3  -  Démences

La démence est la plus grave des transformations  qui  atteignent  l'être  humain vieillissant.

Le syndrome démentiel se définit comme étant une détérioration globale des fonctions cognitives chez une personne ayant un état de conscience normal. La survenue et  l'évolution  sont  progressives.  Les troubles sont irréversibles. Un syndrome démentiel correspond à la période d'état de pathologies multiples ayant des évolutions précliniques de durées inconnues.

Les causes des syndromes démentiels sont dominées par les maladies neurologiques dégénératives dont la principale est la maladie d'Alzheimer. L'apparition de traitements actifs dans cette affection justifie que l'on préconise un diagnostic précoce. Une stratégie intelligente de prise en charge limite les risques d'évolution catastrophique du malade mais aussi de son entourage. Les aspects  sociaux,  sociologiques,  psychologiques et médico-légaux font partie de la prise en charge. La démence est le problème majeur de santé publique en gériatrie.

3 . 1  -  La Maladie d'Alzheimer

La maladie d'Alzheimer (MA) représente 60 % des causes de démence en Europe. Elle a été décrite sur le plan clinique et histologique par Aloïs Alzheimer en 1906.

Elle est caractérisée par une perte neuronale prédominant dans le cortex temporal et  l'hippocampe,  des  dégénérescence neurofibrillaires et des plaques séniles en grand nombre. Les unes sont principalement formées de protéines  tau anormalement phoshorylées et les autres de la protéine amyloïde insoluble.

L'acétylcholine  est  le  neuromédiateur  le plus diminué dans la MA. Les médicaments récents disponibles visent à maintenir le taux d'acétylcholine résiduel en inhibant l'enzyme de dégradation, l'acétylcho- linestérase. A l'inverse les médicaments ayant un effet anticholinergique, aggravent ou révèlent sous la forme d'un état confusionnel, la symptomatologie de la MA.

Les facteurs de risque


Les mécanismes intimes de la MA sont encore inconnus. Parmi les facteurs de risque, le plus important est l’âge. Le second facteur est l’existence d’antécédents familiaux de la maladie. Deux mécanismes  participent  à  la  plus grande fréquence de la maladie d’Alzheimer dans certains familles : d’une part l’existence de mutations portant sur le gène de la préséniline 1, de la préséniline 2 et d’autre part des mutations sur le gène de l’APP (amyloid pro tein precursor). La présence du génotype 4 de l'apolipoprotéine E est un facteur de risque puissant au niveau d’une population mais il ne peut être considéré  comme  un  argument  diagnostique individuel. Les facteurs biographiques et environnementaux existent aussi. D’autres facteurs de risque ont été décrits tels qu’un faible niveau socioculturel, des antécédents psychiatriques  en  particulier  dépressifs,  un traumatisme  crânien,  l’aluminium.  A l’inverse, certains facteurs protecteurs sont suggérés tels qu’un traitement par anti -inflammatoires  non  stéroidiens , par anti-oxydants, par oestrogènes. Par ailleurs, une consommation modérée de vin a été associée à une plus faible incidence  de  la  MA  dans  l’étude Paquid. Les personnes inquiètes et les familles sont à l'affût de ces informations publiées par les médias. Le médecin doit en faire la lecture critique et donner les commentaires adaptés.

Démarche diagnostique au stade débutant ou modéré

Aux stades de début et modéré, la maladie  d'Alzheimer  est  caractérisée  par l'installation  de  troubles  intellectuels portant sur la mémoire, les fonctions exécutives,  le  langage,  la  cognition, les praxiesDéfinitionCapacité d’exécuter sur ordre des gestes orientés vers un but déterminé alors que les mécanismes d’exécution sont conservés. Mouvement coordonné normalement vers un but suggéré. Autrement dit il s’agit de la coordination de l’activité gestuelle, résultat d’une activité des centres nerveux supérieurs dépendant de l’action qui s’exerce sur le corps ou sur le monde environnant et les objets qui lui appartiennent.. Différents signes doivent alerter l’attention du médecin et per- mettre de suspecter une maladie d’Alzheimer. Les manifestations les plus pré- coces et les plus fréquentes sont des troubles de mémoire portant sur les faits récents (détails de la vie quotidienne, emplacement d’objets, nom de personnes peu familières), puis les faits anciens  (personnages  connus,  dates historiques, dates d’anniversaires des enfants, du mariage, de naissance) et des  modifications  du  comportement (perte d’initiative, apathie, symptômes dépressifs)  qui  s’accompagnent  d’un retentissement sur les activités de vie quotidienne.

Au fur et à mesure, s'ajoutent :

• une  désorientation  temporo - spatiale, le premier signe qui doit faire penser à la maladie d’Alzheimer est la désorientation dans le temps. Elle se traduit par une difficulté à retenir la date du jour. La désorientation dans  l’espace  est  habituellement plus tardive mais aussi plus spécifique. Elle se traduit au début par des difficultés à fixer le nom des
lieux où se trouve le patient lorsqu’ils  lui  sont  inhabituels.  A  un stade plus avancé, l’interrogatoire de l’entourage peut révéler des difficultés à s’orienter dans un lieu non familier  au  patient  (par  exemple, dans une grande surface, ou lors d’un trajet en voiture inhabituel).
• des troubles des fonctions exécutives font appel à la capacité du patient à organiser et réaliser une tâche cognitive plus ou moins complexe nécessitant un plan de travail.
Dans la vie quotidienne, ces troubles exécutifs se traduisent par exemple par des difficultés à remplir correctement sa déclaration d’impôts ou bien à planifier un trajet nécessitant plusieurs correspondances à partir d’un plan du métro.
• des troubles du langage caractérisés au début par l’oubli des mots ou aphasieDéfinitionL'aphasie, parfois appelé mutisme dans le langage populaire, est une pathologie du système nerveux central, due à une lésion caractéristique d'une aire cérébrale. Le mot aphasie vient du grec phasis (parole) et signifie « sans parole. Ce terme a été créé en 1864 par Armand Trousseau. Depuis cette époque, le mot a pris du sens, en désignant un trouble du langage affectant l'expression ou la compréhension du langage parlé ou écrit survenant en dehors de tout déficit sensoriel ou de dysfonctionnement de l'appareil phonatoire. amnésique.
• des troubles praxiques (difficultés d’utilisation d’appareils ménagers).
• des troubles gnosiques marqués initialement par des difficultés à reconnaître des symboles abstraits tels que des logos ou des panneaux routiers,  puis  des  personnes  ou  des objets peu familiers.

Il n'y a pas d'atteinte de la vigilance et de  la  motricité.  Il  peut  exister  des troubles affectifs ou du comportement associés à la démence : troubles de l'humeur sous la forme d'un changement de caractère, d'épisodes d'agressivité ou de dépression, de jalousie, d'idées de persécution, de passivité. Les hallucinations sont rares.

L'évaluation des fonctions mentales se fait  dans  un  premier  temps  en recueillant les éléments évoqués ci-dessus. Habituellement le malade se plaint moins  que  son  entourage,  ce  qui témoigne d'une anosognosieDéfinitionEn médecine, l’anosognosie est considérée comme un trouble neuropsychologique. Elle désigne la méconnaissance par l’individu de sa maladie ; de son état, même grave ; de la perte de capacité fonctionnelle dont il est atteint, particulièrement, dans le cas d'affections comme la cécité, l'hémiplégie, ou le membre fantôme..

Le  diagnostic  repose  essentiellement sur la reconstitution de l'apparition des troubles, par l'interrogatoire du malade et des proches.

Evaluation standardisée

Une première évaluation standardisée globale des fonctions cognitives peut être faite par le test de Folstein ou Mini Mental  State  Examination  (MMSE) dont la passation dure une dizaine de minutes.  C'est  un  test  de  dépistage accessible à tout praticien. Le score de 24/30 constitue le seuil devant faire suspecter une atteinte déficitaire. L'interprétation du score au MMSE doit être prudente.  En  effet,  un  haut  niveau d'éducation, permet de maintenir un score supérieur au seuil tout en ayant une atteinte pathologique évidente. A l'inverse, un faible niveau intellectuel, désavantage  certaines  personnes  et crée de faux positifs. Rappelons enfin que  lors  d'un  état  confusionnel (exemple  :  imprégnation  éthylique aiguë chez un sujet jeune), il y a des chances que le score de Folstein soit inférieur à 24 !

Pour un même malade, le MMSE permet un suivi comparatif. En cas de maladie d'Alzheimer, on observe une perte  moyenne  de  trois  points  par année.

L'existence de symptômes évocateurs d'installation progressive et un score de MMSE inférieur à 24, font évoquer un syndrome démentiel. Il serait cependant abusif et dangereux sur ces seuls éléments de conclure à ce stade à ce diagnostic et encore plus de spécifier qu'il s'agit d'un Alzheimer.

En pratique, certaines épreuves simples peuvent être proposées comme :
• résoudre  un  problème  d’arithmétique simple (Vous achetez 7 enveloppes à 20 centimes. Vous payez avec une pièce de 5 F. Combien doit- on vous rendre ?).
• faire une épreuve de fluence verbale. On demande au patient de dire en 1  minute  des  noms  d’animaux (fluence verbale catégorielle) ou des mots communs débutant par la lettre M (fluence verbale alphabétique ou littérale) qu’il connaît. Une fluence verbale inférieure à 15 pour les noms d’animaux, ou inférieure à 10 pour les mots débutant par la lettre M, est suspecte.

Parmi les troubles praxiques, l’apraxie constructiveDéfinitionL'apraxie constructive est un trouble visuo-spatial qui se traduit par une difficulté à définir les relations des objets entre eux. Elle est souvent associée à une aphasie de Wernicke. est plus précoce. Une des épreuves  les  plus  sensibles  pour  la mettre en évidence est le test de l’horloge. On demande au patient de dessiner le cadran d’une horloge d’indiquer sur ce cadran toutes les heures, puis la petite et la grande aiguille qui marquent 16 heures 45. Les premières perturba- tions à cette épreuve sont des erreurs de positions des chiffres de l’horloge, une confusion entre la petite et la grande aiguille, et une erreur de position de la petite aiguille (qui doit être plus proche de 5h que de 4h). L’apraxie constructive peut être également mise en évidence en demandant au patient de dessiner un cube en perspective. Cette épreuve est cependant moins sensible que ne l’est le test  de  l’horloge,  et  sa  réalisation dépend du niveau culturel du patient.

Diagnostic

Ces tests doivent être complétés par une évaluation multidimensionnelle qui permet de faire le diagnostic de la maladie d’Alzheimer et de définir les orientations thérapeutiques. Cette évaluation pourra avoir lieu dans un centre expert, par exemple dans le cadre d’un hôpital de jour, et comportera :

• Une anamnèse recueillie auprès du patient et de son entourage. Il est également important de connaître les  médicaments  ingérés  par  le patient.  Des  questionnaires  sont remplis par le patient et l’entourage pour préciser l’intensité et les répercussions des troubles de mémoire. Par ailleurs, la famille remplit un questionnaire évaluant le retentissement sur les activités de vie quotidienne qui comportent d’une part les activités de base (toilette, repas...), d’autre part les activités plus complexes (prendre les médicaments, les transports  en  commun,  gérer  ses finances, etc...).

• Un examen somatique en particulier neurologique qui ne montre rien en dehors de signes qui seraient liés à d'autres pathologies

• Un entretien psychologique ou psychiatrique est indispensable afin de préciser la personnalité du patient, le  contexte  familial  et  environnemental. Il permet de préciser l’exis- tence de pathologies psychiatriques antérieures éventuelles, ainsi que les éventuels  signes  psychiatriques actuels.

• L’évaluation psychométrique permet de  confirmer  et  de  qualifier  les troubles. Elle dure 1h30 à 2 h. et est réalisée par des médecins ou des psychologues expérimentés. Il existe une  grande  quantité  de  tests  qui  permettent  d'explorer  de  façon approfondie la mémoire, le langage, les  gnosies,  les  praxies  gestuelles  et constructives, les fonctions exécutives.  L’évaluation  comportera  des épreuves de mémoire verbale test de Grober et Buschke - tableau 4), de mémoire visuelle (reproduction de la figure de Rey, test de Benton),  de  mémoire  associative (épreuve des mots couplés de Weschler), de mémoire logique (épreuve du récit de Weschler), ainsi que des érreuves  appréciant  les  fonctions exécutives  (Trail  Making  Test , épreuve de barrage, test de Stroop, test des cubes de la WAIS).
Lors de l’évaluation neuropsychologique,  le  patient  doit  porter  ses lunettes et ses prothèses auditives si besoin. Le niveau socioculturel du patient doit être connu pour inter-préter les résultats des tests neuropsychologiques.

• Des examens biologiques (Numération Formule Sanguine,CRP, ionogramme sanguin, glycémie à jeûn, bilan hépatique, dosage de TSH, de calcémie,  de  vitamine  B12,  des folates voire gaz du sang selon le contexte.) vérifient l’absence de facteurs somatiques, en particulier dysthyroïdie, anémie significative, syndrome  d'apnée  du  sommeil, hyperparathyroïdisme  susceptibles de participer aux troubles cognitifs.

• Un  examen  tomodensitométrique cérébral,  voire  une  imagerie  par résonance  magnétique  en  cas  de doute sur l’existence de lésions vasculaires  permet  d’éliminer  des
causes de démence “curable” (hématome  sous-dural,  hydrocéphalie  à pression  normale,  tumeur  cérébrale).  L’existence  d’une  atrophie hippocampique est un bon signe en faveur de la maladie d’Alzheimer.

• En  fonction  du  contexte,  certains examens pourront être demandés : sérologies  syphilitiques  et  VIH, ponction lombaire permettant une analyse du LCR lorsqu’une affection systémique inflammatoire et/ou dysimmunitaire est  suspectée,  EEG lorsque le tableau est atypique.

• La  tomoscintigraphie  d’émission monophotonique  (SPECT)  permet d’étudier le débit sanguin cérébral. Un hypodébit pariétal ou bipariétotemporal  est  fortement  évocateur
d’une MA. Ses indications sont du domaine du spécialiste. La tomographie par émission de positons (PET) a une précision topographique supérieure à celle du SPECT et permet une mesure absolue du métabolisme cérébral.  Elle  reste  limitée  au domaine de la recherche. La spectroscopie  par  résonance  magnétique fait également l’objet de travaux de recherche.

Tableau 4 : Test de Grober et Buschke
Ce test permet de différencier un trouble de l'évocation d'un déficit de l'encodage. Dans la maladie d'Alzheimer, les déficits mnésiques portent non seulement sur les mécanismes de rappel de l'information comme dans les troubles bénins du sujet âgé ou les dépressions mais également sur les mécanismes d'encodage. Les processus de facilitation du rappel n'améliorent que peu ou pas les performances mnésiques.

L'indiçage consiste à donner un indice généralement  la  catégorie  sémantique  à  laquelle appartient le mot que le patient doit retrouver. Par exemple, quel est le nom de la fleur si l'item cible est une jonquille. Le fait que le patient retrouve le mot après indiçage montre que ce dernier a bien été encodé et stocké. Ceci oriente vers un trouble de l'évocation ou trouble de l'accès au stock mnésique survenant au cours des états dépressifs. L'absence d'amélioration du rappel en indiçage évoque un déficit d'encodage caractéristique d'une maladie d'Alzheimer. Par ailleurs, la présence d'intrusions (le patient cite d'autres mots appartenant à la catégorie sémantique : par exemple tulipe, rose) est également en faveur d'une maladie d'Alzheimer.

Le  patient  peut  également  bénéficier  d'une épreuve de reconnaissance. Une liste de mots parmi lesquels figurent les mots présentés initialement ainsi que des mots nouveaux est présentée au patient. La reconnaissance correcte des mots cible témoigne d'une difficulté d'évocation et non d'un trouble de l'encodage. La production  de  reconnaissances  erronées  (le patient croit reconnaître un item cible alors qu'il s'agit d'un mot distracteur) ou de fausses reconnaissances est en faveur d'une maladie d'Alzheimer.

Le diagnostic de maladie d’Alzheimer est fait selon les critères du DSM IV (tableau  5).  L'utilisation  des  critères définis par le National Institute of Neurological  Disorders  and  Stro k e (NINCDS) et l'Alzheimer Disease and Related  Disorders  Association (ADRDA) permet de retenir le diagnostic de maladie d'Alzheimer possible ou probable avec une probabilité comprise entre 90 et 95% (tableau 6).

L’évaluation doit également prendre en compte les aspects somatiques, psychologiques, fonctionnels et sociaux chez la personne  âgée.  L'étape  suivante consiste à évaluer les modalités évolutives de la maladie et à apprécier les capacités épargnées qui doivent être mises en valeur afin de retarder l'évolution des troubles. Elle permet d’évaluer le stade (léger, modéré ou sévère) de la maladie.  Il  est  également  important d’apprécier l'impact de la maladie sur la vie affective et relationnelle du patient.
Cette évaluation, qui s'aide notamment de  tests  psychométriques  et  des échelles d'évaluation, est faite régulièrement pour guider la prise en charge à chaque étape de la maladie.

Tableau 5 : Critères de définition de la maladie d'Alzheimer selon le DSM IV
Tableau 6 : D’après les critères NINCDS-ADRDA de maladie d'Alzheimer
Possible

Syndrome démentiel isolé
Troubles cognitifs progressifs
Peut être associé à une autre affection systémique ou cérébrale

Probable

Syndrome démentiel cliniquement confirmé
Aggravation progressive dans au moins deux domaines cognitifs
Perturbation des activités de la vie quotidienne et troubles du comportement
Absence  d'autre  affection  systémique  ou cérébrale

Certaine


Probable, plus preuve histologique (biopsie ou autopsie)
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