Vous voyez en consultation pour la première fois Madame H., âgée de cinquante et un ans, fonctionnaire. Depuis trois mois, elle se plaint d’une douleur en fin de nuit (à partir de 4 h du matin), suivie d’une raideur (tous les matins pendant une heure), siégeant principalement aux articulations métatarsophalangiennes, métacarpophalangiennes et interphalangiennes proximales des deux pieds et des deux mains. À l’interrogatoire, vous ne notez pas d’événement intercurrent ou ayant précédé le début des troubles. Elle présente pour principaux antécédents une hystérectomie pour fibrome utérin il y a deux ans, un glaucome à angle ouvert, une dilatation des bronches semble-t-il secondaire à une primo-infection tuberculeuse à l’âge de dix ans, un asthme allergique (depuis l’enfance) et une hypertension artérielle traitée depuis cinq ans par irbésartan et hydrochlorothiazide. Elle fume un paquet de cigarettes par jour. Elle n’est pas ménopausée. Son traitement habituel comprend, outre l’antihypertenseur, du salbutamol en spray à la demande. L’examen rhumatologique retrouve un gonflement du genou droit, des poignets, des 1re, 2e, 3e, 4e métacarpophalangiennes, et des 2e, 3e, 4e interphalangiennes proximales des deux mains. Les interphalangiennes distales sont discrètement déformées, sans signes inflammatoires locaux, avec une palpation au travers de la peau de tuméfactions osseuses évocatrices d’ostéophytes. Il existe trois petits nodules fermes au bord des 2e, 3e et 4e doigts. L’examen général met en évidence la présence de crépitants à la base droite. Elle vous montre un test au latex, demandé par son médecin traitant, positif au 160e, et des radiographies des mains. Voir photo dans le cahier couleur (cas clinique 8.1).
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Question 1
Quel diagnostic vous paraît le plus vraisemblable ? Pourquoi ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Polyarthrite rhumatoïde. Arguments : – Fréquence : il s’agit de l’étiologie la plus fréquente de polyarthrite chronique à cet âge. – Terrain : femme âgée de la cinquantaine, pic de fréquence de la maladie. – Signes rhumatologiques : - raideur articulaire > 1 heure depuis plus de six semaines ; - arthrites de plus de trois groupes articulaires depuis plus de six semaines ; - atteintes des mains depuis plus de six semaines ; - atteintes symétriques depuis plus de six semaines ; - nodules des doigts compatibles avec des nodules rhumatoïdes. – Signes généraux : absence de signes articulaires (atteinte axiale, atteinte des interphalangiennes distales) ou extra-articulaires (atteintes viscérales…) orientant vers une autre pathologie. – Signe biologique : présence de facteurs rhumatoïdes.
Question 2
Quel examen biologique immunologique vous paraît le plus important pour éliminer un diagnostic différentiel ? Décrivez brièvement la méthode habituellement utilisée pour sa réalisation.
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Facteurs antinucléaires pour rechercher des arguments en faveur d’une autre maladie auto-immune : lupus érythémateux ou syndrome de Gougerot-Sjögren. On pratiquera un dépistage sur cellule Hep2, puis, en cas de positivité, une recherche de spécificité (notamment anti-ADN natif) par ELISA ou par test radio-immunologique selon la méthode de Farr ou sur Crithidia luciliae, mais aussi une recherche d’anticorps anti-antigène soluble (anti-Sm, anti-SSA et SSB notamment).
– Radiographies des mains et poignets de face, des avant-pieds de face, et des avant-pieds de trois quarts pour la recherche de signes typiques de polyarthrite rhumatoïde — déminéralisation et, surtout, érosion — et afin d’avoir une image initiale en vue de la surveillance ultérieure. Elle permet en outre de vérifier l’absence de signe de chondrocalcinose. – Radiographie pulmonaire pour obtenir un cliché initial et vérifier que les anomalies cliniques sont bien en rapport avec des images de dilatation de bronches. – Radiographie des genoux pour vérifier l’absence de pincement articulaire et l’absence de signes de chondrocalcinose. – L’échographie et l’IRM pourraient être discutées.
Question 4
Proposez-vous une biopsie synoviale pour étayer le diagnostic ? Pourquoi ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Non, la biopsie synoviale n’est pas nécessaire devant un tel tableau car sa valeur diagnostique (faible sensibilité et spécificité) est très faible pour un coût et une lourdeur élevée.
Question 5
Après traitement par anti-inflammatoire non stéroïdien, Madame H. présente une élévation de la créatinémie à 110 micromoles alors qu’elle était à 80 auparavant. Quel mécanisme évoquez-vous ? Quels examens complémentaires conseillez-vous ? Quelle attitude thérapeutique pratique conseillez-vous ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
– Insuffisance rénale aiguë (IRA) fonctionnelle d’origine iatrogène. – Coprescription d’une association sartan-thiazidique et d’un AINS : les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine empêchent la vasoconstriction de l’artère efférente du glomérule. Chez cette patiente sous ARA2, la pression intraglomérulaire est maintenue grâce à la vasodilatation de l’artère afférente. Les AINS inhibent la vasodilatation de l’artère afférente du glomérule : la pression intraglomérulaire chute, conduisant à la baisse du débit de filtration glomérulaire ; c’est l’insuffisance rénale aiguë. De plus, le diurétique thiazidique entraîne une hypovolémie majorant cette insuffisance rénale. – Les examens complémentaires à réaliser sont : - ionogramme sanguin avec Na, K, Cl, HCO3–, à la recherche d’une hyperkaliémie (et d’une acidose métabolique) ; - ECG en cas d’hyperkaliémie ;- bandelette urinaire : vérifier l’absence d’hématurie ou de protéinurie, qui orienteraient vers une cause organique surajoutée ; - échographie rénale de façon systématique devant une IRA : éliminer un obstacle, taille des reins. – Arrêt des AINS : contre-indication si elle garde ce traitement antihypertenseur. – Arrêt des ARA2 et du thiazidique : réévaluation de la nécessité du traitement. Quand la fonction rénale est rétablie, réintroduction ou remplacement par un inhibiteur calcique ou une association inhibiteur calcique-thiazidique (les bêtabloquants sont ici contre-indiqués). – Surveillance de l’efficacité de ces mesures par ionogramme sanguin et créatininémie dans les 48 heures.
Question 6
Grâce à vos conseils, tout se passe bien pendant dix ans sur le plan rénal. Mais vous avez eu du mal à contrôler l’inflammation qui a toujours persisté durant le suivi. Elle développe alors une insuffisance rénale plus franche et, cette fois-ci, compte tenu de la durée de l’inflammation, vous évoquez une amylose.
De quel type d’amylose peut-il s’agir ? Quels autres signes peuvent vous orienter ? Quels examens complémentaires proposez-vous ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
On évoque ici une amylose AA, dite secondaire, devant l’antécédent de polyarthrite rhumatoïde (40 % des causes d’amylose AA). Les amyloses AA peuvent également être secondaires à des infections chroniques : ici antécédent de dilatation des bronches. À l’examen clinique, on recherchera une hépatomégalie, une splénomégalie. À l’interrogatoire, une diarrhée, un amaigrissement (localisation intestinale). La macroglossie est classiquement absente. L’atteinte cardiaque est rare et il n’y a pas de neuropathie périphérique dans l’amylose AA. Les examens complémentaires à réaliser sont : – ionogramme sanguin, urée, créatinine avec calcul de la clairance ; – protidémie, albuminémie ; – bandelette urinaire, protéinurie des 24 heures : abondante avec éventuellement syndrome néphrotique ; – numération des éléments figurés des urines ; – pour le diagnostic différentiel : sérologies des virus de l’hépatite B et de l’hépatite C, VIH, radiographie pulmonaire ; – échographie rénale : gros reins ; – échographie cardiaque : à la recherche d’une hypertrophie septale. Preuve histologique : – biopsie des glandes salivaires, de la muqueuse rectale ou de la graisse abdominale, avec examen anatomopathologique : coloration de la substance amyloïde au rouge Congo et dichroïsme jaune-vert en lumière polarisée ; – ponction-biopsie rénale : dépôts extracellulaires amorphes.