Dossier clinique : 0024 - Auteur : - CHU d'Amiens

Un homme de 81 ans vous est adressé pour asthénie et pâleur, d’aggravation progressive depuis 6 mois. L’interrogatoire ne retrouve pas de facteur déclenchant particulier, mais le patient signale une dyspnée à la montée d’un étage depuis 2 mois environ. Il n’a pas d’antécédent particulier, et ne prend comme seul médicament qu’un Stilnox le soir. A l’examen clinique, vous retrouvez une tachycardie régulière à 110/ mn au repos, un souffle systolique 2/6 maximum au foyer aortique, avecB1 et B2 conservé, sans composante diastolique. Le patient est apyrétique. Le reste de l’examen clinique est normal. Le patient n’a pas d’autre plainteque l’asthénie et la dyspnée d’effort. Vous demandez une numération formule sanguine, dont voici les résultats: Leucocytes: 9500/mm3, Hématies 2.106/mm3, hémoglobine 8,3 g/dl, VGM 70 fl, CCMH 25 %, TCMH 22 pg, plaquettes 550000/mm3, polynucléaires neutrophiles 75%, éosinophiles 1%, basophiles 0%, lymphocytes 18%, monocytes 6%. La radiographie pulmonaire est normale par ailleurs.
 
Sommaire du dossier 0024

Question 1
Commentez les résultats de la numération formule en expliquant et justifiant sur la base de ces résultats tous les termes de description
    Réponse :

    Il existe une anémie (hémoglobine < 130 g/l), microcytaire (volume globulaire moyen < 80 fl), hypochrome (concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine < 32 %, teneur corpusculaire moyenne < 29 pg). Cette anémie est associée à une thrombocytose modérée (plaquettes > 300000/mm3).
    La lignée leucocytaire est normale (leucocytes totaux compris entre 4000 et 100000/mm3, polynucléaires neutrophiles à 7100 compris entre 1500 et 8000, éosinophilies à 95 < à 300 ou 500 –la norme peut varier selon les laboratoires-, lymphocytes à 1710 compris entre 1500 et 4000, monocytes à 570<1500).

    Total des points de la question : 22
Question 2
A quel type d’anomalies hématologiques ces résultats peuvent-ils correspondre ? Hiérarchisez-les en fonction du contexte, du plus probable au moins probable, en justifiant votre réponse.
    Réponse :

    •Une anémie microcytaire et hypochrome peut correspondre en premier lieu à une anémie ferriprive: l’origine de l’anémie ferriprive chez un homme de cet âge est le plus souvent digestive, et il faudra rechercher avant tout une lésion gastrique (ulcère ou éventuellement néoplasme), duodénale (ulcère, toujours bénin), oesophagienne (hémorragie suintante sur hernie hiatale, ulcérations sur varices oesophagiennes…) ou une lésion colique (néoplasme colique avant tout, mais une diverticulose ou une angiodysplasie peuvent également être sources d’hémorragie). Les lésions du grêle sont par contre tout à fait exceptionnelles.
    •En deuxième lieu, une anémie microcytaire hypochrome peut correspondre à une anémie inflammatoire, quelle que soit la cause du syndrome inflammatoire (cause infectieuse, maladie systémique, cancer profond) à condition qu’il soit chronique (une inflammation aiguë, comme une angine par exemple, ne donne pas d’anémie inflammatoire).
    •Un tel profil pourrait aussi correspondre à une beta-thalassémie mineure (hétérozygote), mais cela est peu probable car elle aurait sans doute été découverte avant d’âge de 81 ans, et la symptomatologie du patient s’est développée et accentuée en 6 mois: il s’agit dons très vraisemblablement d’une anémie acquise, pouvant correspondre aux deux premiers mécanismes.
    •La thrombocytose modérée peut aussi être interprétée de deux façons: elle peut être réactionnelle à un saignement chronique(Cf paragraphe sur l’anémie ferriprive), ou être témoin d’un syndrome inflammatoire (Cf paragraphe sur anémie inflammatoire). Elle a très peu de chances d’être essentielle (il s’agit d’une thrombocytose modérée, elle est associée à une anémie sans aucune altération de la lignée blanche par ailleurs).

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Question 3
Quels examens complémentaires biologiques demandez-vous pour asseoir votre diagnostic? Hiérarchisez le cas échéant, et justifiez vos choix en expliquant ce que vous attendez de ces examens.
    Réponse :

    •Une numération des réticulocytes confirmera le caractère arégénératif de l’anémie s’ils sont inférieurs à 80000/mm3.
    •Dans le cadre de l’exploration d’une anémie ferriprive, on demandera un dosage de ferritine : le fer sérique et un coefficient de saturation de la sidérophilinepeuvent être demandés, mais ne sont pas recommandés par l’ANAES).
    Ces trois valeurs doivent être abaissées dans une anémie ferriprive.
    •Dans le cadre de l’exploration d’un syndrome inflammatoire, seront demandés une VS, une CRP, éventuellement un profil protéique (facultatif). La ferritine est augmentée dans un syndrome inflammatoire (contrairement à l’anémie ferriprive), le fer sérique et le coefficient de saturation sont modérément abaissés.

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Question 4
Vos examens biologiques vous orientent vers une étiologie carentielle. Quels examens paracliniques demandez-vous pour en trouver l’étiologie et quelle est l’étiologie la plus probable? Les diagnostics différentiels ?
    Réponse :

    •L’étiologie carentielle d’une anémie microcytaire, hypochrome est la carence en fer. Les causes les plus fréquentes sont d’origine digestive, colique tout d’abord, gastro-duodénale ensuite.
    •Une colonoscopiesera demandée à la recherche d’un néoplasme du cadre colique, de polypes hémorragiques, éventuellement d’une diverticulose pouvant saigner, et plus rarement à cet âge d’une angiodysplasie. Le cancer colique représente l’étiologie la plus fréquente.
    •Une gastroscopie avec duodénoscopiesera également réalisée, à la recherche d’un ulcère gastrique, d’un ulcère duodénal, d’ulcérations oesophagiennes éventuelles. Les cancers gastriques sont devenus rares. Les varices oesophagiennes surviennent dans un contexte d’hypertension portale, soit par hépatopathie (cirrhose essentiellement), soit dans le contexte de thrombose de la veine porte (hémopathie, cancer du pancréas…). L’observation ne mentionne pas d’arguments pour une hépatopathie.

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Question 5
Quel est le diagnostic le plus probable ? Les diagnostics différentiels ? Quels symptômes ou signes cliniques supplémentaires recherchez-vous, le cas échéant ? Pourquoi ?
    Réponse :

    •Alors que la pathologie initiale était bénigne (diverticulose, ulcère, Cf. question précédente) et que le patient avait été traité de façon efficace, apparaît à distance une altération de l’état général, un souffle diastolique d’insuffisance aortique qui n’existait pas auparavant, une tachycardie, un élargissement de la pression artérielle différentielle, une fièvre, des sueurs nocturnes, une douleur brutale de l’hypochondre gauche.
    •La première hypothèse est celle d’une endocardite bactérienne. Dans ce contexte, la douleur de l’hypochondre gauche doit avant tout faire suspecter un embol splénique, mais un embol mésentérique peut également être suspecté. On recherchera d’autres signes ou symptômes pouvant faire évoquer des embols périphériques, et notamment des lésions digitales pulpaires (faux panaris d’Osler), des images d’embols au fond d’œil, des embols dans la paroi artérielle pouvant réaliser des anévrysmes dits «mycotiques» (auscultation et palpation de tous les pouls), plus facilement présents dans le triangle de Scarpa ou sur l’Aorte. Une douleur lombaire brutale retrouvée à l’interrogatoire peut faire suspecter une localisation vertébrale ou rénale.
    Des paresthésie, ou des signes de parésie transitoire recherchés à l’interrogatoire peuvent faire suspecter une localisation cérébrale.
    •On cherchera également une splénomégalie, liée à la septicémie (présente dans un 1/3 des cas).
    •Dans le cadre de la suspicion d’endocardite, la tachycardie, l’élargissement de la différentielle doivent faire rechercher des signes d’insuffisance cardiaque gauche(recherche de crépitants dans les bases à l’auscultation pulmonaire) et droite (hépatomégalie sensible ou douloureuse, turgescence des jugulaires). L’insuffisance cardiaque doit faire discuter le remplacement valvulaire en urgence.
    •Par ailleurs, ce patient présentait une lésion digestive bénigne à l’origine de son anémie ferriprive : la diverticulose colique est particulièrement fréquente à cet âge, et un syndrome fébrile avec douleur abdominale doit faire rechercher une sigmoïdite(qui n’expliquerait pas cependant l’apparition d’un souffle d’insuffisance aortique). La sigmoïdite peut cependant représenter le point de départ de l’endocardite.

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Question 6
Quels examens complémentaires demandez-vous ? En première intention ? En deuxième intention ?
    Réponse :

    •Les hémocultures en milieu aérobie et anaérobie doivent être immédiatement réalisées, ainsi qu’une échographie cardiaque transthoracique. Si l’échographie transthoracique met en évidence des végétations valvulaires et si les hémocultures sont positives, le diagnostic d’endocardite sera certain. La sensibilité de l’échographie transthoracique dépend du morphotype et de l’échogénicité du patient, et peut ne pas dépasser 50 %.
    •S’il n’est pas vu de végétation valvulaire, une échographie cardiaque endo-oesophagienne devra être réalisée: la sensibilité est alors proche de 100 %.
    •La douleur abdominale fera réaliser un scanner abdomino-pelvien, à la recherche d’hypodensités intraspléniques évocatrices d’infarctus splénique, de masse dans la fosse iliaque gauche évocatrice de sigmoïdite, éventuellement de lésions rénales (infarctus septique) ou artérielle (anévrysme mycotique sur l’aorte ou ses branches).

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Question 7
Le diagnostic le plus probable évoqué en question 5 est confirmé. Quelle attitude thérapeutique et surveillance proposez-vous ?
    Réponse :

    •Le diagnostic d’endocardite est posé: on débute une antibiothérapie à large spectre, bactéricide, visant compte tenu du contexte en premier lieu les bacilles Gram négatifs (par exemple : Amoxicilline 150 à 200 mg/kg/jour en perfusion continue, ou en 4 à 6 injections/jour en association avec Gentamycine 3 à 4 mg/kg/jour en un ou deux injections par jour, avec contrôle du taux à T0 et T30’.
    •La Gentalline sera maintenue 2 semaines, et l’amoxicilline 4 semaines au total dans une forme non compliquée.

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Question 8
Dix jours après l’instauration de votre traitement, alors que le patient était devenu apyrétique, il présente à nouveau un épisode de frissons, un pic fébrile à 38°5. Il décrit également des épisodes répétés de paresthésies pouvant durer 5 à 10 minutes, à deux reprises dans le membre supérieur droit, à une reprise dans le membre supérieur gauche. Il a présenté un voile noir sur la partie supérieur du champ visuel à gauche ayant duré 6 minutes environ. Comment interprétez-vous ces faits cliniques ? Que faites-vous ?
    Réponse :

    •La récidivité de la température, des frissons, les épisodes de paresthésies et les troubles visuels sont très évocateurs d’embols cérébraux, survenant une semaine après instauration d’un traitement correct.
    •Une IRM cérébrale sera demandée, qui permettra très certainement de confirmer le diagnostic.
    •La gravité potentielle d’embols cérébraux, le caractère répété de la symptomatologie font poser l’indication de remplacement valvulaire.

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Question 9
Grâce à votre prise en charge, le patient s’améliore et finit par rentrer chez lui et reprend ses activités normales. Un an plus tard, son épouse appelle son médecin en urgence: alors que tout s’était bien passé ces derniers mois, le patient a présenté un accès de dyspnée aiguë, brutal, à la suite d’un effort de jardinage modéré. Le médecin appelé le trouve assis, légèrement penché en avant, toujours très dyspnéique, polypnéique. L’auscultation retrouve des crépitants remontant jusqu’à mi-champ pulmonaire, bilatéraux. Le patient est apyrétique, mais vous montre une expectoration blanche, mousseuse, légèrement rosée, apparue tout aussi brutalement. On entend, à nouveau, un souffle protodiastolique 4/6 maximal au foyer aortique. Le pouls est régulier à 120/mn. Quel est votre diagnostic ? Vous êtes le médecin appelé à domicile : Que faites-vous en urgence sur le plan thérapeutique ? Comment organisez-vous la suite et qu’en attendez-vous ?
    Réponse :

    •Le patient présente manifestement un tableau d’œdème aigu pulmonaire, avec décompensation cardiaque gauche brutale, dyspnée aiguë, crépitant bilatéraux remontant jusqu’à mi-champ pulmonaire, expectoration blanche et mousseuse.
    •La ré-apparition d’un souffle proto-diastolique doit faire évoquer deux diagnostics: une récidive d’endocardite (sur prothèse cette fois), ou une désinsertion mécanique de la valve.
    •Dans l’urgence, le médecin à domicile administrera du Lasilix IV (dose initiale: 40 mg, à augmenter facilement à 80 ou 120 mg, si il n’y a pas d’effet dans les 15 minutes). Le SAMU sera appelé, le patient sera surveillé par le médecin traitant jusqu’à l’arrivé du SAMU, et transféré en soins intensifs.
    •Si les diurétiques seuls sont inefficaces, l’administration d’amines pressives (Dopamine, Dobutamine, Noradrénaline) après mise en place d’une voie centrale sera indiquée .
    •Parallèlement, seront réalisées des hémocultures, une échographie cardiaque transthoracique et sans doute endo-eosophagienne à la recherche de la cause de l’insuffisance aortique sur prothèse valvulaire.

    Total des points de la question :
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