Les traitements anticoagulants, en premier lieu les antivitamines K (AVK), permettent de prévenir la survenue d’événements thromboemboliques dans de nombreuses situations. En France, près de 600 000 patients, soit 1 % de la population, étaient traités par AVK en 2002. La survenue d’un saignement sous anticoagulant est un événement fréquent et grave, ce qui en fait une situation redoutée et dont la prise en charge doit être bien codifiée. Le surdosage en AVK est la première cause d’hospitalisation iatrogène en France (17 000/an). L’incidence annuelle des saignements majeurs imputée aux AVK est estimée à 7 % ; celle des saignements fatals à 1 %. Les événements hémorragiques ne sont pas l’apanage des seuls AVK, puisqu’on les observe aussi avec les héparines non fractionnées (HNF), les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), le fondaparinux et les nouveaux anticoagulants oraux (dabigatran et rivaroxaban). L’incidence des accidents hémorragiques et des décès liés au traitement héparinique varie selon les études de 0 à 7 % (0 à 2 % de décès) avec les HNF et de 0 à 3 % (0 à 0,8 % de décès) avec les HBPM. L’incidence des événements hémorragiques et leur mode de prise en charge varient en fonction du type d’anticoagulant.

1  -  Syndrome hémorragique sous anticoagulant

1 . 1  -  Diagnostiquer un accident des anticoagulants

La priorité est de reconnaître la gravité de l’hémorragie. Celle-ci est définie par la présence d’un des critères suivants :

  • abondance du saignement, appréciée notamment sur le retentissement hémodynamique (examen clinique, prise de pression artérielle) et l’hématocrite : le patient présente une instabilité hémodynamique si la pression artérielle systolique (PAS) est inférieure à 90 mmHg ou diminuée de 40 mmHg par rapport à la PAS habituelle, ou si la PAM est inférieure à 65 mm Hg, ou devant tout signe de choc ;
  • localisation pouvant engager un pronostic vital (système nerveux central, hémopéritoine) ou fonctionnel (œil, syndrome des loges) ;
  • hémorragie non contrôlable par les moyens usuels ;
  • nécessité d’une transfusion de concentrés érythrocytaires ;
  • nécessité d’un geste hémostatique en urgence.

1 . 2  -  Conduite à tenir en cas de surdosage aux AVK

Lors d’un traitement par AVK, la prise en charge d’un surdosage devra tenir compte de la demi-vie de l’AVK utilisé, de l’indication (en particulier en cas de valve mécanique, pour laquelle une correction totale de l’INR [international normalized ratio] est redoutée) et des caractéristiques propres au malade (âge, risque hémorragique…). Les mesures de correction proposées sont progressives pour ne pas provoquer un risque de thrombose. La conduite à tenir est fonction de l’INR, de la présence d’une hémorragie et de sa gravité.

  • Les mesures correctrices recommandées aujourd’hui (www.has-santé.fr) en cas de surdosage asymptomatique aux AVK sont fonction de l’INR mesuré et de l’INR cible (tableau 1).
    Dans tous les cas :
    • un contrôle de l’INR doit être réalisé le lendemain. En cas de persistance d’un INR suprathérapeutique (trop élevé), les attitudes précédemment décrites seront reconduites ;
    • la cause du surdosage doit être identifiée et prise en compte dans l’adaptation éventuelle de la posologie.
  • La présence d’une hémorragie grave, ou potentiellement grave (traumatisme crânien), définie selon les critères précédemment cités, nécessite une prise en charge hospitalière. La conduite à tenir recommandée inclut les étapes suivantes :
    • nécessité d’un geste hémostatique chirurgical, endoscopique ou endovasculaire : à discuter rapidement avec les chirurgiens et les radiologues (et après administration de l’antidote) ;
    • restauration d’une hémostase normale dans un délai le plus bref possible (quelques minutes) : objectif d’un INR inférieur à 1,5. Pour cela, il faut :
      • arrêter la prise de l’AVK ;
      • administrer en urgence un antidote rétablissant immédiatement une coagulation normale, à savoir un concentré de PPSB (Prothrombine, Proconvertine, facteurs Stuart, facteur antihémophilique B appelé aussi CCP, concentré de -complexe prothrombique = fraction coagulante extraite du plasma et contenant de la proconvertine ou facteur VII, de la prothrombine ou facteur II, du facteur Stuart ou facteur X et du facteur antihémophilique B ou facteur IX (25 UI/kg, 1 ml/kg) et de la vitamine K (10 mg) per os ou intraveineuse lente. Le PPSB corrige immédiatement le déficit de coagulation, mais de façon non durable du fait de la demi-vie courte des facteurs injectés. L’effet antidote de la vitamine K est plus tardif (6 à 12 heures selon le mode d’administration), mais plus prolongé ;
      • assurer simultanément le traitement usuel d’une éventuelle hémorragie massive (correction de l’hypovolémie, transfusion de concentrés érythrocytaires, si besoin…) ;
      • reprendre le traitement par AVK dans un délai établi en fonction du risque de récidive hémorragique et du risque thrombotique. En cas d’administration de vitamine K à dose élevée, il faut s’attendre à ce que le patient devienne résistant aux AVK pendant au moins une semaine. S’il existe un risque thrombotique, le recours à un médicament anticoagulant de type HNF ou HBPM sera donc proposé, en adaptant la durée de ce traitement à l’état de résistance du patient.
Tableau 1 : Surdosage aux AVK : conduite à tenir
     Mesures correctrices  
   INR mesuré      INR cible 2,5      INR cible ≥ 3,5  
   INR < 4      Pas de saut de prise Pas d’apport 
   de vitamine K  
   Diminuer la dose d’AVK  
 
   4 ≤ INR < 6      Saut d’une prise Pas d’apport de 
   vitamine K  
   Pas de saut de prise Pas d’apport de vitamine K  
   6 ≤ INR < 10           Arrêt du traitement 1 à 2 mg de 
   vitamine K  par voie orale  
   Saut d’une prise Un avis spécialisé est recommandé pour discuter
   un traitement éventuel par 1 à 2 mg de vitamine K par voie orale  
   INR ≥ 10      Arrêt du traitement 5 mg de 
   vitamine K par voie orale  
   Un avis spécialisé sans délai ou une hospitalisation sont recommandés  

1 . 3  -  Conduite à tenir en cas de saignement par ou sous héparine

Le risque hémorragique du traitement par HBPM est presque aussi important que celui induit par une HNF. Ce risque est lié à la dose administrée et il est aggravé en cas d’insuffisance rénale même modérée, en raison d’une possible accumulation du médicament. L’antidote est le sulfate de protamine, dont 1 ml neutralise 100 U d’HNF. La neutralisation d’une HBPM par le sulfate de protamine est incomplète, car il neutralise principalement l’activité anti-IIa. Après administration de sulfate de protamine chez un malade traité par HBPM, il persiste ainsi une activité anti-Xa résiduelle, laquelle n’est pas neutralisable. Un surdosage important en protamine induit un risque de saignement. La protamine peut entraîner une bradycardie et une hypotension.

Dans le calcul de la dose, il faut tenir compte de la dose d’héparine administrée et de la quantité d’héparine encore en circulation au moment où l’hémorragie est détectée. Il convient de rappeler que la demi-vie de l’HNF est d’environ 1,5 heure lorsqu’elle est administrée par voie intraveineuse, et celle des HBPM par voie sous-cutanée d’environ 4 heures.

1 . 4  -  Autres anticoagulants

Les nouveaux anticoagulants, comme les héparines et les AVK, induisent un risque hémorragique. Il faut retenir que le fondaparinux, pentasaccharide de synthèse, ne peut pas être neutralisé par le sulfate de protamine. Aucun antidote spécifique n’est disponible pour ce produit, ni pour les nouveaux anticoagulants oraux, dabigatran et rivaroxaban.

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