4  -  Réactions inflammatoires à corps étrangers

4 . 1  -  Définitions


Les réactions inflammatoires à corps étrangers constituent un ensemble de réactions inflammatoires déclenchées par une substance reconnue par l’organisme comme un corps étranger.

Il existe deux types de corps étrangers :

  • exogènes : qui peuvent être définis comme toute structure solide, massive, conglomérée ou particulaire, ou liquide, étrangère à l’organisme et ne correspondant pas à un germe ou à un parasite.
  • endogènes : toute structure endogène, préexistante ou néoformée déterminant une réaction inflammatoire de type résorptive.


La réaction inflammatoire à un corps étranger peut adopter trois aspects principaux. On peut observer :

  1. une réaction inflammatoire mineure voire absente ;
  2. une inflammation résorptive pure caractérisée par des macrophages et des cellules géantes de type Müller ;
  3. ou une inflammation granulomateuse impliquant les cellules de l’immunité et pouvant relever de mécanismes variés :
  • le corps étranger peut être antigénique ;
  • il peut le devenir sous l’action d’enzymes lysosomales macrophagiques en intracellulaire ;
  • ou induire des modifications des protéines de son environnement alors reconnues comme étrangères à l’organisme.

4 . 2  -  Absence de réaction inflammatoire ou réaction inflammatoire mineure

Absence de réaction inflammatoire

C’est le cas de nombreux médicaments solubles injectés dans les plans cutanés et musculaires. Tout au plus observe-t-on au site de l’injection une discrète réaction inflammatoire transitoire (congestion vasculaire, diapédèse leucocytaire) essentiellement liée au traumatisme de l’aiguille. Le produit étranger disparaît du site d’injection par résorption veineuse ou lymphatique, mais ceci ne préjuge pas de son élimination totale de l’organisme. Le produit lui-même ou son véhicule peuvent être stockés dans d’autres sites (thésaurismose à la polyvinylpyronidole, qui est un véhicule retard de certains médicaments).

D’autres substances, non médicamenteuses, sont quasiment inertes. Elles ne sont pas résorbées et ne provoquent pas de réaction inflammatoire commune ou de signification immunologique. C’est le cas de l’encre de Chine et de certains sels métalliques utilisés pour les tatouages.

Réaction inflammatoire mineure

Il s’agit ici de substances étrangères, massives, ne se fragmentant pas, non ou très peu accessibles à la corrosion, ne diffusant pas (typiquement représentées par les prothèses valvulaires, les prothèses articulaires et autres matériels de synthèse de type clou plaque). Ces matériaux vont déterminer une réaction inflammatoire mineure lors de leur mise en place ou secondairement par les microtraumatismes qu’ils déterminent, aboutissant simplement à une coque fibreuse périphérique, sans appel cellulaire.

Cependant, dans certaines circonstances, ces corps étrangers peuvent être à l’origine d’inflammations secondaires en rapport avec des modifications qu’ils induisent dans leur environnement : le corps étranger peut ainsi constituer une niche bactérienne, peu accessible aux antibiotiques, les germes pouvant se localiser au sein d’anfractuosités de la prothèse. L’asepsie et l’obtention de prothèses de plus en plus massives visent à lutter contre ce risque.

4 . 3  -  Inflammation résorptive pure : les granulomes macrophagiques

Si le corps étranger est de petite taille, son englobement est possible par un macrophage isolé. Quand les corps étrangers ont un certain volume, ils sont entourés par des macrophages qui vont souvent fusionner pour former des cellules géantes. Ces cellules de Müller (figure 3.30) ont des contours irréguliers qui se moulent sur le corps étranger et des noyaux disposés sans ordre dans le cytoplasme. Elles peuvent englober des corps étrangers relativement petits, mais s’accumulent à la surface des plus volumineux. Si le recrutement macrophagique constitue l’essentiel de la réaction à corps étrangers, il est souvent enrichi de plasmocytes et lymphocytes et fréquemment associé au développement d’une fibrose, parfois importante.

Figure 3.30. Cellules géantes de type Müller

Il est généralement facile de reconnaître le corps étranger libre ou phagocyté par les macrophages à l’examen direct ou en polarisation, mais le corps étranger peut parfois être dissous par la technique histologique.

Corps étrangers exogènes

L’inflammation

Elle se développe autour de corps étrangers habituellement xéniques ayant pénétré dans l’organisme volontairement (figure 3.31), accidentellement ou ayant été introduits à des fins médicales variées.
Exemples :

  • écharde de bois (figure 3.32), matériel de suture (résorbable), talc (figure 3.33) ;
  • implants divers (figure 3.34) ;
  • produits d’opacification utilisés en imagerie (baryte, lipiodol) ;
  • paraffinomes et oléomes : ils sont secondaires à l’injection (dans le derme ou les plans musculaires) ou à l’inhalation accidentelle de paraffine ou d’huile (figure 3.35). Le granulome macrophagique s’associe à une fibrose rétractile souvent marquée ;
  • produits de dégradation de matériels prothétiques et de scellage ; typiquement, à terme, au siège d’une prothèse de hanche, on peut observer :
    • du polyéthylène, sous forme de particules biréfringentes en polarisation, produit de l’érosion de la prothèse cotyloïdienne, suscitant une intense réaction macrophagique (figure 3.36),
    • l’empreinte du ciment (polyméthylmétacrylate), dissout par les solvants, sous forme de vacuoles rondes, ovales ou muriformes, bordées par des cellules géantes,
    • l’érosion des têtes métalliques se traduit par des fins dépôts granuleux, noirs, à l’origine d’une réaction macrophagique discrète (métallose) (figure 3.37).
Figure 3.31. Réaction inflammatoire à prédominance de macrophages au contact d’une « bille » de mercure injectée dans le derme dans un contexte de pathomimie.
Figure 3.32. Réaction à corps étrangers au contact d’une épine de rosier.
Figure 3.33. Talcome : intense réaction macrophagique à cellules géantes au contact de particules de talc
Figure 3.34. Inflammation résorptive macrophagique au contact de silicone issu d’une prothèse de silicone rompue.
Figure 3.35. Pneumopathie lipidique : cellules géantes plurinucléées au contact de vacuoles graisseuses inhalées, dans les alvéoles pulmonaires
Figure 3.36. Cellules géantes plurinucléées au contact de particules de polyéthylène dans le tissu périarticulaire d’une prothèse de hanche.
Figure 3.37. Métallose

Pneumoconioses

Ce sont des maladies pulmonaires induites par l’inhalation de poussières inorganiques qui stimulent la fibrose. Les petites particules de silice ou d’asbeste sont ainsi capables de produire une fibrose extensive. La silicose est l’exemple type de pneumoconiose. Après inhalation, les particules de silice sont ingérées par les macrophages alvéolaires et les pneumocytes. Les hydroxydes de silice à la surface des particules se lient avec les phospholipides membranaires et entraînent la mort des cellules. Les particules relarguées sont reprises par d’autres macrophages avec stockage dans l’interstitium pulmonaire et les ganglions. Ces macrophages stimulés libèrent des cytokines qui vont concourir à la constitution d’une fibrose. La lésion typique, le nodule silicotique, est constituée par un cœur de fibrose, à organisation tourbillonnante, plus ou moins tatoué de macrophages pigmentés en périphérie (figure 3.38). L’examen en polarisation met en évidence des particules biréfringentes (il s’agit surtout de silicate d’accompagnement, la silice cristalline est peu réfringente en polarisation).

Figure 3.38. Nodule silicotique.

Corps étrangers endogènes (exemples)

  • Les lipogranulomes sont des granulomes lipophagiques, hypodermiques, post-traumatiques, caractérisés par une accumulation au niveau de la zone de nécrose hypodermique de macrophages à cytoplasme micro ou macrovacuolisé fortement soudanophile et osmophile.
  • Les granulomes cholestéroliques consistent en des enclaves fasciculées de cristaux de cholestérol suscitant une réaction inflammatoire macrophagique au sein de foyers de nécrose (classiquement observés dans les plaques d’athérome et les nodules de la thyroïde) (figure 3.39).
  • L’irruption dermique (souvent post-traumatique) du contenu d’un follicule pilosébacé ou d’un kyste annexiel peut entraîner la constitution d’un granulome à corps étranger, secondaire à la résorption de débris pilaires (figure 3.40), de kératine ou de sébum. Ces granulomes ont la particularité de débuter souvent par une phase d’inflammation aiguë et d’évoluer vers la formation de cicatrices fibreuses.
  • Tophus goutteux : ils sont constitués d’amas de fines aiguilles (cristaux d’urate) disposées parallèlement au centre du tophus, entourées d’un feutrage fibrillaire avec nombreuses cellules géantes en périphérie (figure 3.41).
Figure 3.39. Granulome cholestérolique : macrophages au contact de cristaux de cholestérol au sein d’un foyer de nécrose
Figure 3.40. Résorption de fragments de gaine pilaire par des macrophages dans un contexte de folliculite.
Figure 3.41. Tophus goutteux : accumulation de macrophages en périphérie des dépôts d’urate de sodium

4 . 4  -  Réactions inflammatoires à corps étranger mettant en jeu les mécanismes d’hypersensibilité

Les mécanismes sous-tendant cette modalité de réponse à certains corps étrangers sont discutés et probablement fonction de la nature du corps étranger. Ils mettraient en jeu des réactions d’hypersensibilité de type III ou IV.

Les corps étrangers en cause déterminent des granulomes avec, typiquement, participation de lymphocytes, de cellules épithélioïdes et de cellules géantes de type Langhans.

  • Granulomes induits par des sels métalliques : les sels de zirconium contenus dans certains déodorants, et le béryllium (pénétration cutanée par des éclats microscopiques issus de l’explosion d’un tube à lumière fluorescente) peuvent induire des granulomes à cellules épithélioïdes et à cellules géantes et sont souvent associés à une fibrose. L’inhalation de béryllium, dans un contexte de maladie professionnelle, donne lieu à de multiples granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires pulmonaires, réalisant un tableau identique à celui d’une sarcoïdose (figure 3.42).
  • Poumons à précipitine (figure 3.43) : un corps étranger externe inhalé (allergène) entraîne une réaction immunitaire avec formation d’immuns complexes dans l’interstitium pulmonaire. Les immuns complexes vont être résorbés par des cellules géantes déterminant la formation de multiples petits granulomes pouvant évoluer vers une fibrose.
  • Des granulomes épithélioïdes à disposition palissadique peuvent également se constituer autour d’épines de cactus et d’aiguilles d’oursin introduites dans le derme et au contact d’implant de collagène.
  • Enfin, les morsures d’arthropodes ayant laissé des pièces chitineuses dans le revêtement cutané ou certains vaccins contenant un véhicule retard non résorbable à base d’aluminium peuvent réaliser des réactions inflammatoires lymphocytaires prépondérantes à type de pseudolymphome cutané (figure 3.44).
Figure 3.42. Bérylliose pulmonaire : présence de nombreux granulomes épithélioïdes et gigantocellulaires, dans l’interstitium pulmonaire, simulant une sarcoïdose
Figure 3.43. Pneumopathie d’hypersensibilité : petit granulome macrophagique dans l’interstitium pulmonaire
Figure 3.44. Réaction inflammatoire lymphocytaire hypodermique prépondérante à type de pseudolymphome cutané, au site d’injection d’un vaccin contenant un véhicule retard non résorbable à base d’aluminium.
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