Un jeune homme de 26 ans, sans antécédent pathologique notable, consulte pour une dyspnée d’effort rapidement croissante apparue depuis quelques semaines, particulièrement au cours des efforts violents. Il est très grand (1,92 m). Il vous apprend qu’il joue au basket dans une équipe professionnelle. Il a plusieurs frères et sœurs, tous très grands. Le père, également très grand, a été victime d’une mort subite à l’âge de 45 ans, précédée de douleurs thoraciques violentes. L’examen clinique objective un sujet en bon état général. À l’inspection, les carotides sont hyperpulsatiles. L’auscultation cardiaque révèle un souffle holodiastolique 4/6, prédominant le long du bord gauche du sternum, accompagné d’un souffle systolique peu intense 2/6. La tension artérielle est à 150/40 mmHg. Il n’y a pas de signe d’insuffisance ventriculaire gauche ou droite. L’ECG montre une hypertrophie ventriculaire gauche avec surcharge diastolique du ventricule gauche.
Cas clinique : Figure 1
Question
1
Quelle est la valvulopathie dont est atteint ce patient ? Pourquoi ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
Insuffisance aortique (IA). Diagnostic par l’auscultation + hyperpulsatilité artérielle périphérique + abaissement de la TA diastolique avec élargissement de la différentielle… De plus, le contexte clinique est évocateur de syndrome de Marfan, ce qui apporte des arguments supplémentaires en faveur du diagnostic d’IA.
Question
2
Interprétez la radiographie de thorax.
Votre réponse :
Réponse attendue :
HVG modérée et débord de l’arc moyen droit compatible avec IA.
Question
3
Quelle est la sévérité de cette valvulopathie sur les données de l’examen clinique et de l’ECG ? Donnez vos arguments.
Votre réponse :
Réponse attendue :
L’IA est sévère, car : – caractère symptomatique de l’IA ; – intensité du souffle ; – présence d’un souffle systolique d’accompagnement ; – signes périphériques de fuite importante (hyperpulsatilité artérielle, abaissement de la TA diastolique, élargissement de la TA différentielle) ; – HVG à l’ECG.
Question
4
Quels sont les principaux renseignements attendus à l’échographie-doppler cardiaque ? Justifiez votre réponse.
Votre réponse :
Réponse attendue :
L’échocardiogramme-doppler permet de : – confirmer l’IA et d’exclure les autres causes de souffle diastolique (au doppler couleur, reflux diastolique de l’aorte vers le VG) ; – quantifier l’importance de la fuite valvulaire aortique : largeur du jet régurgitant à son origine au doppler couleur (vena contracta), meilleur critère que l’extension spatiale du jet régurgité dans le VG, qui souffre de nombreuses causes d’erreurs ; méthode de la PISA notamment, etc. ; – en préciser le retentissement, notamment les diamètres ventriculaires gauches à rapporter à la surface corporelle du patient et la fonction systolique du VG (% de raccourcissement, fraction d’éjection) ; – en déterminer l’étiologie (aspect des valves, remaniées ou non, calcifiées ou non, bi- ou tricuspides ; diamètre de l’anneau aortique, présence de végétations valvulaires…) ; – préciser le diamètre de l’aorte ascendante ; – éliminer une éventuelle dissection aortique subaiguë ou chronique ; – préciser l’existence éventuelle d’autres atteintes valvulaires, notamment mitrales.
Question
5
L’écho-doppler révèle une dilatation de l’aorte ascendante, mesurée à 60 mm, 2 cm au-dessus du plan des valves sigmoïdes aortiques. Quelle étiologie particulière doit-on suspecter ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
Il s’agit ici d’une IA annulo-ectasiante (c’est-à-dire liée à la dilatation de l’anneau aortique et de la partie initiale de l’aorte ascendante, d’où la non-coaptation des valves, qui sont le plus souvent normales). Dans ce contexte (très jeune âge + morphologie du patient + contexte familial de très grande taille + antécédents de mort subite du père), le tableau est très suggestif de syndrome de Marfan (dystrophie du tissu élastique, d’origine génétique, autosomique dominante).
Question
6
Quels examens d’imagerie ferez-vous pour confirmer cette étiologie ? Quels seront ceux que vous ne ferez pas ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
Examens d’imagerie destinés à mieux visualiser l’aorte thoracique, soit : – échocardiographie transœsophagienne (ETO) ; – IRM aortique ; – scanner thoracique spiralé. L’angiographie n’a pas d’indication ici compte tenu du jeune âge du patient : une coronarographie préopératoire est inutile, sauf en cas de facteurs de risque majeurs.
Question
7
Quelle stratégie thérapeutique proposez-vous à ce patient ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
1. Indication chirurgicale : remplacement de l’aorte ascendante par tube prothétique contenant une prothèse valvulaire aortique mécanique + réimplantation des coronaires sur le tube (ex-opération de Bentall). Dans ce cas, l’indication opératoire est double, portée à la fois sur : – l’importance de l’IA et son retentissement, puisque l’IA est déjà symptomatique ; – l’importance de la dilatation de l’aorte ascendante (risque de rupture ou de dissection aortique) : un diamètre de l’aorte ascendante ?50 mm est en soi une indication opératoire dans le Marfan, du fait du risque évolutif particulier dans cette étiologie.
2. Ce patient devra ultérieurement bénéficier du suivi des porteurs de prothèse valvulaire cardiaque + un suivi particulier du fait du syndrome de Marfan, à savoir : – une consultation mensuelle auprès de son médecin traitant, notamment pour la surveillance de son traitement anticoagulant, un objectif d’INR de 2,5 (2–3) est suffisant si le patient a une prothèse à double ailette en position aortique, s’il est en rythme sinusal et a une fonction VG normale, mais c’est le cardiologue qui doit fixer l’objectif d’INR au cas par cas pour chaque patient ; – à chaque consultation, le médecin généraliste doit également s’assurer de l’absence de récidive des symptômes fonctionnels et de foyer infectieux ; – examen auprès du cardiologue au 3e mois postopératoire, puis 1 à 2 fois par an ; – c’est l’échocardiogramme du 3e mois qui sert d’examen de référence pour le suivi ultérieur du patient, qui est son propre témoin ; – ultérieurement, une échographie cardiaque tous les 2 ans est suffisante en l’absence de suspicion de dysfonction de prothèse (penser à vérifier également l’absence d’apparition d’une insuffisance mitrale dans ce cas) ; – une surveillance spécifique de l’aorte thoracique doit être assurée par un examen d’imagerie annuel, IRM ou scanner thoracique spiralé ; – un traitement ?-bloqueur est prescrit au long cours afin de tenter de limiter la dilatation d’autres segments aortiques (Marfan).
Question
8
Quelle est la cause la plus probable du décès subit du père ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
La cause la plus probable du décès du père est une dissection aortique.
Question
9
Compte tenu de ce qui précède, quelle attitude doit-on recommander à l’égard du reste de la famille ?
Votre réponse :
Réponse attendue :
Nécessité d’un dépistage familial : bilan complet à la recherche d’un syndrome de Marfan chez les ascendants et descendants du patient et chez les frères et sœurs. Au mieux, ce bilan multidisciplinaire doit être coordonné par un généticien, qui établit en outre un arbre généalogique et peut proposer la recherche de marqueurs génétiques du Marfan (après consentement éclairé écrit). A défaut, en cas de refus de ce bilan, il faut faire au minimum une échographie cardiaque de dépistage à ces personnes.
Pour information (hors programme du DCEM), il faut faire au patient lui-même et aux personnes de sa famille une recherche du syndrome de Marfan, qui comporte : – un examen clinique avec mesure de la taille et du poids + recherche d’hyperlaxité ligamentaire et d’autres anomalies du système squelettique ; – un bilan cardiovasculaire avec échographie cardiaque pour recherche de dilatation de l’aorte thoracique et/ou d’insuffisance mitrale dystrophique (type 2 de Carpentier) ; – un examen ophtalmologique pour recherche de subluxation du cristallin ; – un scanner lombo-sacré pour recherche d’ectasie de la dure-mère lombo-sacrée et des radiographies de hanche pour recherche de protrusion acétabulaire.