence en début de grossesse au moment de l'organogenèse d'une carence maternelle en acide folique augmente le risque de certaines anomalies du système nerveux central telles les spina bifida.

Des signes cliniques de déficience de carence en vitamine E peuvent s'observer dans deux circonstances : chez le prématuré et en cas de malabsorption digestive majeure des lipides (a-béta-lipoprotéinémie).

Chez le prématuré, cette carence se traduit par une anémie liée à une diminution de la durée de vie des hématies. En cas d'a­béta-lipoprotéinémie, les anomalies neurologiques (ataxie et rétinopathie) sont au premier plan.

En dehors de ces déficiences manifestes, de nombreux autres travaux sont en cours concernant les relations entre vitamine E et pathologie. Une des voies les plus actives repose sur l'hypothèse suivante : certaines lipoprotéines (LDL) seraient d'autant plus athérogènes qu'elles seraient oxydées, leur phagocytose par les macrophages étant le point de départ des mécanismes conduisant à la formation des lésions athéromateuses. Dans ce cas, la vitamine E pourrait diminuer ce phénomène initial en agissant au niveau des lipoprotéines circulantes.

5 . 3  -  Relations entre une vitamine et les autres composants de l'alimentation : exemples de la niacine et de la biotine

La niacine présente une particularité remarquable : elle peut être synthétisée à partir du tryptophane (environ 60 mg de tryptophane correspond à 1 mg de niacine). Une carence particulière a été observée en cas d'alimentation très pauvre en viande et comprenant essentiellement du maïs : la pellagre associant dermatite, diarrhée et démence. La raison en est simple :

  • le maïs est très pauvre en tryptophane ;
  • la nicotinamide présente dans le maïs est complexée et est très mal absorbée.


La biotine est le coenzyme de plusieurs carboxylases (transfert de groupement CO2). Elle est fixée sur les résidus lysine des enzymes sous forme de biocytine, 1-N-carboxybiotine. Malgré la rareté des déficiences, cette vitamine a fait l'objet de nombreuses études pour les raisons suivantes :

  • Elle a fourni un exemple de relation entre alimentation et statut vitaminique : le blanc d'œuf contient une glycoprotéine thermosensible qui complexe la biotine, l'avidine. L'ingestion prolongée d'une grande quantité d'œuf cru a ainsi pu entraîner des carences en biotine.
  • Il existe des anomalies du métabolisme qui peuvent être corrigées par administration de biotine. L'une de ces maladies (déficit multiple des carboxylases par déficit en biotinidase) a permis de mieux comprendre un mécanisme de variation de la biodisponibilité des vitamines. Du fait de l'absence de biotinidase, la biotine reste fixée au niveau de radicaux lysine. L'administration par voie orale de biotine à large dose permet de saturer ces sites et de rendre l'excès biodisponible sous forme libre.


La biotine est synthétisée par la flore microbienne digestive ; l'élimination est habituellement supérieure aux apports alimentaires. Les très rares cas de déficits avec signes cliniques par carence d'apport ont été observés au décours d'alimentation parentérale prolongée. Il est peut-être possible que les sujets hétérozygotes pour des anomalies à type de déficit en biotinidase soient plus facilement sujets à des déficiences en cas de carence d'apport.

5 . 4  -  Vitamine et flore microbienne : exemple de la vitamine K

Du fait de l'existence d'une synthèse microbienne dans le tube digestif et d'un stockage hépatique, la carence en vitamine K est rare, sauf dans une circonstance particulière : chez le nouveau-né, initialement stérile et sans stockage. La survenue de la « maladie hémorragique du nouveau-né » est prévenue par l'injection intramusculaire systématique de vitamine K à la naissance. Chez l'adulte, l'association d'une antibiothérapie prolongée et d'une alimentation déplétée ou d'une malabsorption lipidique importante peut également entraîner une carence.

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