2  -  Cytogénétique moléculaire, applications cliniques

2 . 1  -  LA FISH

Le caryotype est resté pendant plus de 50 ans le seul examen d’étude globale du génome. Il a été déterminant pour le diagnostic et la prise en charge de nombreuses pathologies constitutionnelles et acquises, notamment dans les hémopathies malignes (nosologie et choix thérapeutique). Ses principales limites sont sa résolution (au maximum 5 millions de paires de bases, 5Mb), la difficulté de caractériser certaines anomalies (les bandes noires, grises ou blanches de différents chromosomes se ressemblent respectivement), la nécessité d’obtenir des mitoses et l'impossibilité d'établir un rapport phénotype - génotype précis c’est-à-dire au niveau moléculaire. L’utilisation de la FISH sur des métaphases et sur des noyaux a permis de dépasser certaines de ces limites.

2 . 1 . 1  -  La FISH sur métaphase : un complément du caryotype

2 . 1 . 1 . 1  -  Le Diagnostic cytogénétique des syndromes microdélétionnels

Les syndromes microdélétionnels sont liés à des pertes de fragments chromosomiques d’une taille en général comprise entre 500 000 paires de bases (500kb) et 4 000 000 de paires de abases (4 Mb), non décelables dans l’immense majorité d’entre eux par les techniques de bandes. La cause chromosomique de la plupart de ces syndromes individualisés cliniquement dans les années 1960, n’a pu être identifiée que grâce à la découverte de translocations ou autres remaniements visibles sur le caryotype standard permettant de cibler une région précise1(cf. note : Note) .  Avec des sondes des régions impliquées utilisées en FISH, il est possible de les diagnostiquer si le tableau clinique est évocateur.

L’exemple le plus connu est celui du syndrome de DiGeorge/vélo-cardio-facial (DGS/VCF) (figure 6a), correspondant à une délétion d’environ 3 Mb dans la sous-bande 22q11.2 (ou plus rarement à des plus petites délétions de 1.5 Mb). Il existe aujourd'hui une cinquantaine de syndromes microdélétionnels (10). Cependant, la variabilité phénotypique et l'absence de spécificité clinique de certains de ces syndromes sont à l’origine d’une valeur prédictive positive faible des examens de FISH ciblés. À titre d'exemple, dans notre expérience, seulement 7% des études FISH réalisés pour rechercher une délétion 22q11.2 sont positives et 0,5% pour la délétion 22q13 (qui est associée au syndrome de Phelan-MacDermid). En revanche, la recherche par FISH de la délétion 7q11.23 associée au syndrome de Williams est positive dans 50% des cas en raison de signes cliniques très évocateurs dans cette pathologie.

2 . 1 . 1 . 2  -  Le diagnostic d’anomalies chromosomiques récurrentes dans les hémopathies malignes

La majorité des anomalies chromosomiques de structure impliquées dans la pathogénèse des leucémies et des lymphomes sont clonales, récurrentes, non aléatoires et souvent spécifiques d’un type d’hémopathies malignes. Il s’agit souvent de translocations équilibrées qui entrainent une recombinaison de deux gènes au point de cassure. Il y a donc formation d’un « gène de fusion » codant une protéine chimérique à l’origine de la prolifération maligne. Le diagnostic par FISH de ces remaniements géniques est réalisé par l’utilisation de sondes spécifiques du locus ou des gènes impliqués. C’est par exemple le cas des remaniements du gène MLL, gène remanié avec plus de 70 partenaires, localisé en 11q23, qui sont facilement détectés par l’utilisation d’une sonde comme l’indique la figure 6b.

2 . 1 . 1 . 3  -  Caractérisation d’anomalies chromosomiques détectées par caryotype

Une autre application majeure de la technique de FISH est la caractérisation d’une anomalie chromosomique décelée sur le caryotype. Parfois, l’observation des bandes chromosomiques ne permet pas d’interpréter certains remaniements qu’ils soient complexes ou non. Par exemple, l’origine de petits marqueurs surnuméraires non identifiables par les méthodes classiques peut se faire à l’aide de sondes centromériques. Les sondes de peinture qui marquent la totalité d’un chromosome sont également très utiles pour caractériser ces marqueurs ou d’autres types de remaniements complexes. Dans ces situations, les techniques de multifluorescence (SKY ou M-FISH) sont particulièrement indiquées (figure 6c).

2 . 1 . 1 . 4  -  Détection de translocations télomériques cryptiques équilibrées

Certaines translocations ne sont pas détectables par les techniques de bandes. C’est le cas lorsque les anomalies sont de petites tailles ou lorsque les segments échangés sont de même taille et même aspect. Les chromosomes dérivés ressemblent alors à ceux qui ne sont pas remaniés. Dans ces situations, la FISH sur métaphase avec des sondes de peinture ou des sondes télomériques peut être d’un grand intérêt. C’est fut le cas lors de la découverte de la translocation la plus fréquente associée aux leucémies aigües lymphoblastique de la lignée B de l’enfant : la t(12.21)(p13;q21) (2)

2 . 1 . 2  -  La FISH interphasique

La FISH interphasique est une technique qui s’est rapidement imposée car elle permet de s’affranchir de la culture cellulaire. En effet, les signaux d’hybridation générés par les sondes d’une taille de plus de 150 kb sont visibles sur les noyaux. Un plus grand nombre de cellules (les noyaux sont 10 à 50 fois plus nombreux que les métaphases sur une préparation de cellules cultivées) peuvent être ainsi étudiées. Ses applications concernent la détection d’anomalies chromosomiques associées à des pathologies constitutionnelles ou acquises. Parmi les principales applications, on peut citer le diagnostic prénatal des principales aneuploïdies, le diagnostic pré - implantatoire et celui des anomalies chromosomiques associées aux cancers.

2 . 1 . 2 . 1  -  Le diagnostic anténatal des anomalies chromosomiques

L'une des applications les plus connues de la FISH interphasique est le diagnostic des trisomies 13, 18 et 21 sur amniocytes non cultivées mise au point dès les années 1994 (11). À partir de cellules obtenues par ponction de liquide amniotique, l'hybridation de sondes spécifiques de loci des chromosomes 13, 18 et 21 permet en 24 heures, sans attendre 10 à 15 jours de culture, la détection d'une aneuploïdie impliquant ces 3 chromosomes (figure 7a).

2 . 1 . 2 . 2  -  Le Diagnostic pré-implantatoire des anomalies chromosomiques (DPI)

L’une des applications les plus spectaculaires de la FISH est certainement le diagnostic pré-implantatoire des anomalies chromosomiques (12). La situation la plus fréquente est celle où l’un des parents est porteur d'une translocation équilibrée (cela concerne 1 couple sur 300). La ségrégation méiotique peut générer des gamètes déséquilibrés à l'origine de trisomies ou de monosomies partielles conduisant, selon l'importance du déséquilibre génomique, à des fausses couches spontanées, des morts fÅ“tales in utéro ou des enfants présentant une DI et/ou des MC. Après fécondation in vitro, il est possible de prélever des blastomères d’une morula non compactée et de détecter par FISH les embryons porteurs d’un déséquilibre génomique. Pour cela, on utilise 3 sondes télomériques, dont deux spécifiques des télomères des segments chromosomiques transloqués. Comme le montre la figure 7b, l'étude du nombre de signaux après hybridation de ces sondes sur les deux blastocystes prélevés permet de repérer les embryons sans déséquilibre chromosomique.

2 . 1 . 2 . 3  -  La détection des anomalies chromosomiques récurrentes dans hémopathies malignes 

L'une des difficultés de l’étude chromosomique dans les hémopathies malignes est l'existence de mosaïcismes et de chromosomes très remaniés, peu reconnaissables. De plus, il peut être difficile dans certains types de cancers, d'obtenir un nombre de mitoses suffisant issues des cellules cancéreuses pour établir avec certitude un diagnostic. L'utilisation de la FISH en interphase est le moyen le plus facile dans ces situations pour détecter les anomalies chromosomiques spécifiques dont dépendent le diagnostic et le pronostic de l’hémopathie étudiée. Les remaniements du gène MLL dans les leucémies aiguës (voir paragraphe iii) peuvent facilement être recherchés sur noyaux en interphase comme le montre la figure 6b. Il existe des pathologies,dans lesquelles certaines équipes ne pratique que la FISH interphasique comme examen des chromosomes. C'est le cas des leucémies lymphoïdes chroniques pour lesquelles elles ne recherchent par FISH interphasique que les délétions des gènes P53, et ATM et du locus 13q14 ainsi que la trisomie 12, anomalies dont dépend le pronostic.

2 . 1 . 2 . 4  -  Le diagnostic des anomalies chromosomiques sur coupes tissulaires

Il est possible d'hybrider des sondes sur des coupes fines de tissus fixés par de la paraffine et sur des cellules obtenues par apposition de coupes de tissus congelés. Ces techniques de FISH sont d'une très grande utilité en fÅ“topathologie ou en pathologie cancéreuse, lorsqu'il n'est pas possible d'obtenir du tissu vivant ou des cultures du tissu concerné. La figure 7c montre la détection d'un remaniement du gène cMYC sur des coupes de ganglions d'un patient atteint d'un syndrome de Burkitt.

En résumé, la FISH sur métaphase est devenu le complément indispensable du caryotype. Sur noyau interphasique, elle permet de s’affranchir de la culture cellulaire Cependant, elle reste un examen ciblé du génome qui nécessite de connaître l'anomalie à rechercher

Notes
  1. Note : La récurrence de certains de ces remaniements est lié à l’architecture du génome car ils sont médiés par des structures génomiques appelées duplicons ou LCRs (Low copy repeats). Ces répétitions segmentaires correspondent à des séquences d’ADN de 10 kb à 400 kb de longueur, présentes en plusieurs copies dans le génome, espacés de 500 kb à 4 Mb et ayant une grande homologie de séquence (95-99%). Elles sont particulièrement présentes dans les régions centromériques et télomériques. Lors de la méiose, la grande homologie de séquence de ces blocs d’ADN favorise les recombinaisons homologues non-alléliques (NAHR). Ainsi, la région comprise entre deux duplicons de même orientation sera délétée ou dupliquée suite à cette recombinaison illégitime. Lorsque ce mécanisme est à l’origine d’un déséquilibre chromosomique, la taille du segment remanié est toujours identique entre les patients et les points de cassure se situent dans les duplicons. Ces remaniements sont appelés « désordre génomique », terme introduit par Lupski en 1998 pour désigner les pathologies qui résultent de ce mécanisme par opposition aux mutations géniques. Actuellement, le terme de « désordre génomique » s’applique aussi à des pathologies associées à des délétions chromosomiques qui ne répondent pas au mécanisme de NAHR.
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