Une patiente de 72 ans a été opérée pour remplacement valvulaire mitral 2 mois auparavant avec mise en place d’une prothèse à double ailette de Saint-Jude pour maladie mitrale rhumatismale. Elle est hospitalisée en urgence pour un accident neurologique : elle rapporte en effet une aphasie motrice transitoire survenue quelques heures plus tôt, totalement régressive en une vingtaine de minutes. Lorsque vous la voyez, l’examen neurologique est normal, l’auscultation cardiaque de la prothèse mitrale est également normale, sans souffle surajouté et des bruits normalement perçus. Elle ne présente aucun signe d’insuffisance cardiaque, la fraction d’éjection ventriculaire gauche préopératoire est à 40 %. La température est à 37°C. Le cliché de thorax montre un cœur augmenté de volume, une dilatation atriale gauche et une vascularisation pulmonaire normale. L’ECG est ci-dessous (attention 1/2 amplitude).
Cas clinique : Figure 1
Question
1
Quelles hypothèses diagnostiques formulez-vous chez cette patiente au sujet de l’aphasie transitoire ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
L’hypothèse d’un accident vasculaire cérébral ischémique est la plus probable et de type accident ischémique transitoire (AIT), la patiente ayant totalement récupéré après une vingtaine de minutes. Chez un porteur de prothèse valvulaire, la première étiologie à envisager est celle d’une thrombose de prothèse, ceci d’autant que la patiente était mal anticoagulée depuis plusieurs semaines (cf. infra). L’éventualité d’un AVC hémorragique favorisé par le traitement anticoagulant ne peut tout de même pas être exclue.
Question
2
Interprétez l’ECG.
Votre réponse :
Réponse attendue :
Hypertrophie ventriculaire gauche sévère car indice de Sokolow à 80 et anomalies secondaires de repolarisation (surcharge de type systolique). Fibrillation atriale car rythme irrégulièrement irrégulier avec disparition des ondes P remplacées par une trémulation de la ligne de base.
Question
3
L’INR est à 2,3 et comparable à celui des dernières semaines. Est-ce correct ? Justifiez votre réponse.
Votre réponse :
Réponse attendue :
L’INR n’est pas correct ; il est insuffisant. L’INR cible chez un porteur de prothèse valvulaire mécanique mitrale à double ailette de Saint-Jude est autour de 3. Cet INR cible est lié à la position mitrale de la prothèse, de plus la patiente est en fibrillation atriale, présente une dysfonction VG et a été opérée récemment (le risque de thrombose de prothèse est maximal dans les mois qui suivent l’intervention, avant que la prothèse ne soit endothélialisée).
Question
4
Demanderez-vous un échocardiogramme en urgence ? de quel type ? pourquoi ? Argumentez…
Votre réponse :
Réponse attendue :
Oui. ETT et ETO, l’ETO étant d’autant plus informative que la prothèse est en position mitrale (ETO moins contributive pour les prothèses aortiques). L’ETO est à demander systématiquement en cas de suspicion de thrombose ou d’autres dysfonctions de prothèse. L’échocardiogramme peut montrer un thrombus de taille variable, plus ou moins mobile, le plus souvent sur la face atriale de la prothèse, ou un thrombus intra-atrial gauche, notamment dans l’auricule en raison de la FA. Ce thrombus peut être obstructif (s’il gêne le jeu des ailettes) ou non obstructif (si le jeu normal des deux ailettes est respecté). Si le thrombus est obstructif, les gradients transprothétiques (maximal et moyen, mesurés au doppler continu à l’apex) sont augmentés et la surface utile de la prothèse est diminuée ; ces paramètres sont normaux en cas de thrombose non obstructive. En cas de thrombose obstructive, il peut exister une fuite intraprothétique (par exemple, si une ailette est bloquée en position d’ouverture). Eventuellement, mais c’est peu probable dans ce cas, signes en faveur d’une endocardite infectieuse : végétation, abcès périprothétique, désinsertion partielle de la prothèse…
Question
5
Quel(s) autre(s) examen(s) complémentaire(s) allez-vous demander en urgence ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
Un scanner cérébral ou au mieux une IRM, afin de préciser la nature, ischémique (scanner précoce habituellement normal dans ce cas) ou hémorragique de l’accident vasculaire cérébral. Des hémocultures et un bilan inflammatoire, bien que la patiente soit apyrétique, pour rechercher d’éventuels signes en faveur d’une endocardite infectieuse : NF, CRP, fibrine. Un écho-doppler des vaisseaux du cou, car l’AVC peut être lié à un athérome des artères cérébrales chez une patiente de 72 ans et non à une thrombose de prothèse.
Question
6
Quelle(s) thérapeutique(s) proposerez-vous en urgence ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
En urgence, mise sous héparine, avec maintien de l’AVK à plus forte posologie. Seule l’héparine non fractionnée (HNF), intraveineuse continue (500 UI/kg/j) ou sous-cutanée en deux injections quotidiennes (0,1 mL/10 kg, 2 fois/j), a l’AMM chez les porteurs de prothèse valvulaire cardiaque, sous contrôle du TCA et de l’héparinémie. Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) sont souvent utilisées de nos jours, car il existe des études confirmant leur efficacité dans cette indication, mais il s’agit alors d’une utilisation hors AMM, sous la responsabilité du prescripteur. Ne pas oublier de vérifier la numération plaquettaire 2 fois/semaine tant que la patiente est sous héparine. Poursuite de l’héparine jusqu’à l’obtention de 2 INR successifs en zone cible. Dans le cas de cette patiente sous AVK à 2,3, il n’y a lieu de discuter ni d’une thrombolyse (avec le risque de transformer une zone ischémique cérébrale en AVC hémorragique) ni d’une réintervention, car le contexte est en faveur d’une thrombose non obstructive ; ces thérapeutiques seraient à discuter en cas de thrombose obstructive de prothèse.
Question
7
Quel suivi proposerez-vous ultérieurement ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
Suivi régulier, mensuel par le médecin traitant et 1 à 2 fois par an par le cardiologue. Le suivi est clinique, échocardiographique et biologique : – suivi clinique : vérifier l’absence de récidive des symptômes, l’absence d’insuffisance cardiaque, l’auscultation de la prothèse (bruits métalliques des prothèses mécaniques ; absence de souffle de régurgitation), l’absence de foyer infectieux, car le porteur de prothèse est à risque majeur d’endocardite infectieuse ; – suivi échocardiographique : c’est l’échocardiographie du 3e mois postopératoire qui sert d’examen de référence, le patient devant toujours être son propre témoin. Ensuite, une échographie transthoracique est préconisée tous les 1 à 2 ans en l’absence de suspicion de dysfonction. Un échocardiogramme (ETT et ETO) doit être réalisé en urgence en cas de nouvelle suspicion de dysfonction de la prothèse ; – suivi biologique : le traitement AVK est à poursuivre à vie, sans aucune interruption, avec un objectif d’INR autour de 3. Les contrôles biologiques sont effectués aussi souvent que nécessaires pour équilibrer l’INR. Lorsque l’équilibre est obtenu, un contrôle mensuel est préconisé.