Dossier clinique : 0006 - Auteur : Dr Pulcini - Faculté de médecine Nice

Antoine P., 55 ans, se présente aux Urgences d’un centre hospitalier du Sud de la France en plein été pour un essoufflement. En effet, est apparue depuis 48 heures une dyspnée d’aggravation rapide, actuellement présente au moindre effort. S’associent à cette dyspnée une asthénie, une fièvre sans frissons, une toux sans modification de la couleur ni de l’abondance des expectorations habituelles (le patient dit cracher depuis plusieurs années). Le patient signale aussi des céphalées et des selles liquides depuis 3 jours. Il n’a pas remarqué de personne malade dans son entourage. Mais il est arrivé récemment dans le Sud, étant venu de Roubaix en voiture il y a 10 jours.

Vous notez dans les antécédents du patient : un alcoolisme chronique non sevré (6 à 7 bières/jour) ; un tabagisme non sevré à 80 paquets-année, avec une dyspnée d’effort habituelle (jamais de bilan effectué) ; une hypertension artérielle traitée ; une dyslipidémie mixte non traitée. Son traitement comprend : bronchodilatateur en inhalation, corticoïde inhalé, association spironolactone – diurétique thiazidique. Il n’a pas d’allergie et il n’a pas été vacciné depuis très longtemps. Ce patient est chef de travaux dans une entreprise de pneumatiques à Roubaix.

L’examen physique note un poids à 76 kg, une taille de 165 cm, une température à 40°C, un pouls à 70/mn, régulier, une tension artérielle à 110/50 mm Hg, une fréquence respiratoire à 36/mn. Le patient présente une altération marquée de l’état général. Il sature à 95% sous 4 l d’O2, et est en sueurs. Les bruits du cœur sont réguliers, sans souffle audible. On note quelques marbrures des genoux. Les mollets sont souples. On ne note pas d’oedèmes des membres inférieurs. L’auscultation pulmonaire trouve des ronchi bilatéraux prédominant à gauche, ainsi que des crépitants en base gauche. Les expectorations sont muco-purulentes. Le patient ne présente pas de désorientation temporo-spatiale. Il existe un tremblement fin des extrémités. L’abdomen est pléthorique, avec une hépatomégalie à bord inférieur mousse, sans splénomégalie. Les dents sont en mauvais état. La bandelette urinaire montre une croix d’hématies. Tout le reste de l’examen est normal.
Vous réalisez un premier bilan complémentaire dont voici les résultats :
Bilan biologique : 19,9.109/l leucocytes dont 89% de polynucléaires neutrophiles, Hb 8 mmol/l, VGM 90 µ3, 341.109/l plaquettes, TP 100%, TCA 38 s, Na 129 mmol/l, K 2,4 mmol/l, créatininémie 92 µmol/l, urée 6 mmol/l, gammaGT 131 UI/L (6-50), phosphatases alcalines 56 UI/L (39-117), bilirubine conjuguée 5 UI/L (0-4), ASAT 84 UI/L (10-37), ALAT 40 UI/L (10-41), LDH 801 UI/L (200-480), CPK 1564 UI/L (20-190), CPKMB 41 UI/L (2-23), CRP 454 mg/l, troponine 0,36 ng/ml (normale < 0,4), myoglobine 543 UI/L (< 70). Gazométrie artérielle sous 15 l d’O2 au masque à haute concentration : pH 7,51, pO2 75 Kpa, pCO2 26 Kpa, bicarbonates 21 mmol/l.
Electrocardiogramme : tachycardie sinusale 70/mn
Radiographie thoracique de face au lit :
 
Sommaire du dossier 0006

Question 1
Quelle est votre hypothèse diagnostique principale ? justifiez la
    Réponse :
    Pneumonie (2) communautaire (1) bilobaire avec signes de gravité (3 ; absence = - 5), probablement à Legionella (1) ou à pneumocoque (1).
    Pneumonie :
    - syndrome infectieux : fièvre (1), sueurs, syndrome inflammatoire (1) biologique
    - associé à des signes respiratoires : dyspnée (1), polypnée, toux, expectoration purulente, absence d’infection des voies respiratoires hautes, signes auscultatoires en foyer (1), foyer radiologique

    Bilobaire :
    radiographie : deux opacités parenchymateuses alvéolaires lobe inférieur gauche et lobe supérieur droit

    Signes de gravité :
    - hypotension artérielle (1) : TA diastolique < 60 mm Hg (de plus chez un patient habituellement hypertendu)
    - fréquence respiratoire > 30/mn (1)
    - pneumonie bilatérale (1)
    - signes d’hypoperfusion périphérique : marbrures (1)
    - PaO2 / FIO2 < 250 (75 / 0,6)

    Pneumocoque ou Legionella à évoquer devant une pneumonie avec signes de gravité, par argument de fréquence.

    Pneumocoque :
    - argument de fréquence (1) devant une pneumonie
    - terrain : alcoolisme chronique (1)
    - absence de vaccination (1)

    Legionella :
    - terrain : sexe masculin, tabagisme chronique (1), alcoolisme chronique (1), pathologie respiratoire chronique pré existante (1) (probable bronchite chronique obstructive post tabagique)
    - dissociation pouls / température
    - présence de signes cliniques extra respiratoires (1) : neurologique (céphalées sans syndrome méningé), digestif (diarrhée), myalgies
    - signes biologiques évocateurs : hyponatrémie (mais non spécifique, d’autant que le patient est sous diurétiques), cytolyse hépatique (potentiellement due à l’alcoolisme chronique), augmentation des enzymes musculaires, possible glomérulopathie du fait de l’hématurie microscopique

    Pas d’argument pour une autre étiologie (exacerbation aiguë de bronchite chronique, bronchite, œdème aigu du poumon, embolie pulmonaire).

    Total des points de la question : 23
Question 2
Quels sont les principes de la prise en charge diagnostique et thérapeutique dans les premières heures ?
    Réponse :
    Diagnostique : urgence (1 ; oubli = - 5)
    - hémocultures (2) : 2-3 paires en une heure
    - antigènes solubles urinaires Legionella (1) et pneumocoque (1)
    - examen cytobactériologique des crachats (1) en précisant au laboratoire la recherche de Legionella
    - sérologie Legionella

    Thérapeutique
    Urgence thérapeutique ; pronostic vital engagé
    Transfert médicalisé (1) en réanimation (1 ; oubli = - 5) après mise en condition aux urgences
    Oxygénothérapie (1) adaptée à la SaO2 et aux données gazométriques, voie veineuse

    Traitement étiologique :
    - antibiothérapie (1) urgente, probabiliste, active sur pneumocoque (1) (y compris de sensibilité diminuée à la pénicilline) et Legionella (1)
    - débutée après les prélèvements microbiologiques sans en attendre les résultats, secondairement adaptée
    - association bactéricide parentérale IV (1) : (amoxicilline – acide clavulanique ou céphalosporine de 3ème génération (céfotaxime ou ceftriaxone) (1)) + (macrolide (spiramycine ou à défaut érythromycine) ou fluoroquinolone (ofloxacine, ciprofloxacine, lévofloxacine) (1) ; schéma thérapeutique inadapté = -5

    Traitement symptomatique :
    - remplissage vasculaire (1) (cristalloïdes puis colloïdes)
    - équilibration hydro électrolytique (notamment apport potassique)
    - ventilation assistée (1) en privilégiant tant que possible la ventilation non invasive
    - kinésithérapie respiratoire éventuelle
    - antalgiques/antipyrétiques
    - prévention du delirium tremens (2 ; oubli = - 5) débutant (hydratation, apport de vitamines B1-B6 IV, apports glucosés)
    - attention aux médicaments hépatotoxiques et aux médicaments dépresseurs de la fonction respiratoire (pas de benzodiazépines)
    arrêt du traitement personnel et notamment du traitement antihypertenseur (1)
    - anticoagulation préventive
    - prévention de l’ulcère de stress
    - arrêt de l’intoxication alcoolo-tabagique

    Surveillance (1 ; oubli = - 5) étroite clinique (monitoring tension artérielle, pouls, SaO2 (1 X 3), scope) + biologique (gazométries (1))

    Pas d’isolement

    Total des points de la question : 25
Question 3
L’antigène soluble urinaire Legionella revient positif dans les heures suivantes. Quelle est la valeur diagnostique de ce test ?
    Réponse :
    Ce test a une bonne valeur diagnostique (1) :
    - sa sensibilité est de 60-70% (1), sa spécificité de 99% (1)
    - car il ne détecte que Legionella pneumophila de sérogroupe 1 (1), qui est responsable de 84-90% des cas déclarés de légionellose
    - un test positif affirme donc le diagnostic = bonne valeur prédictive positive (1), mais un test négatif ne l’élimine pas = valeur prédictive négative médiocre (1)
    - c’est de plus un test rapide à pratiquer (une heure environ) et accessible dans la plupart des laboratoires
    - il est positif précocement dès le début de la maladie (2-3 jours après l’apparition des premiers signes cliniques)
    - mais il reste positif pendant 2 mois environ, même après antibiothérapie adaptée

    Total des points de la question : 6
Question 4
Modifiez vous votre traitement ? si oui, quelles sont les modifications que vous apportez ? si non, pourquoi ?
    Réponse :
    Oui (1)
    - On modifie l’antibiothérapie :
    - arrêt de la bêta lactamine (1)
    - bithérapie choisie parmi : 1. macrolide (spiramycine ou à défaut érythromycine) ; 2. fluoroquinolone (ofloxacine, ciprofloxacine, lévofloxacine) ; 3. rifampicine (2)

    Total des points de la question : 4
Question 5
Une des infirmières du service s’inquiète d’attraper la même maladie que le patient lorsqu’elle rentre dans la chambre. Que lui répondez-vous ?
    Réponse :
    L’infirmière n’a pas à s’inquiéter (1).
    La seule voie de contamination pour la légionellose est la voie aérienne par inhalation (1) à partir d’une source contaminée (généralement hydrique).
    Il n’existe pas de contamination interhumaine (1) (d’où l’absence d’isolement du patient).

    Total des points de la question : 3
Question 6
Vous devez déclarer cette pathologie à la DDASS. Selon quelles modalités pratiques ?
    Réponse :

    - déclaration obligatoire (1) à la DDASS du département d'hospitalisation
    - faite par le clinicien ET le biologiste
    - anonyme (1)
    - devant associer pour la légionellose un signalement (2) (= fax ou téléphone immédiatement (1)) et une notification (2) (par courrier (1))

    Total des points de la question : 8
Question 7
Il y a eu récemment d’autres cas de cette maladie dans l’entreprise où travaille votre patient. Donnez la durée d’incubation de la maladie, et déduisez en les lieux géographiques où le patient a pu se contaminer
    Réponse :
    La durée d’incubation est de 2 à 10 jours (2).
    Le patient a donc pu se contaminer :
    - sur la Côte (1)
    - lors du voyage (1) : voiture (climatisation ?), hôtel…
    - à Roubaix (1) : domicile ? lieu de travail ?

    Total des points de la question : 5
Question 8
La DDASS va de toute façon réaliser une enquête concernant ces cas dans le Nord de la France. Quel type d’enquête épidémiologique va être utilisée à votre avis ? expliquez en quelques lignes les modalités pratiques de cette enquête
    Réponse :
    -
    - Etude cas témoin (2) rétrospective (2) -
    - Cas = sujets malades atteints de la légionellose (1) -
    - Appariement (1) à des témoins sains (1) -
    - Recherche rétrospective, par questionnaire (1), d’une exposition à un risque de légionellose (1) (au travail, au domicile…) -
    - Elle comprend un interrogatoire qui permettra de définir les dates et les lieux précis de séjour des cas, la date de survenue des symptômes, la compatibilité entre ces dates et la période d'incubation de la légionellose (1) (2 à 10 jours) et de relever méticuleusement les activités des patients pendant les dix jours qui précèdent leur maladie. -
    - Cette investigation permet de définir s'il s'agit d'une légionellose communautaire (liée ou non à un voyage) ou nosocomiale, et de repérer les cas groupés (1)

    Total des points de la question : 11
Question 9
Finalement, après des moments difficiles, le patient se rétablit de sa maladie. Quels sont les conseils de prévention que vous délivrez au patient à sa sortie de l’hôpital ?
    Réponse :

    - faire le bilan de sa pathologie chronique pulmonaire : consultation chez un pneumologue avec réalisation notamment d’une fibroscopie bronchique (1 (recherche de cancer) et d’épreuves fonctionnelles respiratoires (1) (recherche d’un trouble ventilatoire obstructif)
    - faire le bilan de son alcoolisme chronique : consultation chez un gastro-entérologue
    - conseiller le sevrage en alcool (2) et tabac (2), avec une aide adaptée
    - consultation dentaire (1) vu le mauvais état bucco-dentaire
    - consultation ORL : recherche de foyers infectieux, recherche d’un cancer
    - consultation cardiologue : bilan des facteurs de risque cardio-vasculaires, équilibration de l’HTA
    - consultation diététicienne (1) et régime hypocalorique (1) pour perdre du poids, car surpoids (BMI à 28), régime pauvre en cholestérol (1) car hypercholestérolémie, régime pauvre en sucres rapides (1) car hypertriglycéridémie (suppression de l’alcool et perte de poids déjà préconisés), régime peu salé (1) car hypertension artérielle
    - exercice physique (1) pour lutter contre le surpoids et diminuer le nombre de facteurs de risque cardio-vasculaires
    - vaccination annuelle contre la grippe (1) et tous les 5 ans contre le pneumocoque (1) (car pathologie respiratoire chronique)
    - pour la légionellose : faire vérifier le circuit de climatisation de la voiture, détartrage annuel des robinets et des pommeaux de douche à domicile
    - suivi médical régulier
    - la légionellose n’est pas une maladie professionnelle

    Total des points de la question : 15
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