Un homme de 68 ans, vivant seul, est hospitalisé aux urgences par ses enfants qui ne le trouvent pas bien du tout, notamment sur le plan respiratoire. Il s’agit d’un ancien fumeur et d’un ancien buveur, sujet à de très nombreuses bronchites hivernales. Il ne fume plus depuis 2 ans et ne boit plus d’alcool depuis 1 an, ce qui a aggravé une obésité. Il dit peser 112 kg pour une taille de 161 cm. Depuis 2 jours, il ne se sent pas bien, il a des sensations de chaud et de froid sans frisson vrai. Il est gêné dans ses moindres efforts, il ne peut plus sortir de chez lui, il ne mange plus, il monte extrêmement difficilement un étage pour aller se coucher. Depuis 24 heures, il n’arrive pas à dormir la nuit, mais en revanche il s’assoupit dans la journée. Sa toux ramène une expectoration brunâtre. À l’examen clinique, on note que le malade est polypnéique (28 cycles/min), cyanosé, avec un front couvert de sueur. L’auscultation thoracique note la présence bilatérale de quelques gros râles bronchiques. L’auscultation cardiaque est difficile mais apparemment normale. L’abdomen est distendu dans son ensemble, dépressible, indolore, sonore à la percussion, sans circulation collatérale, il existe un reflux hépatojugulaire. La pression artérielle systolique est à 170/90 mmHg, la fréquence cardiaque de 125/min. Il existe de discrets œdèmes des membres inférieurs. L’état de conscience et l’examen neurologique sont normaux. Il existe néanmoins un certain état d’agitation. La température centrale est à 38,5 °C. La gazométrie artérielle pratiquée en air ambiant donne les résultats suivants : pH = 7,30 ; PaCO2 = 8,2 kPa (62 mmHg) ; PaO2 = 6 kPa (45 mmHg) ; SaO2 = 77 % ; bicarbonates = 30 mmol/L.
Question 1
Quel est le diagnostic le plus probable et quels en sont les critères de gravité ?
EN SAVOIR PLUS
(Renvois au livre : Chapitre 4, p46-47 : Manifestations cliniques)
Les trois types d’insuffisance respiratoire chronique (IRC). IRC obstructive : – bronchopneumopathie chronique, le plus souvent post-tabagique – emphysème – dilatation des bronches – asthme ancien dit à « dyspnée continue » IRC restrictive : – destruction du parenchyme pulmonaire (séquelles de tuberculose, chirurgie) – obstruction des vaisseaux (thromboses chroniques ou HTAP primitive) – maladies du parenchyme pulmonaire (sarcoïdose, fibrose pulmonaire, poumon irradié, pneumoconioses…) – déformations de la colonne vertébrale, ou de la cage thoracique (cyphoscoliose, séquelles de thoracoplastie) – maladies neuromusculaires (myopathies, séquelles de poliomyélite, maladies dégénératives du système nerveux central ou périphérique) – séquelles d’une affection pleurale – surcharge pondérale importante IRC mixte : – la dilatation des bronches peut s’accompagner d’une amputation des volumes pulmonaires – des séquelles de tuberculose peuvent se compliquer de bronchites chroniques C’est la pathologie initiale et les résultats des explorations fonctionnelles respiratoires qui permettent de distinguer les trois types d’IRC.
Facteurs déclenchant la décompensation d’une insuffisance respiratoire chronique. Surinfection bronchique bactérienne ou virale Pneumonie bactérienne (germes typiques ou atypiques) ou virale Infection ou affection extrarespiratoire Variation des conditions climatiques Majoration de la pollution atmosphérique Insuffisance cardiaque gauche Embolie pulmonaire Pneumothorax Médicaments (anxiolytiques, diurétiques, antitussifs) Oxygénothérapie excessive Aggravation d’un syndrome d’apnée du sommeil Période postopératoire
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Le diagnostic est celui de la décompensation d’une insuffisance respiratoire chronique. Les manifestations cliniques sont celles d’une insuffisance respiratoire aiguë, associant des signes respiratoires, cardiovasculaires, et neuropsychiques (l’agitation). L’insuffisance respiratoire chronique est probablement mixte, associant la bronchopneumopathie chronique post-tabagique et la surcharge pondérale importante. Les gaz du sang confirment l’impression clinique en montrant une hypoxémie, une hypercapnie, un pH acide, et des taux de bicarbonates élevés traduisant le caractère chronique de l’insuffisance respiratoire. La cause de la décompensation semble être une bronchite virale ou bactérienne, la température du patient à l’admission est élevée, depuis 2 jours il se sent fébrile, l’expectoration est brunâtre, l’examen clinique n’a pas objectivé de signe en foyer pouvant évoquer une pneumonie. L’occlusion fonctionnelle (syndrome d’Ogilvie), fréquente dans une telle circonstance, aggrave encore la mécanique ventilatoire. Ce tableau clinique est grave, les enfants ont bien fait d’hospitaliser leur père qui a une diminution de la tolérance à l’effort, une difficulté à se déplacer dans le logement, à manger et à dormir. Les signes de gravité sont bien illustrés par la gazométrie, avec l’hypoxémie qui engage le pronostic vital et l’acidose gazeuse décompensée qui incite à débuter rapidement une ventilation non invasive. Le patient n’a pas d’encéphalopathie, ce qui va favoriser la prise en charge. En revanche, un facteur de comorbidité aggravant est ici l’obésité. Le calcul de l’indice de corpulence (Body Mass Index ou BMI) est égal à 42, ce qui est loin des chiffres normaux (<= 23) ; BMI = poids (kg)/taille2 (m).
Question 2
Les six premières heures, quelles sont les mesures thérapeutiques à prendre ? Quelles sont celles à éviter ? Justifiez chacun de vos choix.
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Chez ce patient, qui n’a pas d’encéphalopathie, ni de choc, la ventilation non invasive (VNI) s’impose le plus rapidement possible, l’interface entre le ventilateur et le malade peut être un masque facial ou nasal. La VNI permet théoriquement de corriger l’hypoxémie et l’acidose gazeuse, sans exposer le patient aux complications liées à la présence d’une sonde d’intubation endotrachéale. L’oxygénothérapie seule est à éviter car elle comporte le risque d’augmenter l’hypercapnie et l’encéphalopathie. L’O2 reste indiqué quand la structure d’accueil ne peut pas immédiatement réaliser de VNI. L’O2 doit alors être administré en continu, à un faible débit, de 0,5 à 2 L/min. Elle doit être contrôlée cliniquement et gazométriquement. Il sera également prescrit une restriction hydrosodée, une héparine de bas poids moléculaire pour prévenir les accidents thrombotiques, et des antibiotiques puisque le facteur déclenchant semble être une bronchite. L’absence de bronchospasme à l’auscultation n’incite pas à la prescription de bronchodilatateurs et de corticoïdes.
Question 3
Quels examens complémentaires simples demandez-vous pour préciser la cause de ce tableau ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
L’examen complémentaire fondamental est initialement la radiographie thoracique, à la recherche de la cause de la décompensation : pneumonie, pneumothorax, ou subœdème pulmonaire. Il sera réalisé aussi, à la recherche d’un agent infectieux pathogène, des hémocultures et des sérologies virales. La valeur de l’examen de l’expectoration est discutable par la contamination de la flore buccopharyngée. Initialement, chez ce patient à l’état précaire, il n’est pas licite de réaliser un prélèvement bronchique perendoscopique.
Question 4
Après 2 h de traitement l’état clinique ne s’améliore pas : les sueurs s’accentuent, le malade s’agite, veut se lever, il apparaît un flapping tremor. Les résultats de nouveaux gaz du sang artériel sont les suivants : pH = 7,20, PaCO2 = 10 kPa (75 mmHg), PaO2 = 7 kPa (52 mmHg), SaO2 = 83 %. Que faites-vous ? Justifiez votre attitude.
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Contre-indications et échec de la VNI (un seul critère présent constitue une contre- indication ou un échec de la VNI. L’intubation trachéale et la ventilation mécanique invasise sont alors requises).
1. Contre-indications à la VNI Indications de l’intubation immédiate Obstruction laryngée Troubles de la déglutition Dilatation gastro-intestinale aiguë, hémorragies digestives 2. Échec de la VNI Aggravation de l’état de conscience Signes d’épuisement musculaire respiratoire GDS : – pH < 7,20 – PaCO2 instable, en augmentation – PaO2 < 60 mmHg sous O2 Apparition de troubles du rythme ou d’une deuxième défaillance viscérale
Critères d’intubation d’un patient ayant une insuffisance respiratoire chronique (un critère majeur ou deux critères mineurs). Critères majeurs Arrêt respiratoire Pause respiratoire avec perte de conscience ou gasp Agitation psychique rendant les soins impossibles Pouls < 50/min avec perte de la vigilance Tension artérielle systolique < 70 mmHg Critères mineurs Augmentation de l’encéphalopathie pH < 7,30 et au pH de l’admission Augmentation de la PaCO2 de l’admission de 1 kpa PaO2 < 6 kpa malgré l’O2 Fréquence respiratoire > 35/min et à celle de l’admission
Votre réponse :
Réponse Attendue :
L’évolution, avec la dégradation de l’état de conscience et la majoration de l’acidose respiratoire, traduit l’échec de la VNI. Pour éviter un arrêt cardiorespiratoire, il faut réaliser une ventilation invasive par l’intermédiaire d’une sonde d’intubation. L’intubation, certes, peut générer des complications, mais ici elle sauve la vie du patient, elle garantit le lien du malade au respirateur, permet la sédation, les aspirations endotrachéales, et assure la pleine efficacité du ventilateur. Les réglages du ventilateur tendent à rétablir la capnie antérieure à la décompensation.
Question 5
Quelle est l’attitude ultérieure à tenir, une fois l’épisode aigu terminé ?
Votre réponse :
Réponse Attendue :
Une fois l’épisode aigu passé, il faut prendre des mesures pour éviter une nouvelle décompensation. Chez ce patient, il sera réalisé une polysomnographie à la recherche d’un syndrome d’apnée du sommeil, et il sera tenté une réduction pondérale. La réduction du poids s’intègre dans un programme de réhabilitation respiratoire. Il pourra être prescrit une oxygénothérapie au long cours ou une VNI intermittente si l’exploration fonctionnelle respiratoire réalisée au décours de la décompensation révèle que ce patient est plus restrictif, qu’obstructif. Chez les patients restrictifs, l’épisode de décompensation traduit habituellement la fin de l’autonomie, ce qui ne semble pas le cas dans cette observation. Il sera également prescrit des vaccins antigrippal et antipneumoccocique.