Dossier clinique : 0162 - Auteur : - - CHU de Lille
Un patient de 62 ans a pour principaux antécédents :
- Des phlébites à répétitions, compliquées d’une maladie veineuse post-phlébitique ; il est soigné depuis quelques mois pour ulcère de la jambe gauche.
- Un diabète de type 2, découvert vers la cinquantaine, et traité par bithérapie : metformine (Glucophage) et gliclazide (Diamicron). Il pesait à l’époque 98 kg pour 1,79 m, et le poids n’a pratiquement changé depuis, sauf ces tous derniers jours.
Sont apparus depuis quelques jours en effet :
- Une hyperthermie ;
- Une asthénie majeure ;
- Un placard érythémateux de la jambe gauche.
Le traitement antidiabétique oral a été suspendu. Devant l’aggravation de l’altération de l’état général, le patient appelle son médecin traitant, qui l’adresse au service des urgences de l’hôpital voisin.
A l’entrée, la situation est la suivante :
- Score de Glasgow à 13 ;
- Sepsis sévère : température à 38,1° C, tachycardie > 120/min, hyperleucocytose à plus de 20 000 GB/mm3, hyperventilation, PA 85/50 mm Hg ;
- Un érysipèlede la jambe gauche ;
- Une glycémie "HI" au lecteur de glycémie, avec une odeur acétonique de l’haleine.
La biologie à l’entrée est la suivante : Na+ 145 mmol/l, K+ 6,7 mmol/l, HCO3- 12 mmol/l, urée plasmatique 25 mmol/l, créatininémie 280 mcmol/l, cétonurie +++.
Question 1
Quel est le diagnostic le plus probable ? Sur quels arguments ? Comment expliquer l’hyperkaliémie et l’hyperventilation ?
Réponse :
- Diagnostic : 3
décompensation céto-acidosique d’un diabète (ce n’est pas l’évolution naturelle dans le type 2, mais il y ici un facteur intercurrent de déséquilibre : le sepsis, avec une hyperthermie qui serait probablement plus franche encore s’il n’y avait pas d’acidose, cette dernière ayant un effet hypothermisant)
(info., sans point ajouté : on ne peut pas exclure une acidose lactique associée voire isolée, à cause aussi du sepsis plutôt que par une accumulation de biguanide parce que l’insuffisance rénale étant certainement récente et liée à la déshydratation : il y aurait alors d’un côté une acidose lactique et de l’autre une cétose encore simple ; l’acidose ne peut cependant pas être expliquée par la seule insuffisance rénale car dans ce cas l’acidose est modérée.)
- Arguments : 2
diabète, présence d’une hyperglycémie importante (cause probable de l’insuffisance rénale, par déshydratation), arrêt du traitement, objectivation d’une cétogénèse, présence d’un facteur déséquilibrant ; et surtout reflet indirect d’une acidose à travers la réduction importante de la réserve alcaline ;
- L’hyperkaliémie et l’hyperventilation : 3
l’hyperkaliémie n’est pas nécessairement paradoxale ; elle peut s’expliquer par l’acidose métabolique : 1 et par l’insuffisance rénale : 1 (et aussi l’insulinopénie ne tant que telle)
elle doit faire aussi rechercher de principe un traitement hyperkaliémiant annexe (diurétique, IEC) ; l’hyperventilation est à rapporter à l’acidose : 1 (dyspnée d’acidose) mais doit faire rechercher aussi une décompensation cardiaque.
Total des points de la question : 8
Question 2
Toujours pour le statut métabolique :
Quels examens complémentaires vous semblent utiles dans le cadre de l’urgence ? (justifier)
Quel programme thérapeutique allez-vous mettre en place dans les 6 prochaines heures ?
Réponse :
- Examens complémentaires en urgence : 5
biologie : pH : 1, cétonémie : 1, lactate et osmolarité : 1, ionogramme urinaire : 1, CRP : 0,5, autres : bilan de coagulation : bilan hépatique, bilan pancréatique (risque de pancréatite dans les hypertriglycéridémies parfois massives dans une telle décompensation ; rappel : l’insuline exerce un effet
antilipolytique) : 0,5 ;
saturation en O2 : 0,5, radio de thorax et ECG : 0,5
recherche de phlébite, recherche de D-dimères, Doppler veineux : 0,5
prélèvements batériologiques (ulcère) : 0,5
- Programme thérapeutique des 6 premières heures : 20
. Contrôle des grandes constantes : 2
hospitalisation en réanimation, pose d’une voie veineuse périphérique de bonne qualité, sinon centrale, ECG et pose d’un scope ;
. Contrôle de l’hémodynamique : 3
1 l en 1 h puis 1 l en 2h puis 1 l en 3 h puis 1l en 4h : 1
avec sérum salé isotonique 9‰ initialement : 1
puis sérum glucosé 5% ou 10% en fonction des glycémies capillaires (respectivement < 13 et 8 mmol/l) : 1
. Contrôle ionique : 3
pas de recharge potassique dans les 2 1ères heures car la kaliémie est normale mais à prévoir ensuite (du fait de la correction de l’acidose et de la diurèse osmotique : 2
et sous forme de phosphate dipotassique, en raison de l’hypophosphorémie associée) : 1
. Contrôle de l’hyperglycémie : 3 arrêt du traitement oral ; insuline : 2
à la SE, insuline rapide 10 U/h tant qu’acétonurie positive : 1
. Contrôle du sepsis : 2
antibiothérapie : 1
par Péni G 10 à 20 M/j en IVD en 4 à 6 fois : 1
(démarrer à 10 M car insuffisance rénale ; avec la normalisation de la fonction rénale passer à 20 M ou remplacer par l’amoxicilline per os à 3 g/j)
. Contrôle du risque thrombo-embolique : 2
en tenant compte de l’insuffisance rénale : 1
Lovenox 40 mg SC/24 h, ou équivalent : 1
. Contrôle de l’évolution : 3
horaire : 1
clinique : pouls, TA, T°, fréquence respiratoire, hydratation,
conscience, diurèse : 1
biologique : glycémie capillaire, acétonurie ou acétonémie,
ionogramme sanguin à la 6ème heure (kaliémie ++) : 1.
Total des points de la question : 27,5
Question 3
Sur quels arguments choisissez-vous d'hospitaliser, ou pas, une "grosse jambe rouge" ? Justifier.
Réponse :
Devant les critères suivants (cf. "Conférence de consensus", Méd Mal Infect 2000, 30 : 241-5 en annexe 1) : 2 par critère
- Nécessité d’un traitement parentéral
- Nécessité d’une surveillance rapprochée
- Doute diagnostique
- Signes généraux importants
- Co-morbidité
- Eventualité d’un geste chirurgical.
Total des points de la question : 12
Question 4
Les D-Dimères reviennent positifs. Qu'en concluez-vous, et quelle attitude adoptez-vous en conséquence ?
Réponse :
- Pas de conclusion définitive pour la positivité : 2
- Les D-dimères sont probablement élevés du fait du sepsis : 2
- Un résultat négatif aurait cependant permis d’écarter l’hypothèse d’une phlébite sous-jacente : 2.
Total des points de la question : 6
Question 5
Au décours de la phase aiguë, quelles sont vos recommandations pour le traitement nutritionnel au long cours du diabète ?
Réponse :
Les grands principes sont les suivants (cf. "Stratégie de prise en charge du diabète de type 2, recommandations de l’ANAES", mars 2000, Diabetes & Metabolism, 2000, suppl. 5 en annexe 2) :
- Le traitement nutritionnel est la clé de voûte du traitement du DT2 : 2
- Estimer la masse grasse par l’IMC, et mesurer aussi l’obésité abdominale (tour de taille) ; adapter l’apport calorique en conséquence : 2
- Le traitement est toujours individualisé : 2
- Dans le surpoids, le niveau calorique à proposer ne diffère pas par rapport au sujet non diabétique ; l’objectif est le maintien de la perte de poids au long cours, il doit être réaliste (ex. dans l’obésité massive, ne pas revenir à un IMC < 25, mais parfois tout juste = 30) : 2
- En pratique : proposer généralement une perte de 5 à 15 % du poids initial (à nuancer considérablement, selon de nombreux facteurs : âge de prise de poids, ancienneté, vitesse de prise, habitudes alimentaires, activité physique, complications mécaniques : ++, tolérance à la frustration, etc.) : 2
- Supprimer les écarts les plus manifestes : excès de graisses (charcuterie, fromage, etc.) ; les boissons sucrées ; la consommation excessive d’alcool : 2
- Conseiller une réduction de 15 à 30 % des apports énergétiques, ou, en miroir, des apports correspondant aux 2/3 des dépenses (mais ce point est à mon avis discutable : il faut conseiller la réduction pour le seul cas de l’excès des aliments à risque d’être stockés, ç.à.d. des lipides ; il faut augmenter en revanche les apports des aliments réduisant la densité énergétique, ç.à.d. féculents, légumes verts et fruits) : 2
- Pas de modification particulière pour les apports protéiques (en l’absence d’insuffisance rénale chronique) : 1
- Les glucides doivent représenter la moitié de l’apport énergétique total, soit 180 g/j au minimum, essentiellement sous la forme d’aliments amylacés (légumes secs ++), sans suppression du saccharose ; une connaissance des équivalences glucidique est nécessaire : 2
- Les lipides doivent représenter le tiers de l’apport énergétique total ; une supplémentation en acides gras polyinsaturés n-3 n’apparaît pas justifiée : 2
- Favoriser la consommation de fibres (légumes secs, légumes et fruits) : 2
- Fractionner les repas en au moins 3 repas/j : 1
- S’aider autant que de besoin du concours d’un nutritionniste ou d’une diététicienne : 2
- Toujours associer l’activité physique (et adapter l’apport énergétique en conséquence) : 2.
Total des points de la question : 26
Question 6
En tant que dermatologue, vous revoyez ce patient au décours de son hospitalisation, parce que l’ulcère n’est toujours pas cicatrisé. Donner les principales consignes pour la prise en charge d'un ulcère veineux post-phlébitique, s’agissant de la conduite à tenir diagnostique et des examens complémentaires.
Réponse :
(ulcère veineux post-phlébitique) : 21
Haute autorité de santé 2006 : Les données de l’examen clinique ont une sensibilité et une spécificité insuffisantes pour porter un diagnostic étiologique (ulcère veineux, ulcère mixte à prédominance veineuse ou artérielle, ulcère artériel) : 2 ;
il est donc recommandé de compléter l’examen clinique par des explorations complémentaires : IPS et écho-Doppler veineux (à compléter dans certains cas par Echo-Doppler artériel voir ci-dessous (grade C) : 1.
Il est recommandé de réaliser un écho-Doppler veineux lors de la prise en charge de tous les patients présentant un ulcère des membres inférieurs : 2.
Il permet :
- De confirmer l’origine veineuse de l’ulcère (grade C) : 1
- D’en préciser le mécanisme (reflux et/ou obstruction) (grade C) : 1
- De préciser la localisation des reflux (veines superficielles et/ou profondes et/ou perforantes) et leur niveau anatomique (grade C) : 1
- L’examen fait partie du bilan préopératoire avant chirurgie veineuse superficielle (cartographie) (accord professionnel) : 1
- Il présente également un intérêt dans le suivi postopératoire car il permet de suivre l’évolution des reflux veineux profonds et des veines perforantes après chirurgie veineuse superficielle (grade C) : 1.
Mesure des indices de pression systoliques : 3
- Index de pression systolique (IPS) : 1
Etablir un rapport entre la pression systolique à la cheville et la pression systolique brachiale lors de l’examen à l’aide d’une sonde Doppler continue ou lors de l’écho-Doppler veineux.
Valeurs (propositions du groupe de travail) :
- ulcère veineux pur : IPS compris entre 0,9 et 1,3 ;
-
- ulcère mixte à prédominance veineuse : IPS compris entre 0,7 et 0,9.
Recherche d'artériopathie justifiée car :
- Une AOMI associée peut aggraver l’ulcère et nécessite une prise en charge spécifique de l’AOMI (grade B) : 1
- La compression doit être adaptée en cas d’AOMI associée (accord professionnel) : 1.
Éléments d’orientations vers une origine artérielle partielle ou exclusive (accord professionnel) : 2
- Existence de facteurs de risque cardio-vasculaire (HTA, diabète, tabagisme, hypercholestérolémie, âge > 60 ans) ;
- Existence d’autres localisations athéromateuses ;
- Existence de symptômes et de signes cliniques d’AOMI, notamment abolition des pouls périphériques.
Il est recommandé de compléter l’écho-Doppler veineux par un écho-Doppler artériel (accord professionnel) en cas :
- D’abolition des pouls périphériques : 1
- De symptômes ou de signes cliniques d’AOMI : 1
- D’IPS < 0,9 ou > 1,3 (artères incompressibles) : 1.
Total des points de la question :